"Je n'ai pas accès au chômage, aux congés payés et maladie", des livreurs à vélo contre l'injustice de l’ubérisation

« Pour de meilleures conditions de travail », des livreurs « ubérisés » de six nationalités se sont élancés à vélo pour 400 kilomètres entre Paris et Bruxelles, du 5 au 9 novembre. Ils veulent dénoncer le système mis en place par Uber. Ils se sont arrêtés à Amiens pour rencontrer François Ruffin.

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"Il y a deux jours, il y a eu une tempête, donc on s'attend à quelques débris sur la route. Mais c'est pas grave, on va aviser. On a l'habitude, on fait ça toute l'année, sous la pluie, dans le vent. Et ça ne va pas énormément changer nos conditions, à part que cette fois-ci, on travaille réellement pour nous et pour l'ensemble des livreurs", confiait Camille Peteers, livreur à Bruxelles à l’AFP, au départ de Paris.

Ils sont anglais, français, italiens, espagnols, belges, autrichiens, ils se font les porte-drapeaux des coursiers à vélo européens. Tous livreurs indépendants à UberEats et Deliveroo, ils sont déterminés à se faire entendre. Ils ont pris la route à vélo dimanche, au départ de Paris. Destination : Bruxelles. 400 km en quatre jours pour faire entendre leur voix lors des négociations sur le projet de législation des droits des travailleurs de plateformes. Ils réclament des conditions de travail dignes, le droit à la protection sociale et des salaires décents. Durant ce périple, qu’ils ont appelé  "la grande livraison", ils doivent rencontrer des élus politiques, des syndicats, des coopératives de livreurs et d’autres coursiers indépendants.

La situation est dramatique pour tous les travailleurs des plateformes en Europe

Camille Peteers, livreur pour UberEats en Belgique

Après Beauvais, dimanche, où ils ont échangé avec la députée européenne La France Insoumise, Leïla Chabie, ils font une halte à Amiens. Nous les retrouvons en centre-ville où ils ont accepté de nous parler de leur quotidien et de leurs conditions de travail. "Je n’ai pas accès aux droits sociaux, au chômage, aux congés payés, aux accidents de travail, au congé maladie. On est payé à la course 4,42 euros, qu’elle fasse 100 mètres ou 10 km. La situation est dramatique pour tous les travailleurs des plateformes en Europe. On est payé à la pièce. Dans tous les pays, il y a une stratégie des plateformes à faire du dumping social, à baisser la rémunération et à ne pas payer les droits sociaux", dénonce Camille Peteers, livreur pour UberEats, en Belgique depuis six ans. Les huit livreurs profitent des négociations menées actuellement sur le sujet à la Commission européenne à Bruxelles pour prendre part aux débats à distance, sur chacune de leur étape.

À Amiens, c’est François Ruffin qui les accueille. Le député La France Insoumise de la Somme avoue s’être emparé du sujet, après des réserves sur la faisabilité du projet européen. "J’étais sceptique parce qu’on se trouve dans une situation bizarre où le Parlement européen et la Commission européenne ont dit oui à la présomption du salariat, c’est-à-dire, qu’à priori, ils doivent être considérés comme des salariés. Et qui bloque ? C’est la France d’Emmanuel Macron et d’Elisabeth Borne. Ça changerait pourtant tout pour les livreurs. Ils auraient le droit à la sécurité sociale, aux congés, au droit à la retraite", défend le député. Des droits reconnus grâce au statut de salarié. Mais d’après François Ruffin, le président français a des intérêts à bloquer le processus. "Uber a financé la campagne électorale de Macron. Il y a un retour sur investissement. La grande transformation du marché de l’emploi sous Macron, c’est 2,4 millions d’autoentrepreneurs. On est là pour lutter contre ça."

Auto-entrepreneuriat, ubérisation, présomption de salariat, un petit rappel s’impose.

Des conditions de travail et des droits bafoués

Le phénomène, d'"ubérisation" consiste en la mise en relation, par des plates‑formes numériques, de clients avec des travailleurs qui nourrissent ces plateformes de leur travail : chauffeurs privés, livreurs de repas à vélo, chargeurs de trottinettes électriques... Ces travailleurs, qui ne sont pas liés à une société par un contrat de travail, ne sont donc pas salariés et donc pas couverts par les cotisations sociales pour l’assurance maladie, le chômage et la retraite. En France, ils travaillent le plus souvent sous le statut de microentrepreneur.

Quand vous faites une pause pipi ou que votre portable perd la connexion, vous avez des pénalités sur la rémunération.

