Une association de neuropsychologues a créé des ateliers de remédiation, de reconnexion des neurones dans toute la France pour soigner les patients atteints de troubles cognitifs après leurs traitements contre le cancer. Ces ateliers ont lieu en visio et concernent une majorité de femmes atteintes du cancer du sein. Une véritable avancée pour les patients.
Perte de mots, de mémoire, sensation de brouillard cérébral. Stéphanie a ressenti ces troubles dès le début de sa chimiothérapie. Sitôt le cancer du sein diagnostiqué, en mars 2021, elle entame une batterie de traitements lourds : chimio, radiothérapie et immunothérapie. "Dès les premiers jours, j’étais malade. J’avais des nausées, des douleurs et j’étais très fatiguée. Et j’ai aussi immédiatement ressenti que mon cerveau se mettait en défense. J’étais en surcharge cognitive, dépassée par le quotidien", explique Stéphanie.
D’un naturel dynamique, cette mère de deux enfants avait l’habitude de gérer plusieurs tâches en même temps. Depuis les traitements, elle ressent une surcharge mentale. "Je dois tout écrire dans les moindres détails pour me rappeler les rendez-vous, les devoirs de mes enfants... Il m’est arrivé plusieurs fois de faire brûler le repas parce que je faisais autre chose en même temps et que je n’ai pas été capable de me souvenir que j’avais une casserole sur le feu."
Un nouvel outil pour soigner les troubles cognitifs
Ces troubles cognitifs sont fréquemment ressentis par les patients ayant subi des traitements contre le cancer. Le brouillard cognitif ou chemobrain a longtemps été ignoré et traité comme un syndrome anxio-dépressif. Il est cliniquement et scientifiquement identifié depuis les années 90, mais la prise en charge de ces troubles par les médecins-oncologues est encore hésitante. Pourtant, 50 % des patients traités pour un cancer ont des troubles cognitifs.
Véronique Gérat Muller, psychologue spécialisée en neuropsychologie à l’Institut Bergonié, le centre régional bordelais de lutte contre le cancer, prend conscience du lien entre le cancer et ces troubles et, en 2019, elle décide de mettre en place des ateliers de remédiation pour les patients. "En 6 mois, on est passé de deux ateliers par mois à deux par semaine. La demande des patients était forte. Après une recherche exploratoire, on s’est rendu compte que ces ateliers étaient bénéfiques pour prendre en charge la dépression, améliorer la concentration et une reprise professionnelle", explique Véronique Gérat Muller, docteur en psychologie.
Ces ateliers ont été mis en place pour aider les patients à retrouver une vie normale.
Véronique Gérat Muller, présidente d'Oncogite, docteur en psychologie
L’association Oncogite est créée en 2019 et avec elle, une plateforme proposant des visio-ateliers, animés par des neuropsychologues dans toute la France et une application pour s’exercer entre les séances. "Ces ateliers ont été mis en place pour aider les patients à retrouver une vie normale, mais aussi une performance professionnelle. Il y avait peu de réponses médicales à ces attentes, pas d’outils pour les malades du cancer", ajoute la neuropsychologue, présidente de l’association Oncogite.
Des ateliers pour venir à bout du brouillard cognitif
Sur les conseils de sa psychologue du travail, Stéphanie intègre ces ateliers pendant son traitement contre le cancer. Assistante comptable, elle souhaitait reprendre son activité professionnelle dans de bonnes conditions. L’association lui propose 25 séances d’une heure et demie, soit six mois de suivi. Elle participe alors, chaque semaine à un groupe de travail, animé par une neuropsychologue. 12 participants situés dans toute la France, tous atteints d’un cancer, suivent des exercices pour retrouver leurs fonctions cognitives. Le travail est axé sur l’attention, la mémoire, la vitesse, la réflexion.
"Nous savons que la plupart des patients traités pour un cancer ressentent un brouillard cognitif, un ralentissement, des problèmes de mémoire, même quelques années après les traitements. La toxicité des produits atteint l’énergie du corps, mais aussi du cerveau. Le processus inflammatoire ralentit la pensée et altère l’activation des neurones. Il faut tout remettre en marche", explique Mathilde Roussel, neuropsychologue à Amiens et membre de l’association Oncogite.
