"La difficulté chez nous, c'est de trouver le foncier" : un Farm'dating pour réunir agriculteurs et porteurs de projets

Certains veulent céder leur exploitation agricole, d'autres, se lancer dans l'agriculture : un Farm'dating les réunissait à Péronne dans la Somme le 14 novembre. L'occasion de parler sans tabou de la transmission des fermes et des élevages.

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Dans une salle de Péronne, huit agriculteurs ont quitté leur exploitation pour quelques heures, ce jeudi 14 novembre. Face à eux, une quinzaine de porteurs de projets agricoles se succèdent : ils veulent se lancer, mais n'ont pas de terres.

Les aspirants changent de table toutes les dix minutes, sur le modèle d'un speed dating, mais ici, l'alchimie doit être professionnelle : cette rencontre a pour objectif de mettre en relation des agriculteurs cédant leur exploitation et celles et ceux qui souhaiteraient la reprendre. C'est le quatrième Farm'dating de ce type organisé par la chambre d'agriculture de la Somme.

"Il y a beaucoup d'autres outils, mais physiquement, il manquait quelque chose, reconnaît Julie Potier, l'organisatrice de l'événement. À chaque fois, les porteurs de projets et les cédants nous disent que ça leur a permis d'avancer."

Briser le tabou de la transmission agricole

En 2010, d'après l'INSEE, il y avait 490 000 fermes en France, en 2020, elles étaient 100 000 de moins. C'est entre 1988 et 2000 que la baisse a été la plus forte, avec en moyenne 3,5 % de fermes en moins par an, depuis 2000, la tendance ralentit, toutefois entre 2010 et 2020, le nombre d'exploitations recule de 2,3 % par an.

Une situation à nuancer selon les filières, c'est dans l'élevage que le nombre d'exploitations a le plus baissé dernièrement, alors que le nombre d'exploitations horticoles et maraîchères augmente très légèrement. Si le nombre de fermes et d'élevages diminue, leur taille augmente : la surface moyenne d'une exploitation est passée de 50 hectares en 2010 à 69 hectares en 2020.

C'est très compliqué dans notre région de trouver des exploitations et d'approcher les agriculteurs cédants, c'est un peu un sujet tabou et très fermé.

Benoît-Pierre Roussel, porteur de projet agricole

De nombreux agriculteurs approchent de la retraite : l'âge moyen dans la profession était de 51 ans en 2020, avec un quart des effectifs ayant 60 ans ou plus. Mais transmettre son exploitation hors de sa famille reste un tabou, "le renouvellement des générations agricoles questionne : transmettre une exploitation est difficile pour plein de raisons, observe Julie Potier. Il y a des choses qui se passent dans le cadre familial, mais le 'hors-cadre familial' qui est représenté ici a plus de difficultés à s'intégrer dans ce milieu. C'est l'objectif de cet événement. Un porteur de projet m'a dit qu'il n'osait pas aller voir les cédants autour de chez lui : là, ça le lance dans les démarches."

"C'est très compliqué dans notre région de trouver des exploitations et d'approcher les agriculteurs cédant, c'est un peu un sujet tabou et très fermé" constate Benoît-Pierre Roussel, ingénieur agronome de 25 ans venu à Péronne pour rencontrer des agriculteurs souhaitant transmettre leur exploitation.

Les nouvelles attentes des porteurs de projet agricoles

"J'aimerais bien m'installer sur une surface minimum d'une trentaine d'hectares. La difficulté chez nous, c'est de trouver le foncier. J'aimerais beaucoup m'installer en polyculture-élevage, car je pense que ce sont deux choses complémentaires, souligne Benoît-Pierre Roussel. J'ai aussi envie de garder une vie, mes loisirs, ces choses-là."

"Les porteurs de projets aujourd'hui ont une vision différente d'une exploitation agricole, ils veulent concilier vie professionnelle et personnelle. Cette vision-là n'est pas forcément évidente à entendre pour un cédant qui transmet un projet de vie dans lequel il a été engagé corps et âme" admet Julie Potier.

La rencontre sert aussi aux agriculteurs et aspirants à se "rendre compte de l'offre et de la demande" ajoute Julie Potier, en élargissant peut-être leurs perspectives au fur et à mesure des échanges. Par exemple, en découvrant un type d'exploitation auquel ils ne s'attendaient pas.

Ce jour-là, Joël Wissart, producteur de foie gras à Tully, espère surprendre et intéresser les porteurs de projets. "Moi, le foncier, je n'en ai pas, j'ai uniquement une maison avec un grand laboratoire, beaucoup de matériel. C'est atypique, au niveau d'une reprise agricole, mais plus flexible qu'une exploitation de vaches laitières, par exemple, qui aurait des astreintes quotidiennes, explique Joël Wissart. Les gens connaissent peu : quand on leur dit canard gras, ils ne savent pas forcément ce qu'il y a autour."

"Ce qui serait dommage, c'est d'arrêter ce que j'ai construit pendant quarante ans"

Joël Wissart a aujourd'hui "60 ans révolus", il n'a pas d'attentes particulières vis-à-vis du repreneur de son exploitation, tant que celui-ci est d'accord pour perpétuer son activité. "Ce qui serait dommage, c'est d'arrêter ce que j'ai construit pendant quarante ans. Il faut pouvoir lever le pied et céder à quelqu'un qui serait passionné comme moi, pour reprendre un flambeau qui n'est pas si difficile que ça à tenir" espère le chef d'entreprise.

Il est agréablement surpris par le nombre d'aspirants présents pour ce Farm'dating. "Quelque part, ça me rassure. Il y a pas mal de gens intéressés, même si rien de concret n'a été fait", conclut Joël Wissart. Il est prêt à transmettre son savoir-faire, sa clientèle et tout son matériel, y compris le camion avec lequel il sillonne les marchés du littoral.

Si Benoît-Pierre Roussel cherche avant tout du foncier, il se dit très sensible à "la volonté des cédants à partager leur savoir, passer un peu de temps avec nous au moment de la cession, car ce n'est pas un métier qui s'apprend du jour au lendemain non plus."

Il ne reprendra pas l'exploitation de Joël Wissart, mais dit avoir trouvé une ou deux fermes correspondant à son projet. Se lancer ne lui fait pas peur. "On voit beaucoup les agriculteurs en difficulté dans les médias. Mais de mon côté, je pense que des voies de diversification sont possibles, qui permettent aussi à l'agriculteur de retrouver son autonomie. Avant tout, c'est un métier de passionné et quand on l'est, on a envie d'aller jusqu'au bout. Il ne faut pas que ce soit coûte que coûte, il faut rester intelligent, mais au fond de moi, j'ai cette passion-là. On garde l'espoir" ajoute Benoît-Pierre Roussel.

Il n'est pas seul à avoir cet espoir : entre 2019 et 2024, les effectifs des élèves inscrits dans l'enseignement agricole ont augmenté de 6 % et le nombre d'apprentis dans cette filière a doublé en cinq ans. La profession se transforme et la relève pourrait donc se profiler, pour autant qu'elle parvienne à trouver des terres.

Avec Camille Di Crescenzo / FTV

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