Procès de Willy Bardon : les derniers mots pour emporter l'intime conviction des jurés

La treizième et dernière journée du procès Bardon était consacrée aux réquisitions des avocates générales et aux plaidoiries de la défense. Des prises de parole empreintes de gravité et d'émotion.

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Le réquisitoire : "Ce sont ses ravisseurs qu’on entend sur cette bande."

Ségolène Attolou sait que l’instant est grave. Sa voix est calme, ses mots pesés : "La société n’a aucun intérêt à ce qu’un innocent soit condamné. Si nous n’étions pas intimement convaincues toutes les deux, nous ne nous permettrions pas de soutenir l’accusation aujourd’hui."

Comme la veille lors des plaidoiries de la partie civile, les deux avocates générales se sont réparties le réquisitoire : à Mme Attolou, l’introduction sur la personnalité de l’accusé, à Mme Anne-Laure Sandretto, le retour méticuleux sur le dossier.

Willy Bardon est décrit comme "un bon père, généreux, serviable, gentil, pas méchant" ? "Personne n’a remarqué de changement de comportement" ? C’est pareil pour Grégory Wiart et pourtant, Mme Attoulou rappelle que son "implication dans le meurtre d’Elodie Kulik est acquise et personne ne le conteste".

Dr Jekyll et Mister Hide

L’avocate générale dépeint l’accusé comme un Dr Jekyll, dont "les proches ont pu exprimer le sentiment qu’ils ne le connaissaient pas aussi bien qu’ils le pensaient" : son côté Mr Hyde caractérisé "par cette vulgarité. […] Sa défense parle d’un lourd : c’est plus que ça, ce n’est pas anodin."

Elle exhorte les jurés à ne pas se tromper de procès : "En aucun cas, vous n’avez été réunis pour juger de la vie sexuelle de Willy Bardon." Mais de son "point de vue", Willy Bardon "n’est pas M. Tout le monde. C’est un homme autocentré, sans empathie. C’est un homme impulsif, intolérant à la frustration, ramenant l’autre au rang d’objet. C’est un homme, dont les experts psychiatres n’écartent pas la possibilité de passer à l’acte sous l’effet de groupe et sous l’emprise de l’alcool."

Le décor est posé. Place à Mme Sandretto.

Le coupable dans son entourage


Avec humilité, elle révèle d’emblée qu’il y a deux mois encore, elle ne savait pas si elle requerrait l’acquittement ou la condamnation : "Nous avons eu beaucoup de discussions avec Mme Attolou."

Mais désormais, sa conviction est claire : Bardon est coupable.

Parce que selon elle, le coupable est forcément dans l’entourage de Wiart : "Il faut la confiance suffisante pour passer à l’acte, il faut une relation particulière. Et si le nom de Willy Bardon émerge, c’est d’abord et avant tout parce qu’il y a énormément de témoignages."

Bardon signe aussi sa culpabilité par ses questions incessantes à ses proches entendus avant lui par les gendarmes, par son étrange appel à la cellule d’enquête : "Il dit qu’il s’inquiète pour Elodie D. Non, il s’inquiète pour lui. C’est toujours moi, moi et moi !" On le rassure, "les rumeurs c’est normal. Mais malgré ça, ça ne va pas l’apaiser. Il va continuer au-delà de l’audition."

Et puis, il y a la bande CODIS. "Cet appel glaçant, ces 26 secondes insupportables à entendre. Il est d’une qualité médiocre. La première fois, je n’ai rien compris. Ce que l’on sait sur cet appel, c’est qu’Elodie Kulik hurle. On sait aussi qu’il y a deux voix d’hommes. C’est une certitude. […] Je ne pourrai pas vous construire de scénario sur ce qu’il s’est passé. Mais je sais que ce sont bien ceux qui l’enlèvent qui vont la tuer. Ses hurlements en témoignent. Ce sont ses ravisseurs qu’on entend sur cette bande."

Fragilité de la seule preuve


Cette affirmation de Mme Sandretto est importante. Tout son réquisitoire tient sur ce lien de cause à effet entre l’enlèvement et ses suites macabres : le viol et le meurtre. En effet, la veille a obtenu l’ajout d’une question subsidiaire aux jurés : l’accusé est-il coupable d’enlèvement et de séquestration suivis de mort ? Une question qui n’oblige pas à prouver qu’il a tué Elodie Kulik. Subtil.

Mais il faut donc démontrer qu’il était présent à Tertry dans la nuit du 10 au 11 janvier 2002, démontrer que sa voix est bien sur la bande Codis.
 



