Le portrait de la semaine : Jérôme Jean, speaker officiel de l'Amiens SC, la passion du foot et de la radio

Jérôme Jean est le speaker officiel de l’Amiens SC. Il raccroche le micro après 17 ans d’encouragement et de soutien indéfectible à son club d’adoption. L’occasion pour nous de découvrir les phases de jeu d’une vie bien remplie et ponctuée d’aucun carton rouge.

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Il faut aussi que je vous dise que le journaliste que je suis connaît Jérôme depuis maintenant plusieurs années et que nous avons collaboré presque dix ans sur nos émissions matinales. Même pour sa première où il s’est pointé en direct pour faire une chronique dans un costume doré ridicule (mais marrant...), nous n’avons cessé de nous fréquenter au point de devenir des amis. Aujourd’hui je dois écrire sur sa vie sans rentrer dans l’affectif. Pas simple mais je le tente...

Amuser son public

Jérôme Jean est normand ! Né à Mont-Saint-Aignan en Seine-Maritime le 10 août 1972, il aura 50 ans l’année prochaine. Il grandit à Saint-Jean-du-Cardonnay dans un milieu plutôt rural avec une mère employée de mairie et un père qui gère les dockers au port de Rouen.

Très vite il devient assez naturellement le petit blondinet à la bouille d’ange bien plus brillant pour faire marrer les copains que pour ramener un bon bulletin de notes.

"À Saint-Jean-Baptiste-de-La-Salle où je me trouvais, j’avais un prof de maths qui ne rigolait pas. Le jour de la remise des carnets dans la chapelle, pensant que personne n’était là je me suis mis à jongler en classe pour amuser les copains. Super jongles j’étais fier comme tout. Jusqu’à ce que je vois le regard des copains changer. Je me retourne et là le prof de maths. Je prends la baffe de ma vie. Convocation des parents. La discipline ça rigolait pas là-bas".

Sauf que sans le savoir, ce Jérôme Jean là est en fait le même que maintenant. Une ballon de foot jamais bien loin et le micro pour amuser son public. C’est dans ce même collège qu’il me raconte aussi avoir eu comme copain Franck Haise l’entraîneur actuel du RC Lens. Le monde du foot est aussi petit qu’une surface de réparation...

Petit il fantasmait aussi sur la radio

"Ma sœur adorait la musique et passait son temps à écouter la radio. Mon père, ma mère, mes grands-parents, on se taisait pour le journal de 11h. Ce rendez-vous autour du poste m'a séduit terriblement".

C’est comme ça qu’à 14 ans il tape à la porte de Radio Service à Rouen, Quai Gaston Boulez, pour demander s’il ne cherchait pas un stagiaire. On le prend pour ranger les disques. Il y était tout le temps fourré. À regarder. Ressentir. Écouter. Et puis un jour... Après deux ans de présence... Il manque un animateur.

"Je me suis retrouvé à devoir animer le 12/14. J’avais tellement observé que j’avais l’impression que c’était naturel. Pas facile hein mais naturel. Ils m’ont gardé comme animateur. Et à 19 ans il a fallu convaincre mes parents que je devais arrêter les études et partir là-dedans. Pas simple, c’est même peut-être le plus dur moment de ma vie. Mais clairement la radio a changé ma vie".

Passage ensuite chez Plus FM à Bihorel puis Metropolys avant de jouer dans la cour des grandes. "J’ai démarré Skyrock dans la région. Un autre monde. J’avais Cauet, Laurent Petitguillaume et Super Nana au téléphone régulièrement. J’organisais les tournées et la venue de stars dans la région". Et puis arrive NRJ qui devient le studio de secours de la rue Boileau à Paris.

Comme de la radio à la télé il n'y a souvent qu'une passe, on vient le chercher pour travailler sur Télé Pomme. On met un visage sur un nom. Très vite, un matin son téléphone sonne. Au bout du fil le président du HAC (le Havre Athletic Club) qui lui propose de devenir le speaker du club. Une proposition qu’on ne peut pas refuser quand on aime animer et qu’on adore le foot.

"Le jour de mon premier match je me retrouve seul sur le terrain. Ça faisait une semaine que je ne dormais pas. Terrorisé c’est même pas le mot qui convient. En plus, c’était un match contre Strasbourg qui pouvait faire descendre le Havre en D2. Ils ont perdu, on est descendu. Mais je suis resté avec eux car ils m’ont embauché comme responsable marketing et communication. On est remonté ensuite assez vite et puis le président a changé et comme je suis un affectif je suis parti moi aussi". 

C’est vrai que l’on parle peu des speakers qui se retrouvent seuls au milieu d’un stade gigantesque avec un micro comme unique outil. Face à un public qui ne pardonne rien on imagine tout ce qu’il peut se passer dans la tête de l’animateur.

Vont-ils adhérer ? Est-ce que j’utilise les bons mots, est-ce que je n’en fais pas trop...

La place du speaker est terrible voire ingrate car il accompagne au fil des matches, des mois, des années des supporters qui vivent le football parfois comme une religion. C’est le speaker qui dit bonjour et qui dit au-revoir. Les stars ce sont les joueurs et le speaker vit dans leur ombre. Savoir parler au public sans trahir ce qui se passe en coulisses, c’est une affaire de professionnels.

