Des élèves participent au suivi des anguilles de la Somme, car l'espèce est menacée : "les résultats sont un peu inquiétants"

Ils tiennent dans les mains un poisson menacé d'extinction : les élèves de la MFR d'Eclusier-Vaux assistent chaque année la fédération de pêche de la Somme pour le suivi des populations d'anguilles. Une initiative qui participe à l'effort international de préservation de cette espèce.

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Dans un méandre de la Somme, la brume du matin s'accroche encore sur les étangs d'Éclusier-Vaux. L'eau bouillonne autour d'une structure en bois, un long rectangle au fond duquel quatre jeunes hommes s'affairent à retirer les tiges des nénuphars, qui s'accrochent aux lattes pendant l'automne. 

La structure, c'est une anguillère : un piège séculaire où viennent se prendre les anguilles argentées qui dévalent la Somme pour rejoindre la mer et entamer leur long voyage vers leur aire de reproduction, au large des Caraïbes. Deux fois par semaine, d'octobre à mars, les élèves de la MFR d'Éclusier-Vaux viennent prêter main-forte aux techniciens de la fédération de pêche de la Somme pour assurer un suivi de cette population d'anguille, menacée d'extinction. 

L'anguille sous toutes les coutures 

Un beau spécimen a été pris dans le piège, dans la nuit du 7 au 8 novembre. L'un des élèves de la MFR descend dans le vivier pour l'attraper à l'aide d'une épuisette. Dès que le poisson est pris dans le filet, ses camarades se mettent en mouvement pour la transférer dans un grand seau d'eau. 

"Là, on la laisse reposer parce qu'on vient de la sortir du piège, on la laisse déstresser un petit peu. Lorsque les élèves seront prêts à faire les manipulations, on endormira le poisson" annonce Théau Brasseur, chargé d'études scientifiques pour la fédération de pêche de la Somme. Il explique ensuite aux élèves comment doser l'anesthésiant dans un second seau, où l'anguille est plongée quelques minutes plus tard. 

Pour la manipulation, c'est Vincent Danneau, élève du bac professionnel productions aquacoles, qui se saisit du poisson. L'anguille est installée sur un support préalablement mouillé, où elle peut être mesurée et observée. "On a pris des informations sur la taille des yeux, des nageoires, son poids, pour savoir comment elle est, en bonne santé ou pas, détaille Vincent Danneau. J'aime bien ça, c'est plutôt cool à faire, comme activité."  

Il faut aller vite, l'anesthésie ne dure que quelques minutes et le poisson ne doit pas rester dans l'air trop longtemps, sous peine de suffoquer. "Elle se réveille" prévient Théau Brasseur. Juste le temps d'une pesée, puis l'anguille est réintroduite dans son bac de réveil. 

Cette campagne de suivi a lieu depuis une dizaine d'années, de nombreux élèves de la MFR ont ainsi été formés à la manipulation des poissons. "On leur transmet avant tout une démarche scientifique, un protocole, cela demande de la rigueur et de la précision, observe Antoine Rollero, responsable du Bac Pro production aquacole à la MFR d'Éclusier-Vaux. Cela leur permet de pratiquer ce que l'on appelle la biométrie avec une anesthésie des poissons, un réveil et des mesures très, très précises."  

"On est sur un effondrement massif de l'espèce"

Au-delà d'être un moment d'apprentissage pour les élèves, cette campagne de suivi a un enjeu écologique capital. Car l'anguille européenne, autrefois très courante, figure aujourd'hui sur la liste rouge des espèces en danger critique d'extinction. 

"Les auteurs scientifiques disent bien que l'on est sur un effondrement massif de l'espèce. En moyenne, chaque saison, on est entre 200 et 650 anguilles, ça peut paraître énorme, mais c'est incomparable avec les chiffres que l'on pouvait avoir autrefois" constate Théau Brasseur. 

"Ça fait 12 ans que l'on fait ce suivi, les résultats sont un peu inquiétants, les chiffres sont en baisse" abonde Antoine Rollero. Toutes les données collectées par les élèves et la fédération de la pêche sont enregistrées dans un boitier, qui transmet les données aux scientifiques de l'Office français de la biodiversité (OFB), responsable du suivi du plan de gestion de l'anguille, un effort de conservation de l'espèce décliné dans différents pays d'Europe. 