Pas plus convaincue que la défense par le travail de l’expert judiciaire Norbert Pheulpin, "un charlatan", Anne-Laure Sandretto revient longuement sur chacune de personnes qui ont été invitées à écouter l’appel aux pompiers pour éventuellement identifier les voix masculines. Pour elle, la reconnaissance vocale par les proches n’a rien d’absurde : "On me met l’intégralité des voix du parquet, des gens que je côtoie au quotidien, je pense que je suis capable de reconnaître les gens."

Mais elle sait que la défense va marteler la fragilité de cette preuve, alors elle anticipe : "Dans un procès, vous avez parfois des éléments de preuves probantes. Vous pouvez avoir des témoignages. C’est le travail d’une cour d’Assises de faire le tri."

Comme son réquisitoire le laisser penser, l’avocate générale ne demande pas que Willy Bardon soit condamné pour sa participation au viol et au meurtre, mais enlèvement suivi de mort, et requiert une peine de 30 années de réclusion criminelle avec une période de sureté aux deux tiers. 
 

Plaidoirie de la défense :  "Vous l'acquitterez, parce que cet homme est innocent."


Pas le temps de souffler, de prendre un café. À peine l’avocate générale Anne-Laure Sandretto a-t-elle fini son réquisitoire que Stéphane Daquo, avocat de Willy Bardon, se présente devant le pupitre.

Quelle mouche l’a piqué ? Veut-il plaider tout de suite ?

En fait, Me Daquo veut répondre aux "insinuations nauséabondes de Me Herrmann".

La veille, lors de sa plaidoirie, Corinne Herrmann avait insinué que les deux jeunes femmes qui se trouvaient avec la défense devaient attendrir les jurés. "La première est ma propre fille, la deuxième est une collaboratrice de Me Bailly. C’est odieux. La collaboratrice travaille sur le dossier depuis deux mois. Elle n’a pas droit d’être là parce que c’est une femme ? Ma fille est en terminale. Elle veut devenir avocate comme moi. C’était déloyal, honteux, je n’ai pas d’autre mots", précise-t-il, visiblement ému.

Il se tourne vers les jurés : « Votre mission sera d’avoir une intime conviction. Vous aurez trois possibilités : répondre oui, je suis convaincu qu’il est coupable ; non, je ne suis pas convaincu. Vous aurez aussi la possibilité de dire que vous ne savez pas. Ce n’est pas une dérobade, une porte de sortie, une lâcheté. Est-ce honteux de dire qu’on ne sait pas ? »

Pour Me Daquo, Willy Bardon aurait toujours fait preuve d’une étonnante franchise face aux gendarmes : "On lui demande s’il trompe sa femme, il ne cache rien. Il reconnaît les bars à thème. A-t-il caché une seule minute qu’il aimait faire l’amour avec ses règles ?" S’adressant à son client : "Monsieur, soit vous êtes honnête, soit vous êtes le parfait des imbéciles !"

Mais pour l’avocat, Bardon est surtout la victime d’une enquête injuste, dont il rappelle "les failles, non, les gouffres". Les lettres de Katy D. qui n’ont pas été relayées à la cellule d’enquête, l’absence de son sur la vidéo de sa garde à vue, la caméra non rallumée à un moment important d’une audition de témoin : "Je ne dis pas que c’est de l’incompétence, mais à tout le moins, c’est de la négligence."

Cette instruction "extrêmement tendue" est aussi, selon Stéphane Daquo, à mettre au discrédit des juges qui ont refusé les demandes d’actes ou ne lui donnent pas la bonne adresse lors d’une reconstitution des faits qui n’en a pas le nom : "On ne devait parler de reconstitution, mais d’interrogatoire sur les lieux du crime, pour que la juge filme les réactions de Willy Bardon…"

Mais les coups les plus de durs de Me Daquo, sont contre le "bon sens" cher à Me Seban, avocat de la partie civile. Un bon sens qu’il oppose à la "rigueur scientifique". La reconnaissance vocale n’est pas une preuve suffisante. D’ailleurs, les experts de la police scientifique entendus au procès n’ont-ils pas remis en cause la qualité sonore de la bande Codis ?

Et Me Daquo d’attaquer les arguments de la partie civile, notamment l’importance du timbre de la voix de Willy Bardon : "On vous a dit : "Le timbre de la voix, c’est le visage ! " Mais on n'a pas oublié la qualité de la bande ? Un visage flou qu’on a vu de manière furtive. Si je regarde au fond de la salle, que je vois un visage qui tourne la tête, je vais le garder en mémoire ? Bon sens, rigueur scientifique."

