Emblème de la Picardie, le Henson, cheval reconnaissable à la couleur de sa robe, est la dernière race d’équidé créée en France. Une idée qui a germé il y a cinquante ans dans la tête de passionnés d’équitation, amoureux de la baie de Somme. Depuis, la race compte 1 200 animaux. Retour sur l’incroyable évolution du petit cheval picard. C'est l'histoire du dimanche. (Première publication le 19/11/2023)
Au milieu des pâturages, entre les dunes boisées et les marais de la baie de Somme, un cheptel de Henson anime les paysages du Marquenterre. Une image de carte postale où le petit cheval picard occupe une place centrale.
Reconnaissable au premier coup d’œil avec sa robe couleur sable et ses crins bicolores, le Henson est un cheval rustique et de petite taille (entre 1m50 et 1m60 au garrot), "bien charpenté mais pas trop lourd" d’après l’Institut français du cheval et de l’équitation. Pour beaucoup il se rapproche du cheval préhistorique de Przewalski, reconnaissable à sa raie de mulet et ses zébrures aux membres.
Élevé en semi-liberté, il vit en extérieur, non loin des moutons de pré-salé, dans un écosystème au cœur duquel il s’est parfaitement intégré. Car oui, les Henson n’ont pas toujours fait partie du paysage. Issus d’un croisement, plus ou moins fortuit, leur origine remonte aux années 1970.
Aux origines du cheval Henson
Au début des années 1970, un vent nordique souffle sur la baie de Somme. Bernard Bizet, éleveur de moutons à Ponthoile (Somme) veut donner à son élevage une nouvelle dimension. Tombé amoureux d’une race de poney originaire de Norvège et à l'occasion d'un voyage au Danemark voisin, il décide d’importer un groupe de juments et un étalon Fjords en Picardie.
Objectif de l’éleveur : réaliser des croisements avec des chevaux de différentes races présents sur le sol français (Selle français, Anglo-Arabes…) et offrir à la région un cheval d’extérieur capable de s’adapter au climat picard. À l'occasion d'un reportage réalisé dans les années 1980, Bernard Bizet revenait en interview (ci-dessous) sur les origines de la race.
"Les premiers produits obtenus en 1973 et 1974 chez Bernard Bizet arrivent aux oreilles d’autres passionnés" témoigne Dominique Cocquet, ancien directeur des espaces équestres Henson. Leurs noms : Lionel et Marc Berquin, respectivement médecin et dentiste dans la Somme. Ils rêvent de promenades équestres et cherchent à cet effet un cheval résistant. "C’est un enchaînement de rencontres, explique Dominique Cocquet, une succession de connexions qui va donner naissance aux Henson." Accompagnateurs saisonniers de promenade chez Bernard Bizet, les deux frères découvrent les Fjords ainsi que leurs premiers croisements. Sous le charme, l’idée audacieuse d’une nouvelle race germe dans l’esprit des jeunes cavaliers.
Les années 1970 : les premières naissances
1978 donne le véritable coup d’envoi de l’aventure Henson. Lionel et Marc Berquin s’entourent de parents et amis cavaliers, et créent l’Association des Cavaliers de la baie de Somme, encore en fonctionnement aujourd’hui. La même année, naît Milady de Henson puis en 1979, Nadjée et Norack de Henson lui emboîtent le pas, composés pour 50 % chacun de sang Fjord. Des croisements baptisés "chevaux baie de Somme".
Mais à partir de là, deux écoles se font face. Bernard Bizet, importateur des poneys Fjords dans la région ne souhaitait pas créer de race. "Pour lui, c’était trop compliqué à mettre en place, très administratif, explique Dominique Cocquet, cela relevait d’un rêve un peu fou !" Une folie signée Marc et Lionel Berquin. Soutenus par le Syndicat Mixte de l’Aménagement de la Côte Picarde (SMACOPI) dont Dominique Coquet était directeur à l’époque, ils fondent l’Association du Cheval Henson dont l’objectif est clair : faire du Henson une race à part entière.
Pour ce faire, ils ne pouvaient se contenter de croisements et devaient faire s’accoupler les premiers "chevaux baie de Somme". En 1982 les premiers poulains de deuxième génération naissent à l’élevage de Port-le-Grand (Somme) où montent Lionel et Marc Berquin. Quelea et Queenee de Henson, deviennent alors les tout premiers représentants de la race.
