Lorsqu’un membre de la famille est autiste, toute la famille est concernée. Que deviennent les frères et les sœurs ? Et comment les accompagner ? Nous avons recueilli leurs témoignages. Entre sentiment d’injustice, résilience et hyper-protection, ils tentent de se frayer un chemin.
Le vécu de la fratrie a longtemps été ignoré. Les frères et sœurs sont souvent impactés de manière significative par l’autisme au sein de leur famille. Cette condition n'est pas sans répercussion sur leur vie quotidienne, leurs relations familiales et leur développement émotionnel. Ils peuvent ressentir du stress, de la confusion et même du ressentiment face aux défis que l’autisme pose à leur frère ou sœur. Ces émotions peuvent être liées directement à l’organisation familiale et aux remaniements qui en résultent. Les réactions de la fratrie seront très diverses, s’orientant vers des comportements de résilience ou de réparation ou alors vers des attitudes plus pathologiques.
Une adaptation familiale nécessaire : la résilience
Lorsque Loulou est né, Lilly et Gabin, les aînés de la fratrie, avaient 6 ans et 4 ans. Les premières années déjà, l'hyperactivité de leur petit frère a obligé la famille à réorganiser le quotidien : les sorties, les rendez-vous médicaux, les courses. Tout a été bouleversé. Et lorsque le diagnostic est tombé, tous ont dû revoir leurs priorités.
Loulou fait des crises de frustration et de colère et ça, c’est dur à gérer parce que je ne sais pas comment le calmer
Lily, sœur de Loulou, autiste.
Le petit garçon, qui a aujourd'hui 9 ans, est autiste non-oralisant (non-verbal) sans déficience intellectuelle et il est porteur de trouble déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH). Les aînés ont appris à s’adapter aux comportements de leur frère et à créer, avec lui, une complicité. "On joue ensemble, on regarde des dessins animés ensemble, on danse. On s’amuse. Il est super content", annonce Lily, qui a maintenant 15 ans. Mais cette bonne humeur cache aussi des moments difficiles.
"Parfois, il fait des crises de frustration et de colère et ça, c’est dur à gérer parce que je ne sais pas comment le calmer et que je n’arrive pas à comprendre pourquoi il fait ça. C’est le plus dur", ajoute l’aînée. Pour Gabin, 13 ans, le plus difficile est de s’adapter aux crises de son petit frère. "Ce qui est compliqué c’est de savoir gérer les crises. Il s’énerve assez vite et il met très longtemps avant de redescendre et de se calmer. Le pire dans les crises, c’est quand il jette des trucs. Il casse des vases, des verres, l’aspirateur, des livres. Il mord aussi. Il frappe. Il pince. Je ne lui en veux pas quand il est comme ça parce que je sais que c’est hyperdifficile pour lui, qu’il n’est pas bien et qu’il ne sait pas comment faire pour se contrôler. Il n’y est pour rien en fait. Ce n’est pas volontaire : il ne peut pas s’en empêcher. Ce qu’il faut, c’est lui apprendre à se contrôler. Et ça prend un peu de temps. Mais il va finir par y arriver, je le sais". Une résilience et une empathie qui caractérisent la plupart des fratries confrontées à l’autisme.
Ce handicap créé des dynamiques familiales complexes. Il peut générer des sentiments d’injustice et d’incompréhension. Les frères et sœurs d’un enfant autiste peuvent se sentir délaissés ou négligés par les parents, souvent submergés par un quotidien, fait de rendez-vous médicaux et d’attention de tous les instants. L’enfant autiste prend alors une place considérable dans la famille. Pourtant, tout au long de l’interview, aucun des deux adolescents n’a témoigné de jalousie, ni de rancœur vis-à-vis du petit frère. Au contraire, ils insistent sur l’équilibre que la famille a su trouver. "Parfois, c’est un peu dur parce que maman s’occupe énormément de lui. Mais elle a toujours le temps de rester avec nous et de s’occuper de nous, de faire les devoirs avec Gabin, de faire à manger avec moi", explique Lily.
Selon Inès Debry, psychologue clinicienne libérale à Amiens, la fratrie est souvent très compréhensive vis-à-vis des parents. "Nous savons que les parents ayant un enfant en situation de handicap sont bien souvent très pris par les rendez-vous et l’organisation autour de l’enfant en situation de handicap. Il est normal pour la fratrie de se mettre à l’écart et de 'préserver' leurs parents de certaines situations car certains enfants peuvent voir leurs parents dans des situations délicates notamment d’épuisement psychique et physique. En tant qu’aidants, les enfants de la fratrie vont naturellement s’effacer au profit de l’enfant TSA qui prendra davantage de place et qui pourra avoir des réactions parfois très fortes."
Quand les gens disent des choses méchantes sur lui, ça me fait de la peine pour mon frère parce que je sais que ça lui fait mal.
