Hausse des loyers, manque de logements sociaux, lenteurs administratives… Les associations craignent une augmentation des expulsions alors que la trêve hivernale touche à sa fin, ce 1er avril 2024.
Les locataires en difficulté ne sont plus à l'abri de la rue. Ce lundi 1er avril 2024 marque, comme tous les ans, la fin de la trêve hivernale. Les expulsions locatives peuvent donc reprendre.
Cette trêve, qui a lieu chaque année, suspend du 1er novembre au 31 mars l'expulsion d'un locataire, entre autres pour cause d'impayés successifs. Et ce, y compris si elle a été prononcée par un juge. Les forces de l’ordre ne peuvent ainsi pas intervenir pour contraindre une personne à quitter son logement pendant cette période.
21 500 ménages expulsés en 2023
En 2023, d’après le ministère du logement, 21 500 ménages ont été expulsés de leur domicile. Un record et un chiffre en progression de 23 % par rapport à l’année précédente. La Fondation Abbé Pierre estime qu’environ 140 000 personnes sont menacées par la fin de la trêve hivernale. Patrick*, 45 ans, en fait partie. “Je ne sais pas comment je vais faire, je préfère ne pas y penser… Je risque de me retrouver dehors”, souffle le quarantenaire.
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Locataire du même logement depuis vingt ans à Armentières, cet ancien agent d’entretien perd son emploi l’année dernière. Dans la foulée, suite à des retards de loyers, dus à des allocations de la CAF qui n’ont pas été versées à temps, son nouveau propriétaire le somme de quitter les lieux.
Je ne sais pas comment je vais faire, je préfère ne pas y penser… Je risque de me retrouver dehors.
Patrick, 45 ans, expulsé de son logement
Après un dossier de surendettement à la banque de France, il réussit à se remettre à jour du paiement de tous ses loyers. Mais après des déboires bureaucratiques avec la CAF (Caisse d’Allocations Familiales), le tribunal tranche en sa défaveur. La semaine dernière, un huissier vient lui remettre un commandement de quitter les lieux. “Comment je peux avoir une décision de mauvais payeur alors que j’ai tout payé en temps et en heure ?”, se désole Patrick. “Je ne suis pas responsable des erreurs de la CAF !”
Des retards administratifs qui entravent les ménages
Le locataire doit donc quitter son domicile d’ici la fin du mois de mai. Sans quoi, les forces de l’ordre pourront venir le déloger. “Je vis très très mal cette situation”, précise Patrick. “Je suis en dépression, j’ai eu des pensées noires, j’ai voulu me foutre en l’air.” Son dossier de DALO (droit au logement opposable) est en cours d’examen. La procédure peut prendre trois mois… Il espère obtenir le droit à un logement social avant la fin de ses deux mois de “préavis” et son expulsion effective.
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Pour Antonio Delfini, sociologue et président de l'APU (Atelier populaire d'urbanisme) du Vieux-Lille, la situation du mal-logement en France est “vraiment catastrophique”. Comme dans la situation de Patrick, le président d’association pointe du doigt “les entraves administratives pour les ménages” à payer leurs loyers.
Les loyers ne sont pas impayés, ils sont impayables.
Antonio Delfiniprésident de l'APU du Vieux Lille
“Il peut s’agir de retards qui peuvent venir de Pôle Emploi dans le versement d’indemnités, de la CAF pour des allocations, de la préfecture pour l’obtention de titres de séjour… Et qui les empêchent de payer leur loyer”, raconte Antonio Delfini. Un cercle vicieux qui est au cœur des difficultés rencontrées par les personnes menacées d’expulsion.
Et qui s’ajoute à “des loyers qui augmentent en permanence alors que les ressources et les revenus sont stables”, précise le responsable associatif. “Les loyers ne sont pas impayés… Ils sont impayables !” Pour lui, il est “inévitable que l’on se retrouve avec des gens en situation d’impayés.”
Les associations veulent “des mesures fortes”
Pour endiguer la crise du logement, Antonio Delfini demande “des mesures fortes”. À savoir “des constructions de logements sociaux, une baisse des prix du logement privé, l’application de la loi de réquisition qui n’est pas du tout appliquée.”
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Cette loi prévoit la possibilité pour le préfet de réquisitionner des locaux, vacants depuis plus de 12 mois, appartenant à des propriétaires, dans les communes où l’offre et la demande de logements seraient déséquilibrées au détriment de personnes précaires.
On voit déjà les résultats de la loi Kasbarian, avec une augmentation de 23% à l’échelle nationale des expulsions locatives.
Antonio Delfiniprésident de l'APU du Vieux Lille
Enfin, Antonio Delfini appelle au retrait de la loi Kasbarian. “On voit déjà les résultats, avec une augmentation de 23% à l’échelle nationale des expulsions locatives”, affirme-t-il. Cette loi, portée par Guillaume Kasbarian, actuellement ministre du logement, a été adoptée en juillet 2023. Elle vise à protéger les logements contre l'occupation illicite et à accélérer les procédures d’expulsion des squatteurs – et donc, des locataires en situation d’impayés.
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*Le prénom a été changé.