Une histoire de hasard ?
Une race due au hasard ? Pas tout à fait. "Dans les années 70 et 80, il y a une véritable réflexion autour de la baie de Somme et on voit émerger l’idée d’un tourisme vert, raconte Dominique Cocquet, pendant que le reste du littoral se bétonne, nous, on cherche à le préserver et le Henson en est une illustration."
Au-delà de leur passion pour les équidés, les protagonistes de l'histoire du cheval picard sont des amoureux de nature qui œuvrent à la préservation de la baie de Somme. Le chercheur Bernard Durand, auteur d’un article sur le cheval Henson, explique : "Le SMACOPI (Syndicat Mixte d’Aménagement de la Côte Picarde) est depuis trente ans (...) le principal acteur de la maîtrise de la pression touristique. Dans cet esprit, il a accepté de promouvoir un élevage original d’équidés en permettant aux créateurs de ce dernier de s’installer au cœur même de la réserve naturelle."
Au début des années 1990, les frères Berquin quittent Port-le-Grand pour le Marquenterre. Le pôle d’élevage équin conduit par l’Association des Cavaliers de la baie de Somme et l’Association du Cheval Henson s’implante dans le domaine et obtient auprès du SMACOPI, un droit d’usage de la réserve naturelle pour rejoindre la plage. "Après les années 70 on prend conscience qu’il faut magnifier la nature, détaille Dominique Cocquet, et qu’on peut le faire tout en accueillant les touristes."
Après avoir fait de l’oiseau un emblème de la baie, le Henson complète le tableau , un peu comme les phoques aujourd’hui. En somme, un argument marketing ? "Ce serait réducteur de parler d’outil promotionnel, se défend l’ancien directeur du SMACOPI, le cheval Henson a toujours eu sa place ici. Les anciens disaient même que le Marquenterre est une terre de chevaux. Mille ans en arrière, on y comptait 10 000 moutons et 2 000 chevaux". À l’inverse des stations balnéaires du sud de la France, la baie de Somme joue la carte de la nature. Une antithèse de la Riviera où le Henson fait figure d’emblème.
Le Henson, un cheval d'extérieur
À l’instar de ses congénères, les chevaux camarguais, eux aussi élevés en liberté entre terre et mer dans le Parc naturel régional de Camargue, les Henson sont des chevaux d’extérieur. Leur berceau à eux : la baie de Somme. "Un vaste espace naturel de près de 70 km2 alimenté par deux rivières : la Somme au sud et la Maye au nord. Tout comme les moutons d’estran ou de prés-salés, les chevaux Hensons élevés localement vivent une partie de l’année dans les marécages et les zones humides de la baie ou de son pourtour" précise l’Institut français du cheval et de l’équitation.
En 2003, Lionel Berquin, l'un des créateurs de la race Henson expliquait à une équipe de France 3 Picardie le mode d'élevage des Henson.
L’illustration la plus parlante est celle de la transhumance organisée chaque année fin octobre. Baptisé la Trans'Henson, l'évènement rassemble férus d’équitation et simples curieux autour de l’une des plus grandes transhumances de Picardie. Les chevaux Henson quittent les polders du parc du Marquenterre où ils résident l’été pour prendre leurs quartiers d’hiver plus à l’intérieur des terres.
Les poulains de l’année, nés en liberté dans le parc, sont guidés par des cavaliers à dos de Henson. Une aventure annuelle, fidèle à l’esprit des créateurs de la race. Les équidés se reproduisent librement dans la nature avant d’être progressivement apprivoisés pour l’équitation. En 2023, la 33e édition de la Trans'Henson a rassemblé des dizaines de cavaliers.
Un mode d’élevage qui a des conséquences sur la mentalité des Hensons. "Ils ont un bon mental, explique Stéphanie Roussel, directrice des Espaces équestres Henson de Saint-Quentin en Tourmont, l’élevage en plein air les rend plus serein. Ce sont des chevaux qui savent où ils mettent les pieds, ils sont habitués à marcher en forêt, sur la plage ou dans les marais. Ils ne trébuchent pas !"