Gabin , frère d'un enfant autiste
Dans cette famille monoparentale, le quotidien est fait d’adaptation mais quand il s’agit de la confrontation avec le monde extérieur, les regards critiques et d’incompréhension provoquent la colère de Lily et Gabin. "J’ai pris l’habitude de me moquer du regard des autres mais ce qui me gêne le plus, c’est leur comportement. La dernière fois, il faisait une crise dans un magasin. Et une dame a dit qu’il ne fallait pas l’emmener dans un magasin si ça le fait souffrir comme ça. Elle a dit à maman qu’elle était une mauvaise mère. Mais Loulou était juste en train de faire une crise de frustration parce qu’on lui avait refusé un gâteau. Ça n’avait rien à voir avec le bruit ou le monde. Surtout qu’il adore les magasins. Les gens parlent sans savoir et donnent leur avis alors qu’on ne leur demande rien. Leurs paroles me gênent parce qu’ils ne comprennent pas qu’il est autiste, pas sourd." Gabin aussi est touché par ces situations qui fragilisent son propre équilibre. "Pour les gens, un autiste qui ne parle pas, a un retard intellectuel. Et c’est vraiment pas le cas de Loulou ! Il sait un tas de trucs que même moi, je ne connais pas ! Et quand les gens disent des choses méchantes sur lui, ça me fait de la peine pour mon frère parce que je sais que ça lui fait mal et que ça le rend triste."
Faire du handicap une force
Mais lorsqu’on leur demande de quelle manière ils ont mûri dans cette relation avec leur petit frère autiste, la réponse ne se fait pas attendre. "J’ai appris énormément de choses que je ne pensais pas apprendre si je n’avais pas eu un petit frère autiste. Maman nous explique plein de trucs là-dessus. On lui pose des questions sur le handicap, sur le fonctionnement du cerveau. C’est vraiment très intéressant d’avoir un petit frère comme ça. Franchement, il est cool ! Et puis ça nous apprend aussi à faire plus attention aux autres quand ils ont des difficultés", confie Lily. Pour ces enfants, confrontés au handicap dans la famille, la force et la sensibilité ont pris le dessus. "Ça nous apprend à être plus patient et gentil avec les gens qui ont des différences ou un handicap. Je le prends comme un avantage d’avoir un frère comme Loulou. Ça nous permet de passer devant tout le monde dans les magasins ou dans les musées", ironise Gabin.
Un rôle de protecteur
Selon leur place dans la fratrie, selon leur âge, selon la solidité de leur personnalité en construction, selon le vécu parental et la communication au sein de la famille, chaque frère et sœur adopte un comportement différent. Il se cherche et tente de se frayer un chemin dans l’univers atypique de son égal.
Comme Lily et Gabin, Manon, 23 ans, qui vit dans l’Oise, près de Compiègne,a toujours endossé un rôle protecteur vis-à-vis de son frère de trois ans son cadet. Hugo a été diagnostiqué autiste Asperger à l’âge de 14 ans, après un long parcours d’entretiens et de tests qui a duré dix ans. Pendant cette période, leurs parents ont tenté de ne pas laisser Manon de côté, de ne pas faire de différence entre le frère et la sœur, même si la maman nous confie qu’il était nécessaire parfois de négocier. "Pour nos rendez-vous à l’hôpital, on s’arrangeait toujours pour que ce soit pendant les heures de cours où Manon était à l’école. Mais ce n’était pas toujours simple pour Manon à qui on demandait parfois de s’effacer. Hugo prenait beaucoup de place, il parlait fort, il coupait la parole. À table, par exemple, j’étais souvent obligée de dire à Manon d’attendre qu’il ait fini de parler pour éviter les crises. Elle comprenait même si elle râlait. On a passé du temps auprès d’Hugo, il a fallu s’adapter à sa particularité. Les autres enfants peuvent en souffrir. Manon ne le dit pas mais elle se plaignait souvent de douleurs comme pour nous dire qu’elle existait", explique Cathy.
Nous avons dormi ensemble jusqu’à mes 13 ans parce qu’il avait peur du noir.
Manon, sœur d’Hugo, autiste.
De son côté, Manon se souvient des crises difficiles à vivre, des violences que son frère s'infligeait et elle avoue aussi avoir pu prendre des coups involontaires quand elle essayait de le canaliser. Mais, ce dont elle se souvient le mieux, c’est d’avoir joué le rôle de protectrice. "Nous étions dans la même école pendant deux ans. Je le suivais jusque dans la classe, dans ses activités extrascolaires. Quand il n’arrivait pas à dormir à la crèche, on m'appelait pour que je l’endorme. Nous avons dormi ensemble jusqu’à mes 13 ans parce qu’il avait peur du noir. Moi, ça me convenait parce que j’avais des angoisses nocturnes aussi".
La protection vis-à-vis du frère ou de la sœur autiste est assez répandue, selon Inès Debry, qui relativise toutefois le phénomène. "La protection est plus développée ou, en tout cas, la sensibilisation des enfants au handicap de manière générale. Cependant, cela n’est pas toujours le cas car finalement le handicap de leur frère ou sœur est parfois invisible pour eux tant cela fait partie de leur normalité à eux. Finalement, leur frère ou leur sœur ne sont pas définis pour eux par leur handicap et donc le handicap devient quelque chose d’invisible et fait partie de la personnalité de leur frère ou sœur", explique la psychologue.
