"Quand il faudra rembourser cet hiver, on risque de replonger" : restaurateurs et patrons de bar de Picardie inquiets

Fin avril, certains restaurateurs et patrons de bar nous confiaient leurs inquiétudes quant à une réouverture potentielle de leurs établissements. Un mois après la reprise, le moral revient mais en demi-teinte. Pas de touristes, des clients encore en télétravail, l'activité marche au ralenti. 

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Il y a un mois, Thierry Martin, restaurateur et patron de bar à Amiens depuis plus de 20 ans, était pessimiste. Propriétaire ou gérant du Ad'hoc Café, du Baobar et du My Goodness, 3 établissement situés à Saint-Leu, le quartier touristique et festif de la ville, il voyait l'avenir de la profession très menacé, au point d'écrire une lettre au président de la République et au ministre de l'Economie.

Aujourd'hui, l'inquiétude est toujours là. Il redoute la disparition des plus petits. "Tous les gens qui ont moins de deux ans ont peu de chance de s’en sortir. Je réclame une aide à la solidarité mais ni les banques ni les assurances ne donnent. Ils ne veulent pas payer. Or si les assurances nous versent entre 5 et 10%, on peut être sauvés. Elles font croire que ça va coûter des milliards, c'est faux" s'emporte le restaurateur. "On nous montre du doigt, on nous laisse tomber. Tant que les assurances et les banques ne payeront pas, on risque de mourir" insiste-t-il. Une vague de fond dit qu’il faut augmenter les prix mais il ne faut surtout pas le faire. C'est une hérésie. Les clients ne sont pas responsables de nos pertes".

"J'ai peur qu'on nous oublie"

Toujours à Amiens, si Kristiyan Banchev peut lui aussi de nouveau accueillir les clients dans son restaurant le Cheers, à Amiens, il travaille beaucoup moins qu'avant la crise. La clientèle du midi est partie et il sait qu'il n'aura personne entre 14h et 19h30. Pour autant, il ne fermera pas avant 1h du matin. "J'ai peur qu'on nous oublie, que puisqu'on est ouvert, on croit que tout est beau, tout est rose".
 

Mais le restaurateur a ouvert en novembre 2019. Il comptait sur les premiers mois de 2020 pour attirer les clients et commencer à rembourser son crédit. Il a finalement dû contracter un prêt garanti par l'État en plus d'un fond de solidarité qui se monte à 1500€ : "Pour l'instant, on a encore de la trésorerie. On n'a pas tout dépensé. Le premier crédit de l'ouverture, on l'a repoussé de 6 mois et on commence à le rembourser en septembre. On a étalé sur plusieurs mois pour ne pas se retrouver sans rien mais à partir de septembre, on est obligé de payer quoiqu'il arrive". 
 

"C'est par le travail qu'on s'en sortira"

Co-gérant du Green Corner, un bar éco-responsable ouvert à Amiens en septembre 2019, Pierrick Bachelet est moins angoissé qu'il y a un mois. Comme la plupart des établissements, lui aussi a dû faire un prêt garanti par l'État : "Des sous, on en a pour relancer l'activité. On a tous fait des prêts supplémentaires à la banque. Mais cet hiver, il faudra rembourser et on n’aura qu’un an pour le faire. La première année, le taux est à 0,25% mais après, ce sera le taux en vigueur et là, ce sera le coup de grâce".
 

Alors le patron de bar a élargi son amplitude horaire. Il reste ouvert de 10h30 à 1h30 : "Le gros risque, ça ne va pas être cet été mais cet hiver. Avant, on était fermé le lundi et entre 14h et 17h. Il faut avoir la plus grande amplitude horaire. C'est par le travail qu'on s'en sortira".
 

"C'est une épée de Damoclès économique"

Est-ce que les clients vont revenir ? Est-ce que le télétravail va rester la norme ? Charles-Edouard Barbier est partagé entre la joie de revoir les clients et l'inquiétude sur l'avenir. Le propriétaire de L'auberge Les Tilleuls, située à Heilles dans l'Oise, déplore une baisse de 25% de son chiffre d'affaire sur le mois de juin par rapport à l'an dernier. : "Comment on va pouvoir payer les reports avec un chiffre d'affaire en baisse ? S'il n’est pas en croissance, comment va-t-il pouvoir assurer les charges ? On a déjà des établissements à flot qui ont la tête hors de l’eau mais à partir du moment où il faudra rembourser, on risque de replonger. C'est une épée de Damoclès économique".
 

Également vice-président départemental de l'Umih 60, l'union des métiers et des industries de l'hôtellerie, Charles-Edouard Barbier poursuit : "On ne peut pas travailler avec cette hypothèse car économiquement, elle serait désastreuse. Donc on veut rester optimiste et essayer de se battre pour l’allègement des normes et des règlementations qui pèsent sur la profession. Aujourd'hui, on est celle qui subit le plus de normes alors qu'en même temps, il y a de nouveaux acteurs qui s'affranchissent de toutes règlementations, tels qu'Airbnb ou Chef à domicile. Nous, les règlementations croissent d'année en année".
 

En demi-teinte

Il voulait rester confiant en avril dernier, Christophe Duprez l'est toujours à ce jour. Le président de l'Umih 80 et propriétaire du restaurant Le Quai et du bar Le Nelson à Amiens, espère toujours l'anulation totale des charges pour les professionnels du secteur : "Tout ce qui est exonération des charges, c'est toujours en discussion et plutôt en bonne voie. Là où je suis un peu déçu, c'est sur la fréquentation du midi. C'est creux. On n'a pas les touristes, les séminaires, les groupes. Tout ça, ce sont des personnes qui ne consomment pas. Et la saison des groupes est déjà derrière car elle vient surtout en avril, mai, juin. 80% de ce marché-là est derrière nous".

Le président de l'Umih 80 entrevoit la saison à venir en demi-teinte : "50% des hôtels à Amiens sont toujours fermés. On n'a pas le taux de remplissage donc on ferme mais j'espère qu'on ne refuse pas. Il faut que l'économie se remette en route. Le phénomène des vacances vient de démarrer. La colorisation de la cathédrale reprend. Ça va se jouer dans la reprise". 
 

"On rentre dans nos petits frais"

L'absence des groupes de touristes, c'est ce qui pèse le plus pour Aurélie Hébert. Cette année, la gérante du bâteau Le Picardie, amarré à Amiens, ne se fait plus d'illusions. Elle n'a fait que 3% de son chiffre d'affaire en avril, mai et juin.
Ouvrant habituellement ses deux salles de restaurant d'avril à octobre, elle sait déjà qu'elle ne dépassera pas les 15% d'ici la fin de la saison.Depuis le déconfinement, elle ne peut accueillir ses clients que le week-end et sur réservation : "On travaille principalement avec des groupes de personnes âgées. Depuis 87, on n'a eu aucun souci sauf que cette année, tous les groupes ont annulé. Or pour pouvoir naviguer, il me faut un minimum de 30 personnes. Avec des individuels, ce n'est pas possible. Je ne peux donc pas ouvrir la semaine. Normalement, j'ai de mai à septembre une centaine de personnes du lundi au dimanche et là, je n'ai que 20 clients individuels. Du coup, on n'ouvre que les weekends. On rentre dans nos petits frais".

Malgré un bilan bien maussade, Aurélie Hébert reste positive sur l'avenir : "Je ne pense pas que la situation soit critique. J’espère faire une saison 'fois deux' l’année prochaine".
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