La maternité de Péronne ne prend en charge aucun accouchement pendant tout le mois de juin, par manque de médecins anesthésistes. Plusieurs centaines de personnes, soignants, élus et habitants, ont manifesté devant l'hôpital pour protester et exprimer leurs craintes de voir d'autres services fermer.
"On veut continuer à soigner encore, voir nos gestes soulager vos corps, aider vos âmes à aller mieux", chantent en chœur les soignantes de la maternité de Péronne. Des centaines d'habitants, ainsi que des élus locaux, ont fait le déplacement pour soutenir le personnel de l'hôpital et demander à l'ARS de trouver des solutions pour pallier la pénurie d'anesthésistes.
La continuité des soins ne peut plus être assurée
Cette pénurie est la raison invoquée pour justifier la fermeture de la maternité pendant tout le mois de juin. "Malgré tous les efforts déployés jusqu'au dernier moment par la direction et la communauté médicale de l'établissement, il n'a pas été possible de consolider le planning d'anesthésie du mois de juin", a indiqué l'Agence Régionale de Santé dans un communiqué, précisant par ailleurs que seuls les accouchements n'auraient pas lieu, mais que les consultations de suivi seraient maintenues.
Pour le docteur Nacera Berokia, médecin anesthésiste à Péronne depuis plus de 20 ans, il existe pourtant des solutions en attendant de pouvoir recruter. "Dans cet hôpital, on a toujours dérogé à la règle : on dépasse les 24 heures de garde pour qu'il y ait une continuité de soins, parce que le nombre d'anesthésistes n'est pas suffisant. On a toujours fonctionné comme ça, avec bien sûr l'autorisation de la direction et de l'ARS. Là, du jour au lendemain, ça a été décidé autrement, déplore-t-elle. J'établissais la liste de garde avec des collègues anesthésistes qui viennent d'établissements proches, ainsi que de temps en temps un anesthésiste qui vient de très loin, qui a déjà travaillé ici et qui s'y plaisait énormément. Il m'a dit qu'il n'y avait pas de souci pour faire appel à lui quand on a des besoins, mais au-delà de 24 heures seulement. Subitement, on a changé ce mode de fonctionnement, donc on se retrouve avec une liste de garde avec plein de blancs, où il n'y a pas d'anesthésiste."
"On est très déçus pour les mamans"
Impossible alors d'assurer la continuité des soins dans ces conditions. Pour l'instant, les accouchements sont suspendus jusqu'à la fin du mois de juin, mais on ne sait pas encore si l'activité pourra reprendre cet été. Pour le personnel de la maternité, cette situation est un crève-cœur. "On est très déçus pour les mamans, c'est compliqué d'annoncer à une dame à dix jours de son terme qu'elle va devoir accoucher dans un autre établissement", se désole Isabelle Foreau, cadre de santé à la maternité de Péronne.
Les femmes enceintes sont redirigées, en fonction des possibilités, vers l'hôpital de Saint-Quentin, à 30 minutes de route, ou celui d'Amiens, situé à 45 minutes en voiture. "On est dans un bassin rural, un désert médical, la population a besoin de quelque chose près de chez elle. On a des dames qui n'ont pas de moyens de locomotion, qui viennent accoucher en mobylette. Si elles devaient se rendre à Amiens ou à Saint-Quentin, comment feraient-elles ?", s'interroge Isabelle Foreau.
Claire, venue manifester avec son compagnon Timothée, a accouché ici l'année dernière. "Je soutiens les pauvres mamans qui vont devoir faire plein de kilomètres, à neuf mois de grossesse, pour aller accoucher ailleurs", affirme-t-elle. Le couple, qui qualifie cette maternité de "chaleureuse et accueillante",estime que la proximité de la maternité a grandement facilité leur organisation. Le papa a pu multiplier les allers-retours sans difficulté. "Quand j'ai accouché, après l'école, mes deux grandes filles pouvaient venir voir leur petit frère à la maternité après l'école, puisque c'était juste à côté. Si j'avais dû aller à Saint-Quentin, ça n'aurait pas été possible", précise Claire.
"Pour la sécurité des patients, c'est très très limite"
Mais l'inquiétude dépasse les murs de la maternité : le personnel comme les élus craignent que d'autres fermetures de service soient décidées dans les mois à venir. "Ça fragilise la structure de l'hôpital dans son intégralité", assure le maire de la ville Gautier Maes, venu lui aussi manifester.
L'unité de surveillance continue, les urgences et le bloc opératoire ont bien entendu besoin d'anesthésistes également. Pour le moment, leur activité est maintenue, mais l'incertitude grandit. "Pour la sécurité des patients, c'est très très limite, estime le docteur Nacera Benrokia. On n'a plus de visibilité, on travaille au jour le jour, mais ce n'est pas possible. Pour moi, il n'y a pas d'espoir si on ne déroge pas à la règle. La maternité restera fermée, les soins continus vont fermer, et au bloc opératoire, on travaillera un jour sur deux. C'est du n'importe quoi."
L'ancienne maire de Péronne, désormais conseillère départementale, Valérie Kumm, fait également partie des manifestants. Elle aussi craint de voir les services de l'hôpital fermer un à un, jusqu'à une quasi-disparition de l'établissement. Elle rappelle notamment l'importance du Smur de Péronne, qui intervient lors des accidents sur l'autoroute A1 toute proche. "Et puis, on a un gros chantier qui arrive dans pas longtemps, dans trois ans, c'est la construction du Canal Seine-Nord Europe, avec 4 000 salariés qui vont arriver sur notre territoire pendant quatre ans. Les accidents de chantier, ça existe, donc c'est nécessaire que le centre hospitalier demeure", ajoute-t-elle.
L'ARS ne s'est pas exprimé sur l'avenir à long terme de l'établissement. Elle assure simplement faire "tout ce qui est possible pour organiser une reprise de l'activité dès que les conditions seront réunies".
Avec Grégoire Alcalay