La manufacture Cosserat, ancien fleuron de l'industrie textile d'Amiens, au cœur de la visite de Jean Castex

Samedi 8 janvier, Jean Castex est en visite à Amiens sur l'ancienne friche de la manufacture Cosserat, vestige du passé industriel textile de la ville. Ancienne car après 10 ans à l'abandon, le site de cette historique fabrique de velours va reprendre vie.

Jean Castex a choisi un site emblématique de l'industrie historique d'Amiens pour sa visite samedi 8 janvier sur le thème de la reconversion des friches industrielles. La friche Cosserat.

Cosserat. Un nom qui parle encore à de nombreux Amiénois. Un nom plein d'histoire. Plein de fierté. De prestige.

Pendant plus de deux siècles, Cosserat sera le fleuron de l'industrie textile d'Amiens. Sa spécialité : le velours. Construite dans le quartier du faubourg de Hem en 1794 par Pierre Cosserat, un jeune Lorrain arrivé à Amiens 5 ans plus tôt, la manufacture du même nom va devenir le représentant emblématique d'un savoir-faire déjà bien présent à Amiens depuis le 17e siècle. La ville est connue pour son industrie textile florissante.

Cosserat, une histoire amiénoise

Pendant des générations, le nom Cosserat sera associé à la réputation du velours côtelé d'Amiens, une réputation qui débordera largement des frontières de la France. La prospérité de la manufacture s'appuiera sur la fabrication de velours de coton qui va remplacer le velours de soie usiné à Lyon et beaucoup plus coûteux.

Le tissu, mis à la mode par Napoléon 1er, va désormais habiller toutes les classes de la société. Il va également être très utilisé pour l'ameublement.

Pierre Cosserat (1767-1832), issu d'une famille de cultivateurs lorrains vivant depuis plusieurs générations dans les Vosges, était arrivé à Amiens à l'automne 1789. Marié en 1794, il s'installe rue Saint-Martin-aux-Waides, au cœur commercial de la ville, près de la cathédrale. C'est le début de la maison Cosserat.

Pierre s'établit alors comme marchand-fabricant, vend des "articles d'Amiens" (laines mélangées de qualité moyenne), ainsi que des tissus de coton qu'il fait fabriquer par des travailleurs à domicile dans les campagnes voisines. Il se spécialise dans les velours gaufrés d'Utrecht destinés à l'ameublement, contrôle à son tour la production de velours de coton et de velventines (velours lisses) et installe quelques métiers dans son habitation. À partir des années 1810, il subit la crise qui touche toute la Fabrique d'Amiens, puis la concurrence des velours lisses britanniques. Il réussit néanmoins à rétablir sa position.

Métiers Jacquart et machine à vapeur

Son fils Eugène (1800-1887) travaille avec son père dès l'âge de 17 ans et parcourt les campagnes picardes pour distribuer la matière première et rassembler la production. Succédant à son père, décédé en 1832, il s'associe avec le marchand-fabricant Ponche-Bellet et crée en 1832 un tissage impasse des Passementiers, le long d'un bras de la Somme, dans le quartier Saint-Leu. Y sont fabriqués des alépines, tissus de laine et de soie destinés aux vêtements de deuil, puis des velours d'Utrecht.

Alors qu'en France, on tisse encore majoritairement sur de vieux métiers manuels tandis que les producteurs britanniques maîtrisent parfaitement le tissage mécanique et la vapeur, en 1833, Cosserat et Ponche-Bellet introduisent à Amiens les métiers Jacquard, qui permettent de fabriquer des étoffes façonnées et des étoffes fantaisie et de renouveler les gammes offertes à la clientèle. En 1834, ils sont les premiers entrepreneurs amiénois à s'équiper d'une machine à vapeur.

Confronté à une crise, provoquée notamment par la concurrence de velours anglais beaucoup plus compétitifs, Eugène Cosserat se tourne vers la filature mécanique du lin, cultivé en Picardie et dans le Nord. Pour se procurer les machines anglaises, Eugène monte alors une opération d'espionnage industriel avec un confrère d'origine britannique installé à Amiens, puis il prend contact avec un contrebandier, Lawrence Cannon, qui aurait fait parvenir en pièces détachées dans des balles de coton et des sacs de charbon des machines à filer achetées à Manchester. Celles-ci sont installées dans la nouvelle usine que Cosserat a créée avec Louis Marest à Saleux, à six kilomètres d'Amiens, et qui se développe dans les années 1840.

