Lucien Coulombel, coach sportif à Amiens, a lancé en juillet une web application qui rassemble des coachs sportifs, nutritionnistes, naturopathes, etc où chacun peut proposer ses services en visio. Une entraide basée sur une clientèle commune pour faciliter l'accès à ces services aux curieux.
Il est 18h30, Denise rentre tout juste chez elle. Le pas de la porte a peine passé, la voilà quittant ses habits d’aide-soignante pour une tenue plus légère. La cinquantenaire allume son ordi, file sur le site de life trainer. Un compte à rebours lui indique qu’il lui reste 12 minutes avant de devoir allumer sa caméra pour sa séance avec Melvyn, son coach sportif. Dans quelques jours, c’est avec Baptiste diététicien-nutritionniste qu’elle a rendez-vous. La Picarde fait partie des 70 inscrits de la plateforme Life trainer lancée en juillet par un un coach sportif amiénois, Lucien Coulombel.
C’est une plateforme de mise en relation de service en visio entre des clients et des coachs indépendants, sportifs, mentaux, naturopathes. Elle est éventuellement ouverte à terme à tous les métiers de conseils, mais pour l’instant, c’est avant tout une proposition innovante pour les coachs.
Lucien espère offrir grâce à son système le plus large panel possible de professionnels et d’horaires pour des séances personnalisées ou collectives aux clients et mettre à disposition des professionnels une base de clients commune leur permettant de toucher des personnes difficilement touchables en temps normal "soit à cause de la localisation", "soit parce qu’ils ne connaissent pas ce corps de métier et donc ne vont pas y penser".
Un système de crédits plutôt qu’un abonnement
Coachs, nutritionnistes, naturopathes, prof de yoga, kinésithérapeute ont d’autant plus intérêt à jouer ce jeu-là que la plateforme propose trois sources de revenus potentiels différents. "L’innovation est là. Outre la visio, on est rémunéré soit en réalisant une prestation, soit en ramenant sur la plateforme un coach ou un client. Et en gros à chaque fois qu’un client que j’ai ramené réalise une prestation même si c’est avec un collègue je suis en partie rémunéré."
C’est l’un des points qui a décidé Baptiste, diététicien, à rejoindre la plateforme. "Le peu d’argent qu’on investit, on le compensera vite. Je suis quasiment au bout de mon contrat avec Doctolib avec qui je fonctionnais jusqu'à présent et je compte l’arrêter. La qualité vidéo est aussi bonne, c’est facile d’utilisation pour les patients et la moitié du tarif de la consultation ne part pas en commission pour l’appli contrairement à d’autres."
Et quand on demande à Lucien si ce système ne pousserait pas certains professionnels à proposer des activités pas forcément utiles à leur patient pour se remplir les poches, la réponse est limpide : "il n’y a aucun intérêt. Si les clients se rendent compte que ça ne leur correspond pas ou qu’ils sont pris pour des idiots, ils vont partir et tout le monde en pâtira."
D’autant que le système ne s’appuyant pas sur un abonnement à régler chaque mois, claquer la porte est plus facile. Car les clients doivent bien, eux aussi, y trouver leur compte. La visio leur évite de reprendre la voiture tandis que l’absence d’abonnement enlève la pression d'aller 4 fois à la salle, un détail qui n'en est pas un. En effet, chaque séance coûte un certain nombre de crédits qui valent entre 6 et 8 euros. "Pour les cours personnalisés, le professionnel peut demander deux ou trois crédits par exemple, donc les tarifs peuvent varier selon ce que l’on veut faire. Mais une fois les crédits achetés, on les dépense quand on veut. Si on part en vacances un mois et qu’on arrête, bah on ne paie rien", complète Lucien.
Une communauté rassurante pour les professionnels
Une idée, comme beaucoup, nourrie de l’expérience du coronavirus et du premier confinement. "Mon club coach for life a été fermé pendant plusieurs mois. J’ai un pote, Melvyn qui était au taquet sur la visio, il a vite mis en place une billetterie en ligne et une bonne partie des clients s’est mise à passer par lui. Sauf que bon il était mon salarié. On a discuté pour éviter le conflit d’intérêt afin qu’il puisse travailler pour lui et pour moi. C’est comme ça que life trainer est né", expose Lucien. "On a un peu piqué l’idée aux influenceurs sur instagram, du moins pour le côté sport en visio", appuie Melvyn qui utilise sa page facebook pour annoncer les cours collectifs qu'il propose.
Désormais, life trainer peut être intégrée par n’importe quel professionnel à partir du moment où il est déclaré, diplômé et assuré. Une analyse minitieuse est menée par Lucien pour vérifier leur authenticité. "C'est aussi ouvert aux salles de sport. J’ai d’ailleurs intégré mon club," précise-t-il." L’idée c’est vraiment de créer un réseau national de gens qui peuvent se recommander les uns les autres et qu’ils aient la possibilité soit d’en faire un complément dans leur activité soit leur activité de base." Une couveuse rassurante pour les coachs débutants. "Le fait d’avoir une communauté, ce n’est pas rien quand on se lance. On n’a pas forcément 30 000 euros pour monter sa boîte, se faire de la pub", estime Melvyn.
