En 1914, la trêve de Noël dans les tranchées de la Somme, où les soldats français fraternisaient avec les Allemands

L'histoire du dimanche - Ils sont restés longtemps tabous, mais des cessez-le-feu durant les périodes de Noël ont bien existé durant la Première Guerre mondiale. Des moments de fraternisation, où le conflit est en suspend quelques heures, ont eu lieu dans la Somme. Dans leur carnets de bord, les soldats racontent. [Première publication le 19/12/2021]

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Décembre 1914. Nous sommes au tout début du conflit et déjà des centaines de milliers de soldats sont morts. De part et d'autre, on se terre dans les tranchées où règne le froid, l'humidité et la boue, subissant chaque pluie d'obus venant du camp ennemi.

Mais dans cette escalade de l'horreur, un sursaut d'humanité aura bien lieu lors du réveillon de Noël. Les canons se taisent à quelques endroits, notamment dans le Santerre en Picardie.

Un épisode de cessez-le-feu est détaillé dans les écrits de Frédéric Branche, 18 ans, soldat du 99e régiment d'infanterie positionné sur ce secteur, près de Fontaine-lès-Cappy dans la Somme. "J'ai écrit hier ma lettre du nouvel an pour maman. Cela m'a donné le cafard pour une partie de la journée. Pour tous, les fêtes de fin d'année auront de la tristesse : amis et ennemis, tous souffrent de la séparation avec la famille et même il semble que les hommes aient voulu faire trêve à leur tuerie, comme semble le prouver le fait suivant."

Frédéric Branche, dont les carnets de guerre ont été repris et étudiés par des lycéens de Fonsorbes près de Toulouse lors du centenaire de la Grande Guerre, raconte ainsi que durant le réveillon de Noël un dialogue s'est engagé entre Français et Allemands. "De part et d'autre, l'on fait des signes d'amitié ; voici qu'un de nos caporaux mitrailleurs quitte notre tranchée ; un gradé ennemi fait de même ; ils se rejoignent, se serrent la main, échangent des cigarettes et descendent l'un et l'autre dans la tranchée adverse. Bientôt c'est un défilé de soldats ennemis dans nos tranchées : il en vient huit. Des Bavarois qui, une fois chez nous, ne veulent plus retourner là-bas."

Les Allemands font le premier pas

Cette fraternisation naissante se transforme même en alliance, lorsque les soldats français apprennent qu'une "très grande animosité existe entre Bavarois et Prussiens." Dans le camp français, ces mêmes Bavarois préviennent que les Prussiens vont attaquer dans la nuit. "Nous comptions passer une veillée de Noël bien tranquille : ah oui ! Nous avons été des dupes !", écrit Frédéric Branche.

Après avoir passé une partie de la nuit à monter la garde, les soldats se couchent éreintés. Au matin de Noël, "les tirailleries ont cessé brusquement chez les Allemands dès le point du jour, relatent-ils dans le journal des marches et des opérations (JMO) du 99e régiment d'infanterie. Un grand nombre de Bavarois sont sortis de leurs tranchées en faisant signe de ne point tirer sur eux, puis ils se sont avancés à mi-distance et ont engagé la conversation avec nos hommes devant le secteur du bois commun. Trêve complète."

L'après-midi, "les causeries ont recommencé de tranchées à tranchées, poursuit Frédéric Branche. Les Allemands nous ont tenu un petit discours amical et un de leurs officiers s'est avancé au-devant de l'adjudant Faure de la 1re compagnie pour lui serrer la main. Voilà donc comment s'est écoulé Noël 1914, dans la tranchée, par un temps froid et triste. Jamais je n'ai autant ressenti l'horreur de cette guerre qu'aujourd'hui, en ce jour de fête, si doux à vivre de coutume et si triste cette année."

"Une bonne année, merci beaucoup pour le cognac"

D'autres épisodes de fraternisation auront lieu jusqu'au 1er janvier 1915. Frédéric Branche raconte par exemple qu'un soldat allemand lui a offert un verre de kummel, une boisson alcoolisée allemande, et un cigare le 26 décembre 1914.

Le 31 décembre, les soldats de la 28e division d'infanterie positionnés sur ce même secteur à proximité de Foucaucourt-en-Santerre, décrivent qu'"un Bavarois a adressé à nos hommes des cartes postales contenant des vœux du Nouvel An et des remerciements pour le pain et le cognac qu'ils ont reçu d'eux. Une de ces cartes était ainsi conçue : "Aux camarades français : nous ne tirons que si un officier est à (auprès de) nous. Seulement notre lieutenant est toujours en rage et tire quelques fois ! Une bonne année, merci beaucoup pour le cognac, il a bien goûté."

Mais cet interlude d'humanité ne dure que peu de temps. Les combats reprennent aussitôt. Il ne fallait pas risquer de dévoiler des renseignements importants en pactisant avec l'ennemi. "Ces relations, si elles ne nous ont pas permis de déterminer des soldats allemands à se rendre, ont cependant été utiles à plusieurs points de vue, relate les soldats dans le JMO de la 28e division d'infanterie. [...] Elles nous ont permis de poser sans être inquiétés des réseaux de fil de fer et d'inhumer des cadavres des nôtres qui étaient restés sans sépulture très près des lignes ennemies après le 28 novembre."

En Belgique, une partie de foot s'improvise

Ces mêmes relations ont eu lieu également entre soldats britanniques et allemands. Sur le front belge, prêt de la ville d'Ypres, les soldats sortent de leurs tranchées, se retrouvent sur le no man's land et procèdent même à une partie de foot. Un match légendaire, rejoué par des passionnés d'histoire 100 ans plus tard à Ploegsteert. À l'époque, le score aurait été de 3 à 2 pour les Allemands.

La presse britannique est la seule à faire écho de ces épisodes de fraternisation. The Daily Mirror en fait même sa une le 5 janvier 1915. Sur ce secteur, la trêve de Noël a duré plusieurs jours, elle aura été l'une des plus longues.

En France, l'événement est censuré et longtemps tabou. Il sera relaté 90 ans plus tard, en 2005, dans le film Joyeux Noël du réalisateur Christian Carion.

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