Avec l’âge, les crises d’Hugo ont diminué et ses liens sociaux se sont développés. Il est désormais vice-président de l’association GEM autisme Oise, à Compiègne, un groupe d’entraide mutuelle pour les adultes porteurs de TSA (trouble du spectre autistique). "Nous avons gardé une complicité et je le comprends beaucoup mieux qu’avant. Je sais les choses qu’il faut éviter par exemple, le second degré, qu’il ne comprend pas. Mais c’est plus facile de sortir avec lui, d’aller au restaurant. Avant, tout changement de programme l’angoissait. Maintenant, il s’adapte mieux. Et quand il a envie de me voir, il vient chez moi et on discute. C’est basique et simple mais efficace", s’amuse Manon.
L'accompagnement des fratries : de l’écoute à la pair-aidance
Lorsque Manon était plus jeune, l’accompagnement des fratries d’enfants autistes n’était pas développé en France. L’entourage n’était pas pris en compte dans les soins. Depuis trois ans, les associations œuvrent pour aider et soutenir les frères et sœurs. Cet accompagnement prend la forme d’ateliers et de sorties sans les frères ou sœurs autistes.
On l’oublie trop souvent, mais (les frères et sœurs) sont les premières victimes du handicap dans l’entourage proche.
Margot Labouche, Présidente de Aid’ensemble
Dans la Somme, l’association Aid’Ensemble, créée en 2023, qui regroupe parents et professionnels spécialisés dans les troubles neurodéveloppementaux, propose des activités manuelles, des sorties à la ferme, au bowling, au zoo, au cirque... tous les week-ends. "Les familles viennent à l’association, puis nous répartissons les groupes. Les enfants avec particularité d’un côté, les parents en atelier papotage et les fratries d’un autre côté. Cela permet aux frères et sœurs de prendre du temps pour soi parce qu’on l’oublie trop souvent, mais ils sont les premières victimes du handicap dans l’entourage proche", explique Margot Labouche, présidente de Aid’Ensemble Somme et autrice d’un mémoire sur "l’impact du diagnostic sur la fratrie".
Pour Inès Debry, qui est également secrétaire adjointe de l'association, il est indispensable de ne pas mettre les fratries de côté. "Ils doivent énormément s'adapter dans leur quotidien. Ces enfants de l’ombre, qui sont des aidants naturels, ne doivent surtout pas être oubliés. C’est à nous, en tant que professionnels ou au travers d’associations d’aidants, de pouvoir être une main tendue, faciliter le dialogue, la communication de leurs vécus, les amener à s’évader le temps d’ateliers de loisirs, sans leur frère ou sœur porteur de handicap mais avoir la possibilité de vivre un moment qui leur appartient à eux, totalement."
Ces rencontres sont l’occasion, pour ces fratries, de s’ouvrir aux autres, de créer des liens. "L’autisme est particulier parce qu’il isole. Grâce aux sorties, ils rencontrent d’autres enfants parce que c’est parfois difficile pour eux d’inviter des copains à la maison. Et puis, on discute, on échange sur ce qui les tracasse. Ici, il n’y a pas de jugement. Ils ont le droit de dire qu’ils en ont marre. Ils échangent aussi beaucoup entre eux, les langues se délient vis-à-vis de leur problématique familiale. On cherche des solutions. Notre objectif, c’est la réponse par les pairs. On favorise la pair-aidance", ajoute la présidente de l’association. Depuis plus de dix ans, cette assistante sociale de formation, cadre dans le service social et bénévole dans différentes associations, accompagne les enfants porteurs de troubles neurodéveloppementaux (TND) et de troubles du spectre autistique (TSA) et leurs familles. Elle insiste sur l’accompagnement personnalisé de chacun des enfants. "Les frères et sœurs développent des comportements différents. Il y a ceux qui préfèrent se rendre invisibles. On les entend souvent dire : 'C'est pas nous qui avons un problème, c’est lui. Occupez-vous de lui plutôt. Moi, je n’ai pas besoin d’aide'. Mais quand on creuse un peu ensemble, ils se rendent compte qu’ils ont besoin de soutien. Ils se sont oubliés en se donnant une mission inconsciemment. Celle de protéger, de s’effacer. Et puis, les enfants que nous rencontrons le plus souvent à l’association, souvent les cadets, ont des comportements de défis. Ils manifestent leur existence par la turbulence, en se mettant en avant. Ceux-là demandent plus."
En grandissant, les troubles de l’enfant autiste peuvent s’apaiser et avec eux, les relations avec la famille s’améliorent. Les frères et sœurs que nous avons interrogés sont unanimes. Ils ont beaucoup appris de cette relation et ont su en tirer une force malgré les difficultés. "Cette expérience me rend plus sensible aux autres. Cela m’a appris à m’adapter à la société et aux différences. Si Hugo n’était pas mon frère, je n’aurais pas su que les mots avaient autant d’importance. Je suis devenue diététicienne et cette hypersensibilité m’aide auprès de mes patients", décrit Manon.