"Je suis très vite tombé sous le charme d'Amiens"

L’aventure normande s’arrête donc là pour Jérôme qui est débauché par une grande entreprise de promotion immobilière à Amiens. Nous sommes en 1999, il ne le sait pas encore mais il va y rester plus de 20 ans. "Je suis tombé très vite sous le charme d’Amiens. C’est dingue ! Tout ce qu’on m’avait raconté sur cette ville était faux. Je pensais arriver dans une cité fantôme... J’y ai trouvé tout le contraire." C'est dans ce nouveau cadre idéal qu'il fonde une famille avec l'arrivée de ses 3 enfants: Simon, Suzanne et Gaspard.

Trop attaché aux valeurs de sa Normandie, il décline les approches de l’Amiens SC pour devenir speaker. Il résiste deux ans avant de dire oui...

Et là je dois vous avouer que je tombe sur un os. Quand je lance Jérôme sur son expérience à l’Amiens SC je ne m’attendais pas à écouter autant de verve et de passion pour un club si discret. Ses mots sont justes et précis. Je n’ai pas pu en placer une pendant au moins vingt minutes. J’avais l’impression d’être dans une retransmission radio d’une finale de Coupe du Monde. Il est intarissable et me raconte mille anecdotes. Il a le respect des valeurs du foot, ne rentre jamais dans les vestiaires de joueurs, et les admire autant qu’il les aime.

Il se souvient de ce moment insupportable aussi où à Boulogne-sur-Mer, l’Amiens SC descend en Nationale. "Je revois encore l’image de mon président, Bernard Joannin, au milieu de la pelouse le visage fermé mais digne au milieu des supporters boulonnais déchaînés. Boulogne vivait la montée quand nous on nous enterrait". 

Un moment douloureux et pénible pour tout le clan amiénois. Des supporters étaient même venus jusqu’au domicile de l’entraîneur pour lui demander des comptes. On imagine le rôle et la position du speaker dans ces moments-là pour continuer à trouver la foi lors des matches à suivre...

Mais la force du club est ce mot qui revient souvent en interview : "Abnégation", cette capacité de savoir faire passer ses intérêts personnels après ceux du club. Et cela à tous les niveaux. C’est ainsi qu’il m’explique tout ce qui a été accompli pour remonter.

On était des bâtisseurs en fait. Tout ce travail, ces années compliquées pour reconstruire. Improbable de penser monter de Nationale en Ligue 1. Plus Personne ne croyait en nous. Juste après la descente, tout le monde a quitté le navire. Le président me dit qu’il avait besoin de moi alors que tout le monde partait.

"On a créé une commission d’animation à Amiens. Une ville qui ne s’est jamais prise pour une autre. On faisait très attention aux finances. Le club a toujours été un gestionnaire façon père de famille. Ces années-là étaient passionnantes car on lançait plein de choses. Les mercredis de l’ASC par exemple ou on voulait rapprocher le monde du foot professionnel à celui du monde amateur. Je sélectionnais quatre joueurs de l’équipe et du centre de formation et on les amenait aux différents clubs de la région. Je m’en suis fait des kilomètres en costard cravate face à des clubs locaux qui pensaient qu’on venait leur piquer des joueurs. Ça a duré jusqu’à notre montée en Ligue 1". Ah cette montée.

La fameuse 96e minute...

Nous sommes à Reims le 19 mai 2017, Amiens est en Ligue 2 et sort de quatre années de Nationale.

"C’est mon plus beau moment de football. Ça surplombe tout ce qu’une équipe de France pouvait faire. J’ai atteint le graal. Après tout ce qu’on avait vécu... Dans un article de France football on nous traitait de chèvre. On est alors 5e de Ligue 2 avec Christophe Pélissier à la tête de l’équipe. En une saison, lors de la dernière journée et à la 96e minute de jeu PAN ! Emmanuel Bourgaud plante le but de la victoire. On monte en Ligue 1 pour la première fois après 120 ans d’existence. Une saison de braqueurs."

Il faut entendre la passion avec laquelle il raconte tout cela. On sent une franche émotion dans sa voix. Le souvenir de cette cinquantaine de bus de supporters venus encourager leur équipe, les joies, les cris, l’adrénaline... Au moment du coup de sifflet si vous regardez les images retransmises à la télé on voit un seul type en costume foncer pour sauter sur les joueurs : Jérôme Jean.

Il conclut en reprenant la phrase de Thierry Roland restée célèbre le jour de la victoire des Bleus en 1998 : "Après ça on peut mourrir tranquille".

Pour des raisons professionnelles, Jérôme Jean raccroche donc le micro après dix-sept années passées à défendre les couleurs de l’Amiens SC. Avant de rendre l’information publique il a prit soin de prévenir son président Bernard Joannin ainsi que Luigi Mulazzi le vice-président. Des personnes droites et humaines devant lesquelles Jérôme admet un profond respect. Des valeurs qui sont loin de n’être que des valeurs sportives.

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