L'Assiette Gourm'hand est un concours de cuisine pas comme les autres, organisé à Bailleul dans le Nord. Derrière les fourneaux, des personnes en situation de handicap mental ou psychique. Nous avons suivi Anselme, travailleur en ESAT (établissement et service d'accompagnement par le travail) à Amiens, lors de sa préparation jusqu'au jour J.
10h du matin, tout le monde s’active dans les cuisines de l’ESAT (établissement et service d'accompagnement par le travail). Parmi les travailleurs, un binôme fait bande à part.
Anselme Leclerc, porteur de handicap mental, et Jonathan Ingelaere, son moniteur, préparent un concours de cuisine unique au monde. Une compétition internationale où des travailleurs handicapés prennent les commandes des cuisines. "Je dois être son commis, c'est-à-dire lui éplucher ses légumes, toutes les petites tâches, on va dire, ingrates, sourit Jonathan. À la base, c'est leur concours, cela leur permet d'être en autonomie totale afin de réaliser entièrement une recette de A à Z."
Une recette avec quatre ingrédients imposés : les crevettes, la volaille, la pomme de terre et la courge butternut. Depuis plus d’un an, ils peaufinent le plat qu’ils présenteront à des chefs venus de toute la France. "On a fait des recherches ensemble, on a essayé pour voir si cela allait ou pas et après on a trouvé une recette qui allait nous convenir, surtout à Anselme", raconte Jonathan.
"Je me sens à l'aise ici"
Anselme est un mordu de grande cuisine. Après plusieurs stages dans différents établissements, il trouve sa voie ici, il y a quatre ans, derrière les fourneaux. "J'ai toujours aimé la cuisine, je me sens à l'aise ici."
Mais préparer un concours n’est pas toujours simple. "Oh la la, je n'y arriverais pas à ça", souffle Anselme au moment de réaliser des quenelles. Il lui reste une semaine pour maîtriser ce geste technique.
Depuis son arrivée dans l’établissement, il a beaucoup appris. De la préparation jusqu’à l'emballage des repas, son référent ne compte plus ses progrès. "Faire ne serait-ce qu'une cuisson, c'est compliqué et puis à force de le prendre au chaud ou au froid, ça lui a permis développer ses compétences. Depuis son arrivée, cela n'a plus rien à voir, c'est plus le même Anselme", atteste Cyril Richet, moniteur d'atelier à l'ESAT.
Participer à un concours, "c'est mon envie", confirme Anselme. "Je veux voir si je peux y arriver. Et montrer que je ne suis pas différent des autres. Je veux prouver que j'ai fait des progrès. Je suis très fier de moi."
"Ça fait drôle, on se croirait dans Top Chef"
Le grand jour est enfin arrivé. Dans les vestiaires du concours, organisé à Bailleul, dans le Nord. Les deux Picards enfilent leur tenue de compétition. Les candidats ont même droit à leur séance photo, comme dans les célèbres émissions culinaires. "Ça fait drôle, on se croirait vraiment dans Top Chef", sourit Anselme.
Côté cuisine, le rythme s'accélère. Anselme et Jonathan ont 1h30 pour réaliser leur recette. Le début d’un marathon pour le tandem.
Autour des candidats, des jurys en cols tricolores, des meilleurs ouvriers de France chargés d’évaluer leur technique, mais pas seulement. "On regarde quand même que le binôme fonctionne bien, qu'il y a une bonne communication entre eux, surtout que ce soit le candidat qui travaille et le commis qui fasse les épluchures et qui guide un petit peu le candidat", explique Gérard Agasse, chef meilleur ouvrier de France et membre du jury.
Quand vient le moment tant redouté du dressage des quenelles, Jonathan garde la main. "C'est pour gagner un peu de temps et puis pendant ce temps, il fait autre chose", lance-t-il.
"Derrière le handicap, il y a quelqu'un qui aime la cuisine"
Épreuve terminée, les dés sont jetés. Place à la dégustation, sans traitement de faveur. "Il y a un peu de travail, il nous a acheminé entre croustillant de son poulet, sa petite sauce blanche et sa purée. Ce n'est pas abouti, mais ce n'est pas grave, déjà l'intention y est et c'est plutôt pas mal", observe Patrick Druard, président Les Toques Françaises et membre du jury.
"L'idée de ce concours, c'est de montrer que derrière le handicap, il y a quelqu'un qui aime faire la cuisine, qui met toute sa passion dans son métier. Il faut regarder que ça, la cuisine, pas le handicap", estime Jérémy Biasiol, chef de cuisine et membre du jury.
Après plusieurs mois de préparations et au terme d’une journée éprouvante, Anselme a du mal à contenir son émotion, à l’annonce des résultats. Pas de podium pour le binôme. S’ils sont un peu déçus, pour eux la victoire est ailleurs. "Il y a une complicité qui s'est installée, pour lui, c'était un challenge de pouvoir participer à cette aventure", confie Jonathan.
Anselme et les autres candidats l'ont prouvé, tous méritent leur tablier. Le combat de l’Assiette Gourm’hand depuis plus de vingt ans : ouvrir les cœurs et les cuisines des restaurateurs.
Édité par Eline Erzilbengoa / FTV