Maladie, accident, traumatisme : pour des raisons différentes, à divers moments de nos vie, nous la côtoyons. Au centre de rééducation de Corbie, dans la Somme, une centaine de patients sont pris en charge chaque jour pour des douleurs aigues ou chroniques.
La douleur, cette « espèce de grand voile noir qui recouvre à la fois le corps des gens et leur existence » selon les termes du psychiatre Eric Serra, les patients pris en charge à au centre de rééducation centre de rééducation Pauchet 3 Vallées, à Corbie (Somme) ne la connaissent que trop bien. Chaque jour, une centaine de personnes s'y rendent à cause d’accidents, de maladie ou de traumatismes.
Il y a un an et demi, un bidon d’hydrocarbure a explosé dans les mains de Franck Dufourmentelle, technicien chimiste. Brûlé à 95%, il n’avait alors que d’infimes chances de survie. "Ce sont des douleurs qui ne sont pas explicables avec des mots, témoigne-t-il à présent. Un sentiment de désespoir, d'impuissance… »
"J'ai voulu mourir"
Sans répit, la douleur assaille, malgré la morphine et les sédatifs. « Au début j'ai voulu mourir, reconnaît le jeune homme. J'ai demandé à tous mes proches, je voulais qu'on me tue. J'étais cloué sur un lit, je ne pouvais rien faire." « On sait que 20% des patients souffrant de douleurs chroniques présentent des situations de dépression avec pour certains d'entre eux des pensées suicidaires, expose Eric Serra, chef de service de la consultation douleur au CHU d'Amiens. Il y a même plus de tentatives de suicide chez les patients douloureux chroniques que dans la population générale. »
Franck sera sauvé par son frère jumeau, qui lui propose de faire don de sa peau. Une première mondiale, qui laisse place à une longue rééducation. « Nous sur le plan douleur, on a cette action d'assouplir la peau, explique Christophe Loisel, kynésithérapeuthe. Nos récepteurs cutanés tout d'un coup sont touchés. Et il n'y a pas que le cutanée mais aussi en profondeur : c'est pour ça qu'on parle de brûlure au premier, au deuxième, au troisième degré. »
La douleur pour compagne
Les soins commencent par une question rituelle : évaluer sa douleur de 0 à 10. De la réponse peuvent dépendre les soins, qui comprennent leur lot de douleur. Céline Durna lutte depuis 19 mois pour se retrouver, après une chute d’échelle qui lui a fait frôler la mort. "On a des médicaments mais ça ne suffit pas, assure-t-elle. Il y en a qui vont s'enfoncer avec leur douleur. Moi, j'ai mal, je vais dire "aïe", mais je vais essayer de me dire : "justement, j'ai marché comme ça, je vais plutôt marcher de cette façon, j'aurais peut-être un peu moins mal..."
► Grand format de Sophie Crimon, Jérôme Arrignon, Rémi Bouthors et Stéphane Picard.
Mais que faire quand la douleur s’éternise ? L’eau permet à Maliké Van den Bosche de porter plus légèrement l’ennemi qu’elle côtoie depuis si longtemps. "Quand on a l'accident on pense que c'est sur le coup, se remémore-t-elle, que ça va passer, que quand l'opération sera faite, avec un peu de kiné ça passera. Là, ça fait 20 ans que je souffre tous les jours. Franchement, je ne le souhaite à personne."
Dompter plutôt que guérir
Après douze interventions, Maliké apprend à faire le deuil de la vie avant la chute de scooter. Aujourd’hui, elle affirme renoncer au vélo avec ses enfants, les longues balades, jusqu’à son métier de coiffeuse qu’elle ne pourra bientôt plus exercer. "Je sais que je vais souffrir toute ma vie mais je me dis qu'on va essayer d'être plus fort que la douleur et de passer au-dessus." « Traiter la douleur ce n'est malheureusement pas toujours la faire disparaître, reconnaît Eric Serra. Mais traiter la douleur, c'est la rendre plus acceptable pour qu'on puisse mieux vivre. Quand les deux, médecin et patient, arrivent à se mettre d'accord sur cet objectif, on peut garantir une amélioration. »
Faire le deuil de la guérison, souvent inatteignable et se consoler d’être en vie. Franck a décidé de ne pas faire de la douleur une fatalité. Sur son bras un seul tatouage a été préservé par la brûlure, qu’il ne regarde plus comme avant. Un mot : life.