La technologie c’est pas trop mon truc, j’aime le contact humain donc j’avais un peu d’appréhension, mais le site est hyper intuitif. Et au final, j’aime bien, on rigole bien.
En tout cas, cette solution a ravi Denise. Habituée de la salle, cette dernière avait bien sympathisé avec l’un des coachs, Melvyn. "Mais il l'a quitté pour suivre sa bienaimée à Grenoble. J’avais envie de retrouver ce contact. Il y a eu zoom pendant le premier confinement, puis il a intégré le projet", se remémore-t-elle.
"J’habite à la campagne, je suis aide-soignante avec des horaires assez anarchiques, ça évite de reprendre la route avant et après le sport, on peut caler la séance ou assister à une séance collective quand ça nous arrange. C’est agréable de pouvoir faire son sport, aller à la douche et être directement chez soi confortable", relate-t-elle.
Eviter la pression de la salle et du regard des autres
La réussite est telle, que Denise en a même élargi son cercle de professionnels. "J’ai contacté Frédéric le coach de yoga et Baptiste le diététicien." Un cap qu’elle n’aurait "pas passé s’il avait fallu pousser des portes". "On peut se dire 'mince il va me mettre sur une balance, me demander de me mettre en sous-vêtement' ça peut être une énorme source de stress. Là, si vous êtes mal à l’aise dans n’importe quel cours vous pouvez le quitter instantanément et pour les conseils, il suffit d’ouvrir votre frigo de montrer les aliments et on vous explique tout. Au niveau du sport, ils vous voient bien et peuvent facilement nous conseiller."
"L'échange est un peu différent. A la salle, on peut mettre une main sur un bassin pour redresser un gainage. Il a fallu adapter le vocabulaire, élaborer des consignes différentes avec un aspect plus descriptif. En tant que coach ça force à développer ça pédagogie, c’est très enrichissant", complète Melvyn tout aussi convaincu.
Outre le gain de temps et financier, la visio est aussi un moyen de faire du sport en se délestant de la pression d’être jugée. Denise qui "cherche à s’entretenir pour bien vieillir" ne se sent pas forcément à l’aise au milieu "de groupes cherchant plus la performance." "Si vous n’êtes pas très à l’aise avec votre corps, que vous êtes dans une condition dépressive, ou quelqu’un de très introverti, passer les portes d’une salle de sport et se confronter au regard des autres ce n’est pas facile du tout, voir impossible. Ce qui est chouette c’est que le site a gardé l’esprit de la salle, avec un suivi personnalisé et surtout des ateliers toujours en petit groupe", expose-elle.
Après l’avantage du visio c’est que là au moins, seul le coach vous voit, il peut adapter le programme en direct pour vous. Les autres ne savent pas pourquoi, ne vous voit pas, il y a un coté protecteur d’être chez soi.
"Ça peut être un tremplin pour sensibiliser à la pratique sportive"
Pour le moment, 8 professionnels sont sur la plateforme pour environ 70 inscrits. L’objectif est d’arriver à une centaine de professionnels à la fin de l’année et environ une cinquantaine de clients chacun. Pour l’instant, c’est Lucien qui a ramené la majeure partie de son réseau issu de sa salle de sport, coach for life, située à Amiens. Le créateur a notamment mis à disposition de ses collègues une vidéo youtube qui présente le projet pour qu’ils puissent l’envoyer "s’ils n’ont pas le temps ou encore la capacité de le présenter par eux-même".
Un vrai travail d’équilibriste. Pour que le projet décolle, les deux groupes doivent augmenter en parallèle. "Si on n’a pas assez de clients, les professionnels ne pourront pas soit en faire un complément de revenus soit leur activité principale. Si on n’a pas assez de professionnels ce sont les clients qui vont se lasser en ne trouvant pas les créneaux horaires qui les arrangent", présente Lucien.
En tout cas, il peut déjà compter sur une cliente. Séduite, Denise a fait passer le mot à une collègue devenue jeune maman. "Il n’y a pas la contrainte de devoir se déplacer, de payer une nounou ou de devoir attendre que son compagnon revienne garder la petite." "Et pour ceux qui n’ont pas de pass sanitaire, il n’y a pas de problème vous pouvez quand même faire du sport", ajoute Lucien taquin. "Ce n’est peut-être pas la solution miracle pour tout le monde, mais c’est une bonne alternative notamment pour les gens qui ont peur de réserver à la salle, peur des moqueries, ça peut être un tremplin pour sensibiliser à la pratique, aider à prendre confiance et peut-être même à avoir ensuite envie d’aller à la salle de sport", conclut Melvyn.