Une épée médiévale, découverte lors de fouilles préventives en juin 2022, est pour la première fois présentée au public jusqu'au 2 juillet au musée de Picardie. Fait rarissime en archéologie médiévale, on connaît sa provenance et son état de conservation est exceptionnel.
La découverte d'une épée complète constitue un fait relativement rare en archéologie médiévale. Celle qui est présentée au musée de Picardie jusqu'au 2 juillet, mérite donc le détour et ce n'est pas Richard Jonvel qui dira le contraire : "une épée, on en trouve une dans sa carrière d'archéologue, rapporte le chef du service archéologie d'Amiens métropole. Je ne pense pas en retrouver une deuxième comme ça."
C'était il y a un an. Alors que l'archéologue s'active sur le chantier de fouilles de l'hôtel Morgan, 5 rue Condé à Amiens, il découvre l'arme au fond des anciens fossés de la ville comblés au XVe siècle.
"Le contexte archéologique est connu"
"Cette découverte est exceptionnelle pour deux raisons, explique l'archéologue. Le contexte archéologique est connu et les éléments organiques constitutifs de l'épée sont présents. Il y a plein d'autres épées qui ont été trouvées aux XIXe et XXe siècle, sauf qu'on ne connaît jamais d'où elles viennent exactement et dans quel contexte elles ont été trouvées. Par exemple, on avait découvert dans la Seine en 2018 et 2022, une épée médiévale qui ressemble beaucoup à celle d'Amiens, mais lors de dragage. Donc c'étaient des épées qui avaient été perdues dans le fleuve et loin probablement de leur lieu de perte, entraînées par l'eau. Par contre, cette épée-là, c'est la chance énorme qu'on a, c'est qu'on sait qu'elle provient du fossé défensif de la ville. On connaît l'endroit et en plus, on sait que ce fossé est abandonné définitivement à l'extrême fin du XVe siècle, dans les années 1480 et cette épée était forcément antérieure à l'abandon de ce fossé de la ville."
"On a la présence d'éléments organiques"
L'autre particularité de cette découverte est qu'elle s'est faite en milieu tourbeux et humide. Un environnement propice à la préservation. Non seulement l'arme n'avait presque aucune corrosion, mais elle était complète. "L'intérêt du milieu humide, c'est de conserver les matériaux organiques. Ce qui fait qu'outre l'épée qui était en fer et en alliage cuivreux pour le pommeau, on a retrouvé au niveau de la poignée, les deux lamelles de bois, le cuir et la trace en négatif de la cordelette qui venait enserrer la poignée, donc l'élément cuir qui était en contact de la main. Ces éléments organiques, on les a retrouvés en fouilles, ce qui est rarissime. Des spécialistes de l'archéologie médiévale, comme Nicolas Portet, qui a fait des études très poussées sur cette épée, lui, n'avait que deux exemples, au Danemark et en Finlande."
L'état de fragilité de ces éléments ne permet toutefois pas de les exposer. En revanche, leur bonne conservation laisse penser que si l'épée avait été rejetée avec son fourreau, des traces en auraient été observées. L'actuel profil courbe de la lame est dû aux conditions de son dégagement.
C'est donc une épée nue, mais droite, qui a été abandonnée dans les fossés médiévaux d'Amiens avant le XVe siècle. "Elle est intéressante parce qu'elle est polyvalente. Elle marque l'époque où le bouclier disparaît de l'infanterie. Du coup, les épées remplacent le bouclier. Elles servent autant à tailler l'adversaire qu'à donner l'assaut."
L'épée sous toutes les coutures
Après un premier nettoyage au centre de Ribemont-sur-Ancre, l'épée est analysée dans les moindres détails. Longue de 98 cm, elle pèse 820 g. D'après une étude typologique, cette épée, caractérisée par son pommeau rond, aurait été fabriquée entre 1325 et 1355.
Une radiographie a révélé au moins deux inscriptions. L'une au niveau de la gorge, la partie centrale de la lame, l'autre, au niveau de la soie, juste au-dessus de la garde. Celle-ci pourrait être celle de l'atelier de fabrication ou avoir une fonction protectrice à connotation religieuse. Seule l'analyse du métal pourra donner la provenance du minerai utilisé.
"Il y avait à Amiens, dans le quartier Saint-Leu, le moulin Taillefer, qui n'existe plus aujourd'hui. Comme son nom l'indique, on y fabriquait de l'armement pour la milice bourgeoise qui, à l'époque, assurait elle-même la défense de la ville, donc il y avait nécessairement des ateliers de fabrication d'épées."
À la découverte de cette épée s'ajoute tout le reste du mobilier issu des fouilles. "En mobilier archéologique, on a sorti plus de quatre tonnes. C'est énorme et ce mobilier est contemporain à la phase d'abandon du fossé. La destruction intervient dans les années 1475 / 1485. C'est précis parce qu'on a des registres de délibération de l'échevinage d'Amiens à cette époque. Donc tout le mobilier provient de cette décennie. On a sorti des céramiques, des monnaies, des rejets d'abattoirs, les abattoirs municipaux étaient juste à côté. Profitant du comblement du fossé, ils ont versé toutes les découpes de boucherie à cet endroit-là, ce qui fait qu'on s'est retrouvé avec plusieurs milliers de fragments de têtes de mouton, de bœuf, et autres viandes consommées à l'époque. Cet ensemble archéologique est exceptionnel parce qu'il nous documente sur la vie quotidienne à Amiens sur dix ans et ça, ça n'a pas de prix."
L'épée restera à Amiens pendant cinq ans
L'épée est présentée au public au musée de Picardie jusqu'au 2 juillet.
Depuis la loi du 1er janvier 2016, tous les biens archéologiques mobiliers à la suite de fouilles, appartiennent à l'État. La propriété effective de cette épée revient donc à l'État. Cependant, tout le mobilier reste dans les réserves. Le service archéologique d'Amiens métropole a cinq ans pour l'étudier. "Très probablement, c'est en tout cas ce que je proposerai aux élus, annonce Richard Jonvel, c'est de demander l'acquisition de l'ensemble du mobilier archéologique du site lorsque l'État demandera à la collectivité de conserver la pleine propriété de l'ensemble du mobilier de ce site."