Marcus Haunold, coursier autrichien

Depuis la crise du Covid et les différents confinements, les livreurs de repas sont de plus en plus nombreux et les dérives se sont multipliées. Vincent Rivière, qui a fait le déplacement avec le convoi, est livreur indépendant depuis 2018. Selon lui, les conditions se sont dégradées. "Quand j'ai commencé, c’était aussi dangereux que maintenant. Les risques étaient énormes mais au moins, ça payait bien. Les plateformes décident du prix et de l’attribution des courses. Ils ont tout le loisir d’attribuer peu de commandes à faibles prix. Ils nous mettent une pression économique. La course est à peine rentable. On livre à perte. C’est pour ça que certains grillent les feux rouges, qu’ils se mettent en danger", explique Vincent, qui a décidé de monter sa propre maison des coursiers à Toulouse, en coopérative. Marcus Haunold, 28 ans, est lui, livreur pour les plateformes en Autriche. Il décrit des conditions de travail inhumaines. "Quand vous faites une pause toilette ou que votre portable perd la connexion, vous avez des pénalités sur la rémunération. Par exemple, si vous prenez une pause de 10 minutes en tout dans une semaine, la plateforme peut ne plus vous attribuer de course la semaine suivante. Vous ne pouvez pas prévoir combien vous allez gagner. C’est pourquoi beaucoup de livreurs travaillent pour différentes plateformes, pour vivre."

Des contrats de travail en "zone grise"

En droit français, ce qui distingue le contrat de travail et les contrats de prestations de services indépendants, c’est le lien de subordination. Dans ce dernier modèle, l’indépendant est censé travailler quand il le souhaite, lorsqu'il est connecté à l’application. Cette autonomie dans le travail est l’argument invoqué par les plateformes pour prétendre à l’incompatibilité de principe avec le salariat. Mais en pratique, cette autonomie n’est pas respectée par Uber et Deliveroo. Et ces plateformes profitent des "zones grises" des lois nationales et européennes. Elles ne se limitent pas à la simple mise en contact. Généralement, elles fixent les tarifs et encaissent la course, elles encadrent et elles indiquent l’itinéraire à suivre et peuvent le contrôler grâce à la géolocalisation. Elles se réservent parfois la possibilité de récompenser la fidélité de certains chauffeurs ou coursiers et de sanctionner ceux qui refusent une course. Face à cette réalité nouvelle, les cours et tribunaux ont été saisis à différentes reprises, ces dernières années, par des chauffeurs ou coursiers sollicitant la requalification de leur relation de travail indépendante en contrat de travail.

Renforcer les droits des livreurs "ubérisés"

Le 2 février 2023, une majorité d’eurodéputés ont plaidé pour renforcer les droits des 28 millions de livreurs "ubérisés" dans l’Union européenne. Les négociations entamées entre les États membres, le Parlement européen et la Commission, prévoient de définir les critères à partir desquels les travailleurs de plateformes numériques doivent être considérés comme des salariés, et non des travailleurs indépendants. La directive européenne vise à créer une « présomption légale de salariat ». Cela pourrait concerner 5,5 millions des 28 millions de travailleurs en Europe, selon la commission européenne.

On ne sait pas combien il y a de morts à vélo, ni de blessés dans les accidents de la route.

François Ruffin, député LFI de la Somme

Cette directive permettrait d’harmoniser le statut de ces travailleurs dans l’UE et leur éviter un parcours chaotique et coûteux dans les tribunaux. "Ça fait quatre ans qu’on essaie d’obtenir une directive pour améliorer les conditions de travail. Il est temps que les responsables politiques agissent concrètement", déclare Camille Peteers. D’après le député de la Somme, François Ruffin, on part de loin. "Je viens de rendre un rapport sur les accidents de travail et les maladies professionnelles dans lequel je consacre un chapitre aux livreurs à vélo parce qu’ils ne sont pas comptés comme salariés. On ne sait pas combien il y a de morts à vélo, ni de blessés dans les accidents de la route. J’essaie de faire qu’ils ne soient pas les oubliés du monde du travail", insiste le député.

Les organisateurs de "la grande livraison" feront une nouvelle halte à Lille, mardi, à la rencontre de livreurs Uber en grève. Mercredi, ils réserveront une minute de silence en mémoire à Sultan Zadran, livreur indépendant percuté par un bus en février 2023, pendant sa livraison à Bruxelles et décédé. Jeudi 9 novembre, ils participeront à une manifestation dans la capitale belge pour se faire entendre des négociateurs européens.

Avec Lucie Cailleret/FTV

 

 

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