Il prend pour exemple une autre affaire. Un jeune homme qui s’est pendu à un arbre. "Des gens sont passés devant et ont dit que c’était un suicide. Mais le légiste a prouvé qu’il avait été étranglé avant. Si j’étais à la place de Willy Bardon dans le box, je voudrais que cette rigueur scientifique s’applique."

Et conclut : "Vous l'acquitterez parce que cette bande est inaudible, parce que cet homme est innocent".

La deuxième plaidoirie de la défense est celle du jeune Me Marc Bailly.

Sa mission : démonter les rumeurs et imprécisions contre Willy Bardon, comme l’accusation d’agression sexuelle sur Elodie D., démentie par l’intéressée à la barre ou le témoignage à charge d’Amandine R. qui s’est finalement un peu dégonflée devant la cour.

La partie civile soutenait la veille que "c’est de la scène de crime que viendrait le fantasme des règles : les experts psychiatres l’ont contredit".

Pour Marc Bailly, une condamnation de Willy Bardon serait une erreur judiciaire comme "Jean-Marie Deveaux, Patrick Dils, Marc Machin, les accusés d’Outreau. Le seul chemin que vous pourrez emprunter avec honneur et courage est celui de l’acquittement."

Le dernier à prendre la parole est Me Gabriel Dumenil. Il s’approche des jurés : "La décision que vous serez amenés à prendre tout à l’heure, elle vous suivra toute votre vie. Vous êtes les juges d’un jour, mais vous serez les juges de toujours pour cet homme-là."

Comme Me Daquo, il critique l’enquête : "Dire que toutes les pistes ont été fouillées, que tout a été fait, ce n’est pas vrai." Il ose même donner des noms.

Et finalement, il en revient comme tout le monde à cet élément central de l’accusation : la voix de son client. Une preuve unique, fragile, mais qui pourrait sceller le destin de Willy Bardon, comme dans d’autres procès devenus mythiques : "Dreyfus, on avait le bordereau. Radad, du sang sur le mur. Outreau, les expertises psychiatriques. Bardon, on a la voix."

La voix de Willy Bardon justement, on l’entend une dernière fois, lorsque la présidente lui donne la parole avant que les jurés ne se retirent pour délibérer. "Je peux comprendre la douleur de M. Kulik. Mais je n’y étais pas. Je vous le jure M. Kulik".

G.G.


Jour 12 - la puissante plaidoirie de Me Herrmann

Me Corinne Herrmann s’est peu exprimée pendant le procès, laissant la primauté à Me Didier Seban, autre avocat des parties civiles. Aujourd’hui encore, son temps de parole a été le plus court des plaidoiries. Mais à la fin, ce sont ces mots qui auront marqué les esprits.

Aux jurés qu’elle doit convaincre, l’avocate aurait voulu "raconter Elodie, sa vie, ce qu’elle était" : "je ne le ferais jamais mieux que Jacky, que Fabien [ndlr : le frère d’Elodie Kulik], que ses amis. Je ne saurais pas le faire. J’ai perdu les mots pour vous parler d’Elodie".

Des mots pourtant, elle en a pour décrire l’horreur du crime. Des mots crus et tranchants. Me Herrmann n’élude rien : "elle est morte figée dans un viol. Un viol d’une barbarie inouïe au point que son sexe en a été déchiré". Dans son enfance, Elodie était surnommée « Boucles d’or ». Mais "son visage a été brûlé. Il n’y avait plus de boucles d’or. Elle n’avait plus de cheveux".

Une scène de crime "signée"

L’avocate de la partie civile n’est pas une débutante. Avec Me Seban, depuis 20 ans, ils en ont "vu des meurtres, des éventrations, des corps suppliciés. Mais celui-là, croyez-moi, c’est le pire". Elle signale au passage que même le légiste a été marqué par l’état du corps.

Pour elle, pas de doute : Bardon est coupable. Autant que Grégory Wiart : "cette scène de crime est signée. Par l’ADN de Grégory Wiart, on ne peut pas le contester. Mais elle est tout aussi bien signée par Willy Bardon, par sa voix, par sa vision des femmes".

Sa voix. Ses proches ont reconnu "son timbre" qui est comme "son visage". Notamment son frère René qu’elle sent "dans le doute et ce doute [lui] permet de reconnaître que Willy Bardon est coupable".

Une plaidoirie "dans l'émotion et la colère"

Sa vision des femmes. Sûrement la signature ultime selon Me Herrmann.