Chaque année, des milliers de visiteurs découvrent la baie à dos de Henson, des novices qui apprécient chez le Henson son "côté gros nounours", s'amuse Stéphanie Roussel. Mais les cavaliers confirmés lui trouvent aussi de nombreuses qualités. "Ce n’est pas un cheval de sport, c’est certain, mais ils sont très joueurs et surtout polyvalents". Attelage, dressage, endurance, horse-ball (jeu de ballon à cheval), et même polo, les Henson sont des chevaux tout-terrain.
2003, la reconnaissance officielle
La consécration pour le petit cheval picard arrive en juillet 2003, date de la reconnaissance officielle de la race. La "folie" de Lionel et Marc Berquin, Dominique Cocquet et consorts, n’en est plus une. Le Henson devient la 44e race française reconnue par les Haras Nationaux, la plus récente dans l’histoire nationale du patrimoine équin. Avant elle, au cours des XXe et XXIe siècle, seul le cheval de selle français a été reconnu en 1958.
En décembre 2003, le Henson sort alors définitivement de l’ombre. L’équidé est invité d’honneur du Salon de l’agriculture à Paris. "C’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, commente Dominique Cocquet, il a d’abord fallu stabiliser la race, clôturer le stud-book [livret généalogique] et enfin le ministère de l’Agriculture a pu s'intéresser à nous. Les associations ont fourni un énorme travail de documentation et de représentation auprès des instances à Paris." À partir de ce moment-là, les Henson peuvent participer à des compétitions officielles dont ils étaient jusqu'alors privés car "sans papiers".
De quoi célébrer en grande pompe la reconnaissance. Juste après sa parution au Journal Officiel, le 10 juillet, les équipes des Cavaliers de la baie de Somme et de l’Espace Équestre Henson-Marquenterre ont attelé les chevaux pour rejoindre Pompadour, en Corrèze. Un périple en relais de 800 km depuis la baie de Somme, jusqu’au lieu d’implantation, à l’époque le siège des Haras Nationaux. Une parade équestre pour fêter l’officialisation de la race Henson.
Dominique Cocquet se souvient : "on a toujours été à part dans le monde du cheval. Nos bêtes vivent à l’extérieur, on nous regardait différemment et puis la reconnaissance a tout changé. Les cavaliers ont compris notre démarche de liberté, de pratique équestre en plein air." Désormais, le Henson n’est plus perçu comme appartenant à une poignée de cow-boys, avides de grands espaces. Le petit cheval de la baie s’exporte en dehors de la Somme.
Le développement au-delà de la Somme
L’élevage Henson s’étend largement en baie de Somme et constitue un véritable "ranch à la française” établi sur plus de 520 hectares de pâtures et de marais répartis entre diverses communes : Saint-Quentin-en-Tourmont, Quend, Fort-Mahon-Plage, Rue, etc. La race compte actuellement un peu plus de 1 300 Henson, dont la majorité se trouve en Picardie. Chaque année, une soixantaine de poulains naissent sur le territoire national. "C’est pas suffisant, précise Stéphanie Roussel, la demande de Henson est très forte, on a une liste d’attente sur 2 ans !"
Victime de son succès, l’équidé est recherché par les centres équestres pour sa polyvalence. "Chez nous, on fait naître trente poulains par an. C’est équivalent au nombre de demandes que l’on reçoit tous les mois pour acheter un Henson" ajoute la directrice des Espaces Équestres Henson à Saint-Quentin-en-Tourmont.
Aujourd’hui, il est possible de croiser des Henson dans l’Oise, à Chantilly ou Compiègne, dans le Nord au Touquet ou encore à Fontainebleau en Seine-et-Marne. Dans des clubs indépendants ou rattachés aux Espaces équestres Henson et au Réseau Passion Henson, les équidés trouvent leur place loin de la baie de Somme. Sans l’oublier pour autant : "On ne veut pas rentrer dans une logique intensive, précise Stéphanie Roussel, le Henson est un cheval de territoire, rattaché à la Picardie. L’objectif c’est pas qu’il y en ait partout, à tout prix."
Avec un peu plus de 350 individus entre élevage et ferme équestre dans le département samarien, la baie de Somme reste le berceau de la race Henson. Le petit cheval, créé il y a un demi-siècle, fête cette année les 20 ans de sa reconnaissance officielle et continue de séduire les cavaliers. Ils sont plus de 20 000 par an à découvrir la baie à dos de Henson, désormais indissociable de la Picardie.
Edité par Chloé Caron / FTV