"L'objectif du plan de gestion et du règlement européen, c'est d'assurer la survie de l'anguille à long terme, explique Laurent Beaulaton, chargé de mission sur les poissons migrateurs pour l'OFB. Là, on est dans une situation critique, l'idée est que le plan de sauvegarde dure aussi longtemps que nécessaire. Une fois que le stock sera rétabli, des mesures de protection resteront.

La situation critique de l'anguille est due à plusieurs facteurs humains. Entre 1964 et 1985, l'espèce était considérée comme nuisible, car accusée de nuire à la croissance des jeunes saumons. Une théorie dont les fondements scientifiques ont depuis été mis en doute, les saumons ayant principalement disparu en raison de la pollution. Toujours est-il que l'anguille faisait à l'époque l'objet de pêche de destruction et la remise à l'eau d'un spécimen attrapé était interdite. Cette atteinte aux spécimens adultes s'est faite en parallèle d'une intense pêche aux civelles, ces toutes jeunes anguilles transparentes. Ce sont des travaux scientifiques constatant la disparition du poisson qui ont fait évoluer l'attitude vis-à-vis de cette espèce. 

Le règlement pour protéger l'anguille au niveau européen a été adopté en 2007 et le plan national, mis en place en décembre 2008. Il comporte des mesures de restriction de la pêche, de préservation de la qualité des eaux et de restauration de la continuité écologique, en plus du suivi des populations mis en place à Éclusier-Vaux et dans quelques autres lieux de France. 

Un poisson mystérieux

"L'anguille, c'est un poisson qui vit relativement longtemps. Cela dépend des zones de croissance, pour l'anguille de la Somme, c'est plutôt d'une à deux décennies, précise Laurent Beaulaton. Donc les mesures de gestions que l'on va prendre, qui vont améliorer la survie des jeunes anguilles, vont mettre plusieurs années, même dizaines d'années à se voir dans le suivi des anguilles argentées."

Car ce n'est qu'au terme de leur vie d'adulte que les anguilles prennent cette teinte grise caractéristique et migrent vers leur lieu de naissance et de reproduction, la mer des Sargasses, de l'autre côté de l'océan Atlantique. Là-bas, toute la population européenne se reproduit, une anguille de la Somme peut y croiser une anguille de Norvège ou d'Afrique du Nord, il n'y a donc qu'un seul "stock" d'anguille européenne. Les efforts de conservation doivent ainsi être mis en place dans plusieurs pays pour être efficaces.

  

Nous ne sommes plus dans cette pente très descendante que l'on a connue depuis 30 ans, on est sur un niveau assez stable, même s'il reste très bas. 

Laurent Beaulaton

Chargé de mission poissons migrateurs - OFB

L'anguille ne peut pas être élevée en captivité, ce qui la rend d'autant plus fragile. "On sait obtenir des œufs fécondés, mais on n'arrive pas à élever les larves. C'est la particularité du cycle de l'anguille européenne qui traverse l'océan depuis la mer des sargasses. Cette traversée dure deux à trois ans, on ne sait même pas exactement et pendant ce temps, les larves issues des œufs fécondés ont besoin de certaines conditions de vie, que l'on ne sait pas reproduire de façon artificielle. Les anguilles que l'on retrouve dans nos rivières ou parfois dans nos assiettes sont forcément des anguilles sauvages" complète Laurent Beaulaton. 

 Aujourd'hui, il ne reste qu'un infime pourcentage de la population des années 60 et 70, considérée par les scientifiques comme le niveau de référence. Le principal indicateur de la survie de l'espèce, c'est l'observation des civelles, réalisée au niveau européen. Et celle-ci donne une lueur d'espoir. 

"Depuis les années 80, on avait un déclin continu de ces arrivées de civelles. Là, ça fait une bonne décennie que l'on a arrêté de déclin, c'est-à-dire que le nombre de civelles ne diminue pas d'années en années. On est sur une sorte de plateau, voire une légère augmentation, ça dépend comment on regarde les chiffres. En tout cas, nous ne sommes plus dans cette pente très descendante que l'on a connue depuis 30 ans, on est sur un niveau assez stable, même s'il reste très bas" relève Laurent Beaulaton. 

Il faudra encore des années pour savoir si les mesures de protection de l'anguille réussiront à sauver cette espèce aux mœurs mystérieuses. Mais jour après jour, les efforts des scientifiques, des techniciens et des élèves d'Éclusier-Vaux participent à l'avancée des connaissances sur ce poisson menacé. 

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