L’avocate se tourne vers l’accusé : "vous êtes une injure aux femmes. Je ne peux pas vous laisser dire que vous aimez les femmes. Vous aimez le sexe et la jouissance qu’elles vous apportent, mais vous n’aimez pas les femmes".

Et Me Herrmann ne le cache pas, elle est "dans l’émotion et la colère". La colère d’une femme, de toutes les femmes qui apprennent à avoir peur, à rentrer en voiture plutôt qu’à pied : "de la naissance à la mort, on vit ça toute notre vie. Toute notre vie, on fait attention. C'est comme ça."

De Katy D., l’ex-compagne de Grégory Wiart, Willy Bardon avait dit qu’il ne savait pas "si elle était bonne". "Et Elodie, elle était bonne Elodie, hein ? ", s’écrie l’avocate.

Bardon ne bouge pas.

Répondre à l'appel d'Elodie

Pour Corinne Herrmann, en condamnant Willy Bardon, les jurés, symboliquement, sauveront celle, qui avait trouvé la force dans ses derniers instants de vie de composer le 18 à 0h22 dans la nuit du 10 au 11 janvier : "les cris d'Elodie retentiront dans nos têtes pendant très longtemps. Elle a appelé au secours encore et encore. Jacky et Fabien n’ont pas pu porter secours, mais vous, vous pouvez répondre à son appel".

Derrière la colonne en pierre de la salle d’audience, on surprend Fabien Kulik en larmes. Me Herrmann évoque son père, sa mère Rose-Marie et sa petite Lola, qu’on dit le portrait craché de sa tante. Une tante qu’elle ne connaîtra jamais.

Les derniers mots de la plaidoirie de Me Herrmann sont pour Willy Bardon. La veille, il avait surpris tout le monde en assurant que libre, il consacrerait ses revenus à la recherche du coupable : "ne dépensez pas d’argent pour une enquête. Vous avez déjà la réponse".

G.G.

Jour 11 - l'accusé clame son innocence à la barre


"Je n’y étais pas". Ces mots sont l’alpha et l’omega de l’interrogatoire de Willy Bardon. Ils ouvrent et ferment cette « opération sincérité ».

En se présentant à la barre, l’accusé en chemise bleu pâle, le dos droit, a sûrement conscience que tout peut basculer cet après-midi.

Deux heures plus tôt, la salle d’audience avait vécu le moment le plus fort en émotion depuis le début du procès : Fabien et Jacky Kulik avaient rendu de vibrants hommages à leur sœur et fille Elodie. Mais Jacky avait aussi crié sa soif de justice, que Bardon soit condamné à perpétuité : "je ne le crois pas sincère".

Pendant trois heures, l’accusé va tenter de prouver le contraire. Pas aux Kulik bien sûr, ni au public largement hostile, mais aux jurés.

Supporter la pression

Bardon s’est donc préparé à tout.

Le "c'est ma voix" déclaré aux gendarmes lors de sa garde-à-vue, le 16 janvier 2013, après écoute de la bande Codis ? Il a en fait reconnu "une voix identique à la sienne" et accuse les enquêteurs de lui avoir mis la pression pour qu’il avoue : "A force de me dire « C’est toi ! » Vous finissez par croire que c’est vous..." Plus tard, il ira jusqu’à affirmer qu’un gendarme lui a hurlé dessus.

Finalement, la pression, il a appris à la supporter. Face à l’avocat de la partie civile, il plie, mais ne rompt pas.

Sa sexualité débridée n’est plus un mystère pour qui a suivi le procès. Alors, quand Me Didier Seban l’interroge, il assume et donne même des exemples : le gang bang, "c’était en région parisienne, il y avait plusieurs hommes et plusieurs femmes" ; le triolisme, "ça s'est produit une fois au bar Le Relax à Chauny avec un collègue et une femme. J'ai raccompagné la demoiselle chez elle à la fin".

Gentleman Willy Bardon ? Franchement, on en doute un peu. Mais l’important pour lui est de marteler que ses rapports avec les femmes n’ont jamais été violents.

"Je n'ose plus regarder les femmes"

Et le "je vais te violer et te tuer" prononcé à l’encontre de l’automate d’une station-service ? Il admet avoir prononcé ces mots, "ce sont des conneries". D’ailleurs il assure avoir beaucoup changé ces dernières années : "je n’ose plus regarder les femmes. J’ai trop peur des réactions. Avant, je sentais pas que j’étais agressif dans mes regards, dans mes paroles..." On est rassuré. Surtout pour sa compagne Amélie, longtemps maîtresse officielle.

