À 32 ans, Claire Chaumeil est à la tête du Robin Room, un restaurant du centre-ville d'Amiens qui propose chaque jour une cinquantaine de couverts. En décembre, la restauratrice s'effondre, victime d'un burn-out qu'elle couve depuis plusieurs années. Témoignage.
Sortir la tête de l'eau, en finir avec les idées noires et se reposer. Mi-décembre, Claire Chaumeil, cheffe du restaurant amiénois le Robin Room, a perdu pied et fait un burn-out. Après un séjour de trois semaines en clinique, elle a pu rentrer à la maison et s'efforce désormais de se reconstruire. Aujourd'hui, elle se sent mieux, même si elle n'est pas encore prête à retourner en cuisine.
"J'étais dans une sorte de tourbillon"
"C'est sûr que physiquement et psychologiquement, je ne suis pas encore remise de cet épisode qui a été assez compliqué, explique la cuisinière, passionnée par son métier. Mais je dirais que je vais bien. J'arrive à me projeter, envisager des sorties en famille, faire des activités manuelles et prendre du temps pour moi." Du temps pour redécouvrir des musiciens qu'elle aime, par exemple, et pour se redécouvrir elle-même.
Je vivais beaucoup à travers les autres et à travers ma cuisine.
Il faut dire qu'au Robin Room, qu'elle ouvre en 2018, la charge qui pèse sur les épaules de la cheffe de 32 ans est conséquente. Création du lieu, gestion administrative, investissement personnel et financier : la pression et le stress s'accumulent et fragilisent Claire Chaumeil, par ailleurs mère d'un enfant en bas âge, sans qu'elle n'en mesure réellement les conséquences.
"Je savais que j'étais dans une sorte de tourbillon, que ça n'allait pas et je me suis beaucoup entendu dire 'si ça continue, je vais péter un plomb', se souvient la restauratrice. Mais je n'ai pas senti le moment T arriver." Fatalement, un matin de décembre, elle n'arrive pas à se lever et toute la pression accumulée ressurgit. Elle annonce la fermeture de l'établissement dans la foulée, à son équipe et à sa clientèle, et formule une première demande d'hospitalisation.
Je pensais pouvoir rentrer en clinique et garder à côté la vente à emporter, pour me remettre sur pied l'espace de quinze jours.
"On ne contrôle plus rien"
Néanmoins, la situation s'envenime rapidement et elle est hospitalisée en urgence, "suite à un excès de bêtise médicamenteuse et alcoolisée dans une crise de folie", se remémore-t-elle. Le point de non-retour est atteint. "C'est un peu comme si on vomissait tout ce qu'on a accumulé depuis plusieurs mois, décrit la cheffe. Ça sort, ça sort, et on ne contrôle plus rien."
À la clinique, la psychiatre met des mots sur l'appel à l'aide de Claire Chaumeil, jusqu'à évoquer une tentative de suicide. Aujourd'hui, la restauratrice prend peu à peu conscience de ce qu'elle appelait une crise d'hystérie. "Pour moi c'était de la provocation mais c'est vrai que malgré tout je me suis mise en danger et avec le recul je réalise que c'était certainement ça."
Alors que petit à petit, on réalise les effets psychologiques de la crise sanitaire sur la population, il est certain que les confinements successifs ont joué un rôle - au moins de déclencheur - dans le burn-out de Claire Chaumeil. Mais la cheffe insiste pour éviter l'amalgame : "Il y a eu mes problèmes personnels, les problèmes liés à mon activité de cheffe de cuisine, de cheffe d'entreprise et le confinement."
"Quelque chose qu'on couve pendant un moment"
Avec la crise du covid-19, la restauratrice voit l'essence même de son métier se transformer : davantage d'administratif, moins - voire pas - de relationnel, le tout en conservant une activité quasi équivalente en cuisine. "Arriver tous les matins dans un restaurant vide de 100m2 en sachant qu'il n'y aura pas de clients de la journée pour proposer des plats en barquette, c'est lourd", explique-t-elle.
J'ai toujours cherché à rester forte et j'ai fini par m'écrouler parce qu'à un moment, le corps et la tête disent stop.
On pourrait penser que le burn-out est une pathologie qui attaque sans prévenir, du jour au lendemain. Avec le recul, la restauratrice en fait une analyse différente. "C'est quelque chose qui explose d'un coup mais qu'on couve pendant un moment, résume-t-elle, qui fait que le travail ça ne va pas, la vie de famille ça ne va pas, personnellement ça ne va pas. On ne supporte plus personne et on ne voit pas d'issue au mal-être."
Aujourd'hui, les employés du Robin Room sont en chômage partiel et le restaurant est fermé jusqu'à nouvel ordre. Jusqu'à ce que sa cheffe retrouve l'équilibre qui lui a fait défaut dans les derniers mois. Que les habitués se rassurent, Claire Chaumeil n'imagine pas fermer définitivement l'établissement. "C'est beaucoup de responsabilités mais la cuisine c'est ma passion et le Robin Room c'est ma vie, affirme-t-elle. Je ne jetterai pas l'éponge."
En cas de syndrome d'épuisement professionnel ou de détresse psychologique, n'hésitez pas à entrer en contact avec un professionnel de santé.