Le procès de neuf cadres du centre d'appels abbevillois Call Expert, dont l'ancien PDG Bertrand Delamarre poursuivi notamment pour faux, usage de faux et escroquerie, devait se tenir en mai, puis à partir du 23 novembre devant le tribunal correctionnel d'Amiens. Il devrait être renvoyé en juin 2021.
Après avoir été renvoyé en mai dernier, le procès Call Expert devait se tenir les 23, 24 et 25 novembre. Un prévenu ne pouvant pas se rendre à l'audience pour motif de santé, celle-ci est reportée à une date ultérieure et pourrait finalement se tenir les 28, 29 et 30 juin 2021, selon l'avocate d'un des prévenus.
Le procès des dirigeants de Call Expert est attendu depuis plus de six ans. Le 25 mai dernier, lors du premier renvoi, l'attente commençait à être longue pour David Bachimont, ancien salarié, partie civile dans le procès. Il était délégué CGT sur le site d'Abbeville et travaille désormais dans une agence de voyage amiénoise : "J'ai tourné la page, mais j'aimerais que ce soit clôturé. Pour qu'il n'y ait plus de rappels, comme le jour de mon anniversaire il y a deux ans, quand on m'a contacté pour venir faire une déposition au commissariat de police. Ça traîne en longueur", nous confiait-il.
Une réussite insolente
Call Expert, c'est l'histoire d'une success story devenue un cauchemar. En 2001, Bertrand Delamarre, alors âgé de 29 ans, installe un centre d'appels de sa société Ad Marketing, rue d'Isle à Abbeville. L'entreprise est spécialisée dans les relations clients pour de grandes sociétés comme Carrefour ou le site internet Lastminute.com.À partir de 2006, Ad Marketing, désormais rebaptisé Call Expert connaît une croissance bondissante de 20% par an (elle atteindra en 2012 un chiffre d'affaires de 24 millions d'euros, selon la direction de l'entreprise). M. Delamarre, qui possède plusieurs centres d'appels en France, emploie environ 600 personnes (de 300 à 350 en équivalent temps plein) à Abbeville, où se trouve désormais son siège. Un choix dont il défend le bien fondé en janvier 2010 dans un entretien au Courrier picard par "la proximité avec Paris. (...) Les gens d'ici ne se rendent pas compte à quel point cette ville est bien située."
Alors que la concurrence mise sur des pays à bas coûts comme la Tunisie, Bertrand Delamarre est convaincu qu'il peut réussir son pari made in France. Ces années fastes lui donnent raison. Les collectivités locales sont séduites, à tel point que la municipalité n'hésite pas à financer pour 410 000 euros de travaux pour aménager le premier étage de l'ex-ANPE d'Abbeville et permettre à Call Expert d'installer 90 nouveaux postes de travail.
Les titres des articles de presse locale donnent le ton : "L'espoir ne connaît pas la crise" (5 avril 2007), "Call Expert, un espoir pour l'emploi" (29 septembre 2009), "Pas de friture sur la ligne Call expert" (15 octobre 2009), "Call expert embauche à tour de bras" (juillet 2010) : "Ils décrochaient des contrats à tire l'arigot et obtenaient beaucoup d'aides publiques pour embaucher", se rappelle David Bachimont.
Mais déjà, le vernis commence à craquer : "On sentait des petites choses. Des salaires versés en retard, des primes d'intéressement sur les bénéfices qui ne tombaient plus, alors qu'on faisait soi disant des bons chiffres".
Du rêve au cauchemar
Tout s'enraye définitivement en 2013. En juillet, le tribunal de commerce de Nîmes prononce la liquidation judiciaire de Call Expert Languedoc-Roussillon, une filiale du groupe, qui employait 107 salariés à St-Christol-lès-Alès (Gard).Trois mois plus tard, Bertrand Delamarre est interpellé par la brigade financière et mis en examen pour faux et usage de faux, présentation de faux bilans et abus de biens sociaux. Des faits remontant à la période 2011-2013. David Bachimont se souvient être "tombé des nues en voyant les policiers dans les bureaux et Bertrand Delamarre menottes aux poignets". Le président fondateur de Call Expert est même brièvement incarcéré, avant d'être placé sous bracelet électronique.
Effarés, les salariés découvrent même que leur patron doit plus de deux millions d'arriérés au fisc et à l'Urssaf : "Deux millions à 2,6 millions euros de dettes fiscales et sociales qu'a contractées l'entreprise au près de l'Urssaf, en cotisations retraite et en retard de paiement de TVA, avec les pénalités", révèle alors une source proche du dossier à l'AFP.
L'entreprise vacille. 800 emplois sont en jeu, dont 600 à Abbeville. Le groupe a accumulé une dette colossale estimée à 18 millions d'euros. Le tribunal de commerce doit placer l'entreprise en redressement judiciaire pour une durée de six mois. Le 26 février 2014, le projet de reprise du site d'Abbeville proposé par la société Relaytion est validé par la justice : seuls 160 postes sur 490 sont conservés.
Outre Bertrand Delamarre, huit cadres sont finalement mis en examen dans cette affaire, à des degrés divers. Ils devraient donc comparaître en juin 2021 devant le tribunal correctionnel d'Amiens.