Il veut tellement prouver sa bonne foi, qu’il propose de passer au détecteur de mensonges. "Ce n’est pas possible en droit français !", s’emporte le représentant de Jacky Kulik.

Le problème, c’est qu’à force d’être sincère, le passionné de 4x4 a tendance à déraper.

Comme lorsque Me Seban lui rappelle ses SMS à Amélie pour qu’elle accepte un rapport sexuel pendant ses règles :

"Le fait que ça ne lui plaise pas, vous vous en fichez puisque vous insistez, vous insistez, vous insistez !
- Oui, j’insiste un peu. Comme pour un cadeau. Je ne l'ai pas forcée. Je voulais une Ferrari, mais je n'ai pas eu ma Ferrari non plus
".

Indignation bruyante dans la salle. Rappel à l’ordre de la présidente.

"Tout le monde est contre moi"

Les questions de ses avocats lui permettent de raconter l’instruction de son point-de-vue. De raconter son inquiétude quand les gendarmes viennent à six heures du matin le chercher, le menotter et le placer en garde-à-vue : "J’ai pas dit au revoir à mon fils, j’ai pas dit au revoir à Christelle", raconte-t-il la voix cassée.

"Willy, Willy, la plupart des juges ici ne sont pas professionnels. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est une garde-à-vue. C’est comment ?", demande Me Gabriel Dumenil.
- C’est horrible".

De son point-de-vue, "tout le monde est contre [lui]". Les autres prisonniers, lors de sa détention préventive, où il est placé à l’isolement "pour sa sécurité". La juge d’instruction, les gendarmes, Norbert Pheulpin…

Il le répète, il veut lui aussi savoir qui a tué Elodie. Maladroitement, il supplie la cour : "si je suis acquitté, je serai au côté de monsieur Kulik, même s’il ne veut pas de moi, pour découvrir la vérité, pour qu'il n'y ait plus de doutes sur moi".

Pour soutenir son client, Me Stéphane Daquo revient sur une surprenante conversation téléphonique diffusée en début d’audition. Un appel de Bardon aux gendarmes pour se plaindre des "ragots" à son sujet : "Vous appelez le gendarme et vous lui parlez de votre ADN : vous jouez à la roulette russe ! - Non, car je n’y étais pas".

Un homme sincère ou un roi du poker menteur ? Aux jurés de trancher vendredi après-midi, après les plaidoiries et les réquisitions.

G.G.


Jour 10 - la volte-face du "frère de lait" fragilise l'accusation


"Avec le recul, on peut se tromper." Les mots de Romuald sont lourds de sens. A plusieurs reprises, il a assuré aux gendarmes et à la juge d’instruction qu’il reconnaissait la voix de Willy Bardon sur la bande Codis.
 
Mais ce matin, à la barre, le pompier professionnel âgé de 41 ans est moins formel. Selon lui, les questions des enquêteurs étaient orientées sur Willy Bardon avant l'écoute.
 
Et quand la présidente Martine Brancourt lui demande s’il a "un doute aujourd'hui sur monsieur Bardon", la volte-face est spectaculaire : "non, il m'a assuré en prison que ce n'était pas lui et je le crois".
 
L’avocat général, Anne-Laure Sandretto, a pourtant du mal à croire aux pressions subies. Si elle avait pu tancer le directeur d’enquête au sujet des méthodes parfois contestables des gendarmes, elle ne voit rien de problématique concernant Romuald.
 
Mais pour en avoir le cœur net, Mme Sandretto demande et obtient le visionnage de l’enregistrement d’une audition de la garde-à-vue du 16 janvier 2013.
 
Sur l’écran, il est ému et concentré, quand il découvre pour la première fois les cris d’Elodie Kulik. "Ça fout les boules", dit-il au gendarme. Puis, il sort du champ de la caméra pour une seconde écoute au casque. Puis une troisième. "C’est bon, c’est bon, c’est bon. Je pense que c’est Bardon Willy. A 98%".
 
On voit ensuite une seconde vidéo : la confrontation entre les deux hommes. Un moment particulièrement tragique. Romuald n’est pas n’importe qui. C’est le « frère de lait » de Bardon. Techniquement, il est son neveu, mais ils n’ont que quatre ans d’écart et ont été élevés ensemble dans une grande famille recomposée.
 
Les deux "frangins" sont assis côté-à côte, menottes aux poignets, en larmes :
"C’est toi, dit Romuald
- Non, c’est pas moi, assure un Bardon visiblement assommé.
- Si tu sais quelque chose, il faut avouer."
 