Deux fois par semaine, la thérapeute reçoit, en visio, une dizaine de patients dans ses ateliers. 90 % sont des femmes, la plupart atteintes de cancer du sein ou en rémission. Et à chaque séance, elles enchaînent les exercices de concentration. "On a toujours un fil rouge. Une liste de 20 mots ou un trombinoscope dont il faut se souvenir tout au long de l’atelier. On fait autre chose et on y revient régulièrement. On élabore des stratégies de mémorisation avec des photos ou des phrases", précise Mathilde Roussel.
Des résultats probants
Au fil des séances, Stéphanie a progressé. Les premiers ateliers lui ont paru difficiles, insurmontables parfois, mais elle a tenu bon. "Au début, je décrochais très vite. Mon cerveau se mettait rapidement sur off. Puis, le brouillard s’est dissipé peu à peu dans ma vie de maman. Je l’ai constaté lors des devoirs avec mon fils. Je me sens plus armée. Je dois bientôt reprendre le travail et je ne sais pas si je vais retrouver tous les automatismes. Tout n’est pas réglé. Je cherche encore mes mots", confie-t-elle.
On constate un vieillissement cérébral prématuré de 4 ans après les traitements des cancers.
Véronique Gérat Muller, présidente d'Oncogite
L’association a déjà suivi 1 100 patients depuis 2020 grâce aux séances organisées en visio par 23 neuropsychologues. Mais il a fallu convaincre les équipes médicales du bien-fondé de cette thérapie et obtenir des financements. Des ligues contre le cancer, des mutuelles et des associations financent désormais ces ateliers, entièrement gratuits pour les patients.
D’après les études réalisées par l’association, 70 % des patients ressentent une amélioration de leurs capacités de concentration et de mémorisation. Ils se sentent, à nouveau, acteurs de leur quotidien. Et pourtant, certains partent de loin. "On constate un vieillissement cérébral prématuré de 4 ans après les traitements des cancers. Ce sont souvent des personnes jeunes, des femmes, atteintes du cancer du sein et qui doivent reprendre le travail", explique Véronique Gérat Muller.
J’étais incapable de me gérer toute seule.
Ludivine Chabaud, patiente en rémission
Ludivine a mis du temps à comprendre le mal dont elle souffrait. Après l’annonce de son cancer, la chimiothérapie et la chirurgie, elle a ressenti une fatigue physique et mentale. "J’avais l’impression qu’on avait éteint l’interrupteur. Quatre mois après le début des traitements, je n’avais plus de mémoire alors que j’en avais une très bonne avant. J’étais incapable de me gérer toute seule, de prendre le bus, de me souvenir des horaires. Ça ramait avec un process à 1 %", explique cette jeune cheffe de projet numérique.
Lors d’une conférence, elle apprend ce qu’est le chemobrain et peut enfin mettre un nom sur ses troubles. "Quand le cancer est fini, on se dit qu’on est sorti d’affaire, que tout va redevenir comme avant. Mais on ne nous dit pas qu’il y a des risques cérébraux, qu’on est en chantier et qu’il faut tout reconstruire", ajoute-t-elle. Elle aussi a pu intégrer les ateliers en visio d’Oncogite. Après une vingtaine de séances, elle constate que sa mémoire à long terme revient. "Je vois la différence. Au début, les exercices se faisaient sans moi. J’étais vite exténuée. Maintenant, je tiens une heure et demie sur des niveaux plus importants de difficulté."
Petit à petit, la remédiation cognitive commence à intéresser le milieu médical. Des oncologues relaient les actions de l’association. Un pas en avant indispensable pour les malades. Selon les patientes que nous avons interrogées et les neuropsychologues de l’association, les effets non visibles du cancer n’en sont pas moins douloureux. Un handicap qui peut pourtant durer plusieurs mois et années avant de pouvoir retrouver sa vie familiale, sociale et professionnelle.