Le velours lisse des Anglais

Sous le Second Empire, Eugène Cosserat est conscient du danger que feraient courir les velours anglais, moins coûteux, à la fabrication amiénoise en cas d'abaissement des tarifs douaniers. En 1856, il part en Grande-Bretagne étudier les usines spécialisées dans le velours et acquiert de nouveaux terrains dans Amiens, en bord de Selle.

En 1857, il fait venir 300 machines à tisser automatiques, qui équipent le grand atelier qu'il fait construire faubourg de Hem et qu'il fait actionner par des moteurs hydrauliques et une machine à vapeur. Le tissage de velours de coton Cosserat est le premier bâtiment à toit de sheds de la ville d'Amiens. L'initiative de cette usine "à l'anglaise" fait sensation dans le milieu de l'industrie amiénoise. Alors que la guerre de Sécession provoque une crise de l'approvisionnement en coton, le manufacturier reconvertit à grands frais ses métiers à tisser le coton en métiers à tisser le lin en 1862. En 1870, la maison Cosserat fait définitivement partie du paysage industriel amiénois.

500 métiers à tisser

À son décès, Eugène Cosserat laisse une fortune de 2,7 millions à ses enfants, en particulier à son fils Oscar (1830-1910) qui lui succède. Soucieux de ne pas se laisser distancer par les Anglais, Oscar développe la production de velours côtelés pour la fabrication de vêtements de travail destinés à des milliers d'ouvriers français et celle de velours lisses pour l'habillement et l'ameublement.

Il s'entoure de deux directeurs de valeur : Gaston Villain à la filature de Saleux, Didier de Monclos au tissage du faubourg de Hem. Il aménage, en 1891, faubourg de Hem une salle de 500 métiers à tisser qui suscite l'admiration de Jules Verne. Ils sont alimentés par une machine à vapeur de 1000 chevaux, l'une des plus grandes d'Europe. Les 135 000 m² de bâtiments s'étalent alors sur 13 hectares. La manufacture est une véritable petite ville, avec ses rues, ses places et ses jardins.

Patrons paternalistes

Signe de réussite sociale, Oscar Cosserat, en 1865, avait demandé à l'architecte amiénois Pinsard de bâtir son hôtel particulier rue des Rabuissons, l'actuelle rue de la République, en face de la préfecture de la Somme, puis, presque à côté, trois grandes maisons de briques pour ses bureaux d'affaires. L'ensemble est assez austère, loin du faste de l'hôtel Bouctot-Vagniez, par exemple.

Dans les années 1860, Eugène et Oscar Cosserat offrent du travail à plus de 600 personnes. Patrons paternalistes, ils construisent des logements ouvriers et créent des cours du soir. À la mort d'Octave, en 1910, l'usine du faubourg du Hem est la plus importante d'Amiens, avec 1 400 ouvriers, tandis que la filature de Saleux occupe plus de 400 ouvriers.

L'entreprise Cosserat traversera tous les conflits du 20e siècle, notamment grâce à l'action de Maurice (1861-1940) et de Pierre (1864-1945). Reprise en 2004 par l'entreprise familiale allemande Cord & Velveton, alors qu'elle se trouvait en redressement judiciaire, elle fermera définitivement en 2012. La production ayant été arrêtée en 2008, le site n'était plus qu'un simple pôle logistique qui n'employait plus que 10 salariés.

La réhabilitation

En 2019, laissé à l'abandon pendant une dizaine d'année, le site, classé à l’inventaire des Monuments historiques, est racheté par un groupe immobilier. La friche Cosserat devient La Tisserie. Le projet est de réhabiliter les lieux pour en faire un quartier à objectif bas carbone entre habitations et espaces de travail et de convivialité. 400 logements sont prévus. Mais avant la moindre installation, il aura fallu des mois pour rénover et remettre en sécurité le site.

En octobre 2021, la liste des lauréats ayant été sélectionnés dans le cadre de l'appel à projets est révélée. L'ancienne friche Cosserat sera occupée dès 2022 par l’atelier Bouchendhomme qui proposera de la réfection ou création de sièges anciens et contemporains ou encore la confection de rideaux. Une micro-brasserie et un pub complèteront le projet ainsi qu'une école des métiers numériques. Des jardins partagés végétaliseront enfin le tout avec des carrés partagés et une micro-jardinerie.

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