Willy Bardon n’avouera jamais.
 
Romuald confirme ses certitudes dans un reportage de télévision et lors de plusieurs conversations téléphoniques, dont une avec Christelle, la compagne de Bardon à l’époque. Un échange diffusé en audience qui touche l’accusé. Il pleure.
 
Devant le jury, Romuald ne lâche rien. Les gendarmes lui ont retourné la tête pour qu'il accuse son frère. "Ça interpelle quand même, remarque la présidente Martine Brancourt. Comment garder une position aussi longtemps et après, faire un virage à 90° (sic) ? " Pas de réponse du témoin.
 
Soudain, il se tourne vers Jacky Kulik. "Je suis franc monsieur, on ne rigole pas avec des choses comme ça". La remarque n’a pas l’effet escompté.
"Vous êtes le deuxième pompier qu'on entend. Saviez-vous que ma fille voulait être pompier ?, lui demande le père de la victime.
- Non, répond Romuald.
- Je ne voudrais pas qu'elle le soit."
 
Le témoin se frotte les mains nerveusement. Comme cette audition aux Assises, les dernières années ont été difficiles à vivre, "ça bouffe la famille". Justement, des proches l’auraient-ils poussé à changer de point de vue sur Willy Bardon ? Une assesseure, malicieusement, lui demande s’il côtoie encore son frère. C’est le cas. "Vous avez dit avoir été influencé par les gendarmes. Vous êtes quelqu’un d’influençable ? – Un petit peu."
 
A ce moment du procès, il n’est pas aisé de se faire une idée. Le témoignage de Romuald favorisera-t-il plutôt l'accusation ou la défense ?
 
Plutôt la défense. Les avocats de Willy Bardon font diffuser l'enregistrement sonore du passage de Romuald lors de la reconnaissance vocale organisée par Norbert Pheulpin. Le travail de cet expert judiciaire, aujourd'hui décédé, a été remis en question par des spécialistes durant le procès. Et on comprend pourquoi.

M. Pheulpin n'arrête pas de parler. Surprenant pour un scientifique. Et ce qu'il dit est proprement hallucinant. Pour présenter à Romuald ce qu'il appelle un line-up, il dit :
"Il s'agit de bribes de phrases comportant des éléments de voix que vous connaissez... en l'occurence Willy Bardon." Il répète à plusieurs reprises être convaincu que la voix de l'appel au Codis et celle de l'accusé sont les mêmes. Ce qui pousse un Romuald hésitant à acquiescer. Plus orienté, tu meurs...

La voix sur la bande Codis était le pivot de l'accusation. Nous avons appris avec des experts que la reconnaissance automatique était impossible dans le cas qui nous intéresse. Nous avons découvert que la reconnaissance par des proches était biaisée. La plaidoirie à venir du talentueux Me Seban semble désormais la seule chance pour la partie civile d'emporter l'intime conviction des jurés.

G.G.


 


Jour 9 - la voix de Bardon encore reconnue par deux témoins à la barre


On attendait beaucoup des témoignages de Ludovic C. et Denis N.

Ces deux hommes entendus lundi après-midi par la cour, font partie de ceux qui ont reconnu la voix de Willy Bardon sur l’appel aux pompiers d’Elodie Kulik.

Finalement, leurs témoignages n’ont pas dissipé les doutes sur la culpabilité de Willy Bardon. L’image donnée de l’accusé est toujours assez détestable, mais ils tendent à confirmer le parti pris des enquêteurs contre lui tout au long des investigations.

Ludovic C. avait travaillé pour Grégory Wiart entre 2001 et 2002, mais l’expérience avait tourné court : "je le connaissais comme mauvais payeur". Willy Bardon est apparu dans sa vie quelques temps après, à travers ce loisir omniprésent dans le procès : le 4x4.

"J'ai reconnu sa voix, mais je n'accuse pas"

"Il venait chez moi, je venais chez lui". Bref, il le rentrait dans la catégorie des "copains" et comme il dit à la cour avec certitude : "quand les copains m’appellent, je les reconnais directement". Alors forcément, lors de sa garde-à-vue en janvier 2013, il identifie "la voix de Willy".

"J'ai reconnu sa voix, c'est pour ça que je suis là. Mais moi je n'accuse pas". Soit.

Avant l’écoute de l’appel au Codis, Ludovic avait déjà lâché aux gendarmes le nom de Bardon, comme possible complice de Grégory Wiart. La raison ? Un incident, dont il avait été témoin deux-trois ans plus tôt et qui "a fait tilt" comme il dit, après la médiatisation de l’implication de Grégory Wiart.

