Témoignage. "Avant de plaider, on a peur" : avocat pénaliste, Stéphane Daquo raconte les dessous du métier

Publié le Écrit par Chloé Caron

Son nom vous est peut-être inconnu. Pourtant, Stéphane Daquo a défendu de nombreuses victimes et accusés en Picardie. Parmi eux, Willy Bardon condamné pour le meurtre d'Élodie Kulik. Portrait de cet avocat, figure d'empathie et de résilience.

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Stéphane Daquo, avocat en droit pénal et droit de la famille depuis plus de 25 ans, a représenté bon nombre d'accusés dans des affaires médiatisées. Parmi eux, Julien Masson, le beau-père de Yanis, un enfant de 5 ans, mort pour un pipi au lit en février 2017. Le jour du drame, pour punir Yanis d'avoir mouillé le matelas, son beau-père l'avait fait courir près d'une demi-heure le long d'un chemin de halage sous 5°C, en slip. Le petit garçon succombera après de multiples violences.

Exercer le métier d'avocat est une vocation pour Stéphane Daquo : "je veux faire ce métier depuis que j'ai 10 ans. J'ai toujours voulu faire du droit pénal. Peu importe que ce soit de la défense ou partie civile, je fais autant l'un que l'autre. C'est selon les sollicitations que j'ai", confie l'avocat de 54 ans, assis à son bureau. Alors, pour préparer ce type de défense, lorsque Me Daquo est face à quelqu'un qui a été responsable de la mort d'un enfant, l'avocat fait plus que travailler, il essaie de comprendre. "On tente aussi de le faire réagir par rapport à son comportement, de l'aider à faire jaillir une réflexion de son côté qui puisse permettre d'éviter toute récidive", explique l'avocat.

Mon combat, c'est ça. C'est montrer aussi que la personne qui est dans le box ce n'est pas une bête.

Stéphane Daquo, avocat en droit pénal et en droit des familles.

L'idée, pour lui, est d'être aux côtés de personnes qui sont "humainement perdues, face à un système judiciaire qui est parfaitement en capacité de les broyer". Des personnes qui n'ont pas les mots, les moyens de se défendre. "Mon combat, c'est ça, ajoute-t-il. C'est montrer aussi que la personne qui est dans le box ce n'est pas une bête. C'est un être humain comme nous et qu'à ce titre, il mérite d'être assisté."

L'un des avocats de Willy Bardon, accusé du meurtre d'Élodie Kulik

Le corps d'Élodie Kulik, une directrice d'agence bancaire de 24 ans, avait été découvert en janvier 2002, en partie calciné, dans un champ de la commune de Tertry (Somme). La jeune femme avait été violée avant d'être tuée. La principale preuve contre Willy Bardon était un enregistrement vocal provenant d'un appel téléphonique passé par la victime aux gendarmes au moment de son agression. Bardon clamait son innocence, il était seul contre tous.

Dans ce genre de cas, la première étape est l'écoute. "La première fois qu'on rencontre quelqu'un, c'est souvent en garde à vue, donc, on n'a que sa version puisqu'on n'a pas accès au dossier, explique-t-il. Après cela, on l'assiste tout au long de l'information judiciaire." Le travail du juge d'instruction dure généralement entre 18 à 24 mois. C'est à ce moment que l'avocat a accès au dossier de son client. Me Daquo a pour habitude de confier à ses clients ce qu'il pense du dossier, pour une raison bien simple : "je vais devoir plaider devant des individus. Si la lecture du dossier m'enseigne que la version que m'a donnée mon client ne tient pas la route, je suis obligé de lui dire. Parce que si même moi, je n'arrive pas à le croire, il est évident que son système de défense ne sera pas entendable."

Défendre l'indéfendable ?

En tant que pénaliste, Stéphane Daquo a conscience que n'importe qui peut "basculer de l'autre côté". Tout le monde peut se retrouver devant une cour d'assises. L'intérêt de l'avocat, est d'apprendre ce qui a pu "dysfonctionner" en eux : "que ce soit dans leur vie, dans leur jeunesse, ou à un moment donné, quelque chose qui fait qu'on vrille", précise-t-il. "Je suis peut-être un peu original dans ce côté-là du métier, mais ce qui m'intéresse essentiellement, c'est de faire en sorte que ces gens comprennent qu'ils ont commis un acte qui est répréhensible et qui est puni par la loi. Mon idée, c'est de faire en sorte qu'ils ne recommencent pas."

L'avocat ne choisit pas ses affaires. Toute personne qui lui demande aura son écoute. "Au départ, je prends tout, affirme-t-il. Après, si jamais on ne s'entend pas, que ça ne fonctionne pas, je dis non, je ne peux pas aller plus loin. Mais je n'abandonne jamais personne uniquement parce que l'affaire ne me plaît pas. Ce n'est pas comme ça que je fonctionne."

S'attacher aux clients qu'il défend, c'est une spécificité qu'il partage avec beaucoup de ses confrères. "Il y en a, probablement, qui font passer un certain nombre d'autres choses avant, mais à un moment donné, on travaille avec des individus, avec de l'humain, et nous aussi, on est humains, confie-t-il. Donc forcément ça a un impact, c'est une évidence." Derrière sa robe d'avocat, Stéphane Daquo reste sensible à ses affaires passées. Il a toujours en tête, au moins une quarantaine de personnes dont il aura toujours en souvenir la douleur, le regard, les larmes.

Quand un dossier d'assises commence, Me Daquo s'isole dans sa bulle, parfois en dépit de ses proches. La famille de l'avocat doit aussi vivre au milieu des affaires. Pour le procès de Willy Bardon, à mon domicile, le dossier était en totalité parsemé sur la table : "mes enfants et mon épouse ont dû supporter le temps que j'ai passé à travailler sur ce dossier. Chacun a aidé en classant pour m'aider parce que ça allait plus vite. Oui, ce sont des semaines et des semaines. Des heures et des heures."

Une figure d'empathie

Quand cet avocat passe autant de temps sur un dossier et que finalement la personne est condamnée, la culpabilité prend le dessus. L'avocat l'affirme, non sans émotion : "On ne dort pas bien. Quand vous avez été aux côtés d'un homme qui crie son innocence pendant des mois et que cet homme repart avec trente ans de réclusion criminelle, vous vous demandez ce que vous avez mal fait." L'avocat partage la douleur des gens. Il porte l'avenir de ses clients lorsqu'ils encourent une peine importante. Humainement, c'est très difficile. "Vous savez, moi, quand je suis aux assises, toutes les nuits précédent un dossier, dès que je me réveille, je me mets à plaider en me disant, 'tiens, qu'est-ce qui serait bien comme idée, qu'est-ce qui serait pertinent ?' La difficulté, c'est que généralement, je ne le note pas tout de suite pour pas réveiller tout le monde chez moi, et je finis par oublier."

J'imagine mes confrères qui ont dû plaider au moment où la peine de mort existait.

Stéphane Daquo, avocat

Robert Badinter est un exemple pour Stéphane Daquo, principalement son travail qui a permis d'abolir la peine de mort en France."Vous savez, on est malade quand on plaide. Avant de plaider, je peux vous dire qu'on a peur." Les derniers moments avant de plaider sont particulièrement difficiles. "J'imagine mes confrères qui ont dû plaider au moment où la peine de mort existait. J'ai déjà laissé un client partir avec perpétuité, je n'ose même pas imaginer ce que ça aurait été si jamais j'avais déjà accompagné un homme au pied de la guillotine."

Avec Gaëlle Fauquembergue / FTV

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