Témoignage. Réfugiés syriens, ils réagissent à la chute de Bachar Al-Assad : "Comment trouver les moyens pour vivre si on rentre en Syrie ?"

Publié le Écrit par Inès Messaï

Alors que la dynastie Assad est tombée ce dimanche 8 décembre, les réfugiés syriens à Amiens retrouvent un peu d'espoir. Muhanad et sa femme Najwa se réjouissent, tout en gardant quelques réserves. Ils nous racontent leur histoire.

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Dimanche 8 décembre, de scènes de liesses ont éclaté dans toute la Syrie alors que les rebelles ont pris Damas. Tous fêtaient surtout la fin de 53 ans de dictature de la dynastie Assad. À 4 000 km de là, à Amiens, Muhanad et Najwa se réjouissent aussi : "On était très contents, on savait que ce serait très difficile d'en arriver là. C'était comme un rêve pour nous !". Ils ont presque du mal à y croire. "On était surpris parce qu'on a essayé longtemps et ça fait longtemps qu'on a laissé tomber les Syriens. J'étais très optimiste en 2011 quand la révolution a commencé, mais quatre ans plus tard, c'était plus difficile. Il y avait un million de morts et douze millions de réfugiés. Dans le monde, personne ne disait rien."

L'histoire d'un exil traumatique

C'est pour ne pas ajouter leurs noms à la liste des morts que le couple a décidé de fuir le pays en 2014. À l'époque, ils étaient avocats tous les deux : "J'ai été en prison à trois reprises et c'était très difficile. Donc j'ai démissionné. Je savais la liberté très chère. J'ai manifesté contre le régime, c'étaient des manifestations pacifiques et c'est à cause de ça que j'ai été en prison."

Alors que sur place, les Syriens découvrent l'horreur des prisons du régime, désormais ouvertes, Muhanad s'imagine le sort de ceux qui sont restés : "C'étaient des prisons très difficiles comme vous avez pu le voir. Moi, j'ai vécu cette période. Il y avait même des enfants là-bas. On était très maltraités. Ils m'ont même cassé le bras. Mon père et mon frère aussi ont été en prison. Et au bout de la troisième fois, j'ai compris que je ne pourrai rien faire dans ce cas. J'ai compris que j'allais finir par mourir si je restais, alors j'ai quitté le pays pour aller au Liban."

En Syrie, une autre menace se superposait à celle du régime en place : Daesh. Malgré le fait qu'il se définisse comme athée, Muhanad y a échappé de justesse : "Un mois après mon départ, la communauté ismaélienne (Ndlr, courant chiite de l'islam) a été considérée comme communauté athée, c'est la raison pour laquelle, ils ont commencé à tuer les Ismaéliens."

Ceux qui sont restés n'ont pas eu pu les éviter. "En 2014, Daesh a tué 57 personnes dans notre ville, des civils, des enfants, des femmes. Pendant un an, on était entourés de plusieurs groupes radicaux, Daesh et Al-Qaïda, et le régime n'a rien fait pour dire : 'Vous voyez ? Daesh tue les minorités et si je pars, vous ne serez plus protégés.'", raconte-t-il.

Un retour difficilement envisageable

Maintenant que le régime est déchu, Muhanad et sa femme aimeraient rentrer en Syrie pour retrouver leurs proches. Le couple n'a pas pu les revoir depuis leur départ. Leur fils n'a même jamais vu le pays dans lequel ils sont nés. Mais, leurs titres de réfugiés ne leur permettent pas d'y retourner. De toute façon, pour l'instant, ils restent sceptiques à l'idée d'aller y vivre.

D'abord, parce qu'après huit ans en France, ils ont construit toute une vie et surout une stabilité qu'ils ne veulent pas perdre. "Je commence à avoir une vie stable en France. On a acheté une maison, il y a l'école de mon fils, je prépare le concours d'avocat ici...". Muhanad a même fait une demande de naturalisation qui devrait bientôt être instruite.

Au-delà de leur attachement à la France, la famille craint les dommages matériels causés par treize ans de guerre. "Là-bas, il n'y a pas de sécurité économique. Jusqu'à présent, il n'y a rien qui marche : pas d'eau courante ni d'électricité. Comment trouver les moyens pour vivre si on rentre en Syrie ? Ce n'est pas clair pour le moment.", s'inquiète Muhanad, dont le père, tailleur, a dû stopper son activité faute de courant électrique.

La crainte d'un retour imposé

Plus important encore, pour l'heure, leur sécurité n'est pas garantie sur place. Pas plus que celle du reste du peuple syrien : "Tout le monde a peur. Si on retourne en Syrie, où ira-t-on ? Au nord ? Au sud ? Partout, c'est compliqué... Hier, il y avait la guerre au nord entre les Kurdes et les Arabes. Maintenant, c'est au bord de la mer... Les frappes israéliennes sont partout depuis trois jours. Les Américains sont toujours sur le territoire aussi. Les Turcs sont au nord de la Syrie."

Juriste dans une association d'aide aux réfugiés, le père de famille s'inquiète des récentes réactions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides : "Je pense que si l'Ofpra veut suspendre les demandes d'asile pour les Syriens, c'est pour empêcher les soutiens de Bachar Al-Assad de venir en France. Par contre, pour renvoyer les réfugiés, c'est trop tôt parce que la situation n'est pas claire encore."

Encore incertain sur l'avenir de leurs pays, le couple voit tout de même renaître un espoir disparu : "Le voyage est encore long avant de pouvoir rentrer, mais on a tous envie de retourner chez nous. Moi, je ne suis pas né là. Toute ma famille et tous mes souvenirs sont en Syrie. J'y ai été arraché." Tous deux s'imaginent de nouveau revoir leurs proches un jour, mais ils n'ont de cesse de marteler : "la route est longue".

Avec Élise Ramirez/ FTV

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