Ce jour-là, les deux hommes se retrouvent devant l’automate d’une pompe à essence à Thourotte (60) qui avait (malheur !) une voix féminine. La carte bancaire de Willy Bardon est avalée par la machine. Celui-ci, énervé, aurait dit : "rends-moi ça vieille putain ! De toute façon je te violer, tuer, brûler !".

"C’était des conneries, minimise l’accusé.
- En disant ça, vous vous identifiez au meurtrier !
", lui répond Didier Seban, avocat de la partie civile.

"Celle-là on va la violer, la tuer, la brûler", des menaces qu’il aurait proférées en d’autres occasions, quand il avait bu et sous le coup de la colère, selon la déposition de Ludovic lors de sa garde-à-vue :

"Vous l’avez entendu ?, demande Me Seban.
- C’est déjà arrivé
", confirme le témoin à la barre.

Une audition en partie non filmée

Pour l’avocat général, Anne-Laure Sandretto, comme pour la défense, cette audition du 16 janvier 2013 pose problème. Pas sur le fond. Sur la forme. Le nom de Bardon a-t-il été suggéré à Ludovic ? Il assure que non, que "les gendarmes ont fait leur travail. Ils étaient assez durs, mais sans plus, corrects". Dont acte.

Le problème, c’est que le procès-verbal indique qu’elle s’est terminée à 23h55. Or, la vidéo se termine à 23h35. L’écoute de l’appel aux pompiers n’a pas été filmée. Interrogé sur ce nouveau raté (cf. la vidéo sans son de l’audition de Bardon), le gendarme en charge de l’audition ne sait quoi répondre :

"La seule explication, c’est que je suis sorti de la salle et qu'à ce moment le directeur d’enquête a demandé de faire écouter la bande à toutes les personnes en garde-à-vue", tente d’expliquer le Major Eric M.

Mais pourquoi ne pas remettre en marche la caméra lors de l'écoute ? "Un oubli"…

Dénoncer Bardon pour se disculper ?

Le témoignage de Denis N. ressemble beaucoup à celui de Ludovic.

Lui aussi a dû faire face au mauvais payeur Grégory Wiart à l'été 2003 : comme il ne rendait pas l'argent qu'il devait "je l'ai attrapé au café, je l'ai un peu secoué et je l'ai emmené à la banque". Et puis, lui aussi est convaincu que l’une des voix masculines sous les cris d’Elodie est bien celle de Bardon.

En revanche, Denis N. a été un temps suspecté par les gendarmes. Même Ségolène Attolou, avocat général, en a le sentiment après visionnage des vidéos des auditions.

Ne dénonce-t-il pas Willy Bardon pour sauver sa tête ? Il assure que non.

Autre « spécificité » du témoin, il avait déjà été entendu par les gendarmes en 2002. Comme le remarque Gabriel Dumenil, défenseur de l’accusé, il n’avait alors pas évoqué Willy Bardon à l’inverse des interrogatoires de 2013…

Me Dumenil poursuit en dévoilant que les PV des nombreuses auditions de Denis N. ne retranscrivent pas fidèlement les enregistrements vidéo. Et parvient habilement à faire reconnaître au témoin que les enquêteurs l’orientaient vers Willy Bardon.

Une chose est sûre, ni Ludovic C., ni Denis N. ne nous vraiment orienté vers la manifestation de la vérité.

G.G.

 
 

Jour 8 - le surréaliste témoignage de Katy, ex-compagne de Grégory Wiart


"Je vous le jure sur la tête de qui vous voulez, monsieur Kulik, que si je savais quelque chose, je le dirais !" La voix chevrotante, Katy s’est tournée vers le père de la victime. L’ex-compagne de Grégory Wiart, décédé en 2003 et seul suspect confondu par son ADN pour le crime d’Elodie Kulik, cherche le pardon. « Je ne mets pas à votre place, mais je pense souvent à votre fille et à ce qui lui est arrivé, » lui glisse-t-elle à la barre, devant la cour des assises de la Somme, ce 30 novembre.

"Je ne vous crois pas", assène Jacky Kulik, après un léger silence. Puis il demande le micro. "Vous savez des choses, madame, assure-t-il, très calme. Avec la présence de votre ADN sur la scène du crime… Je ne vous crois pas. (…) Vous dites penser à ma fille, mais moi je pense au vôtre, en espérant qu’il ne devienne pas comme son père," à savoir Grégory Wiart, qu’elle ne désigne aujourd’hui que par "l’autre".
 

Un témoignage teinté de surréalisme

La témoin de la matinée occupe une place particulière dans l’enquête : excepté l’actuel accusé Willy Bardon, elle est la personne que les gendarmes ont le plus convoquée pour être auditionnée. Son ADN a de même été retrouvé sur un préservatif présent sur la scène du crime, anomalie qu’elle justifie par le fait qu’elle craquait avec les dents les emballages de condoms de son compagnon, pour lui faire savoir qu’elle savait qu’il lui était infidèle.

Cette affirmation est malmenée par la cour et le parquet. "Excusez-moi madame, mais n’importe qu’elle personne trouvant un préservatif percé, comme votre conjoint, ne va pas l’emporter pour s’en servir de nouveau mais va plutôt s’en débarrasser aussitôt !" demande un assesseur. Katy ne peut lui répondre que par un "pourtant, c’est ce que j’ai fait."

"Vous ne parlez de cette pratique de percer volontairement ces préservatifs que lorsque les enquêteurs vous confient que votre ADN se trouve sur la scène du crime. (…) Excusez-moi madame, mais on peut imaginer que, lors d’une balade avec votre compagnon, il aurait pu vous amener sur les lieux," tente Mme Sandretto, l'avocate générale. "Jamais. J’étais enceinte de huit mois, c’était impossible," rétorque la mère de l’enfant de Grégory Wiart.

Placée en garde à vue en 2012, Katy a formellement identifié ce dernier et l'accusé sur l’enregistrement de l’appel aux pompiers passé par la victime avant de trouver la mort, le 11 janvier 2002. La mise en détention de Willy Bardon et les enquêteurs ne l’auraient pas influencée : "j’ai reconnu direct l’autre, et aussi l’intonation de Willy Bardon. Il a une manière particulière de parler," assure-t-elle à la défense, alors qu’elle n’a plus côtoyé les deux hommes après 2003.
 

Les fausses lettres de menaces de mort

Seule personne à décrire Grégory Wiart comme violent, Katy s'est envoyée des lettres de menaces à son propre domicile fin 2002 pour, affirme-t-elle, "alerter les gendarmes sur le fait que "l’autre" me battait."

Sur ces lettres figurent des menaces, écrites en lettres découpées, telles que "tu vas brûler comme les autres". "C'était un appel à l'aide. Comme l'affaire d'Elodie Kulik était médiatisée, je voulais attirer l'attention. J'ai fait ça comme si je mettais à la place d'Elodie Kulik," glisse Katy en baissant les yeux.

"Mais les gendarmes viennent vous voir et vous interrogent ! A aucun moment, vous ne leur faites part de violences congugales ! Et vous continuez à vous envoyer des lettres! (...) Vous ne vous êtes jamais dit que la solution la plus simple était de partir ?" argue la procureure. "Je voulais qu'ils le prennent sur le vif, et j'étais chez moi, c'est lui qui vivait chez moi," répond la témoin.
 

"Elle ment"

Aujourd'hui, la nature de ces menaces et la personne qu'elles incriminaient, 10 mois seulement après les faits, résonnent étrangement. "Au nom de M. Kulik, je vous demande de dire la vérité !" tonne Me Seban, devant une Katy qui se résout seulement à dire qu'elle ne sait rien.

A sa sortie du tribunal, Jacky Kulik semble déterminé à affronter la dernière semaine du procès. "Quand elle affirme qu'elle ne sait rien, elle ment. Elle ment, elle ment, répète-t-il. On a affaire à un clan, et ce clan va craquer. Vous allez voir lundi. Ca va être aussi important qu'aujourd'hui." L'audience reprendra lundi 2 décembre à 9 heures, avec le témoignage de Christophe, ancien apprenti de Grégory Wiart et régulièrement mis en cause par les témoins entendus jusqu'à présent.



V.P.


Les sept précédentes journées du procès.

 
Willy Bardon, accusé d'enlèvement et séquestration, viol en réunion et homicide volontaire aggravé sur la personne d'Elodie Kulik. Il est seul rescapé parmi les suspects. 

Selon le déroulé des audiences de la deuxième semaine de son procès à Amiens, il doit être interrogé mercredi 4 décembre. Les plaidoiries et les réquisitions sont prévues le jeudi 5 décembre.
 
Le lendemain, vendredi 6 décembre, après avoir écouté l'accusé, les jurés se retireront pour délibérer et rendre leur verdict.

Willy Bardon encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
 
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