Pollution au mercure et à l'amiante dans une ancienne usine de chimie : l'État va désamorcer une bombe environnementale à retardement

À Harbonnières, dans la Somme, une usine chimique placée en liquidation judiciaire depuis plusieurs années inquiète les autorités : le site contaminé au mercure et à l'amiante n'a pas été entièrement dépollué. En dernier recours, une intervention de l'ADEME est annoncée par la préfecture de la Somme.

Du mercure, de l'amiante, de l'acide chlorhydrique : à l'entrée du village d'Harbonnières, dans la Somme, une ancienne usine de chimie regorge encore de matières toxiques. La SPCH, Société de produits chimiques d'Harbonnières, exploitait ce site où de nombreuses atteintes à l'environnement ont été constatées.

La SPCH a été placée en liquidation judiciaire à la fin de l'année 2018. Quelques mois plus tard, le 26 mars 2019, le liquidateur judiciaire était mis en demeure par la préfecture de "procéder à l'évacuation de l'ensemble des déchets présents sur le site et de les éliminer selon les filières adaptées."

Le 20 juin 2023, une inspection constate le non-respect de cette mise en demeure. En dernier recours, c'est donc l'État, par l'intermédiaire de l'ADEME, qui va intervenir, comme le révèle un arrêté préfectoral rendu public le 15 septembre.

Une longue histoire d'atteintes à l'environnement

C'est en 1994 que la société SPCH est autorisée à utiliser le procédé d'électrolyse de chlorure alcalin : une méthode de fabrication du chlore faisant intervenir du mercure. Les archives de la préfecture révèlent qu'en 1997, la société est mise en demeure de cesser d'exploiter une décharge illégale où des résidus du site étaient entreposés en pleine nature, près de la route départementale 41 menant à Caix.

La même année, la SPCH est sommée de "faire procéder à l'enlèvement de l'ensemble des boues et matériaux contaminés par du mercure qui sont déposés dans le fossé et les lagunes de stockage et d'infiltration de la vallée d'Oisemont à Harbonnières". L'entreprise entreprend les travaux de traitement de ces boues contaminées, qui durent plusieurs années et coûtent plus de 5 millions de francs à l'entreprise.

En 2009, la fédération écologiste France Nature Environnement réalise une étude sur la pollution atmosphérique au mercure et accuse la SPCH de rejets importants. Le directeur de l'entreprise, Jean-Marie Mercier, met en cause l'exactitude des ces résultats. Le maire de la commune, Régis Ventelon, déclare dans les colonnes du Courrier picard : "Je n'ai pas peur de la SPCH". L'entreprise est alors un employeur important dans le village.

Les témoignages d'habitants recueillis pour les besoins de l'article font, eux, état de végétaux "grillés", de taches suspectes sur les voitures et de dépôts. Aujourd'hui encore, lorsque les micros sont éteints, les rumeurs de nombreux cancers chez d'anciens ouvriers et de jardins abîmés pendant les pluies vont bon train à Harbonnières.

La SPCH dans le viseur des autorités

En 2010, plusieurs contrôles des rejets atmosphériques de mercure ont lieu. ATMO Picardie constate que les résultats mesurés indépendamment ne sont pas conformes à ceux transmis par l'usine (qui sont inférieurs) et prescrit des diagnostics renforcés ainsi que des mesures pour réduire les émissions de mercure.

Cette même année, le procédé industriel utilisant le mercure pour produire du chlore est interdit au niveau européen. Trois ans plus tard, il est interdit en France.

Des risques pour la santé des personnes vivant à proximité des installations

Préfecture de la Somme, arrêté préfectoral du 24 décembre 2015

L'usine est alors sommée de se moderniser à de nombreuses reprises, mais la salle d'électrolyse n'est jamais transformée. Un contrôle inopiné de la DREAL en 2014 atteste que "les valeurs réglementaires en concernant les rejets atmosphériques de mercure ne sont donc pas respectées, elles sont quasiment deux fois plus importantes que les valeurs autorisées".

Sur l'arrêté préfectoral, il est noté que ces quantités "peuvent engendrer des risques pour la santé des personnes vivant à proximité des installations". Or les rues adjacentes sont habitées. Un an plus tard, un déversement de "boues noirâtres" est constaté et la SPCH est sommée d'en déterminer l'origine et la composition.

Un lent abandon

Malgré les nombreux rappels, la SPCH n'investira pas pour moderniser sa salle d'électrolyse et cesser d'utiliser du mercure. L'entreprise connaît des difficultés financières et est placée en redressement, puis en liquidation judiciaire en 2018. Un véritable traumatisme pour la commune et les 43 salariés licenciés à quelques jours des fêtes de fin d'année.

Les langues des ouvriers se délient, ils dénoncent les pratiques environnementales de l'entreprise. "Nous avons tiré plusieurs fois la sonnette d'alarme auprès du CHSCT", confie alors Roger, employé de la SPCH, au Courrier picard. Dans ce contexte de fermeture, le PDG de l'entreprise, Jean-Marie Mercier, aurait demandé aux employés de se porter volontaires pour retraiter le mercure et dépolluer le site. Sans succès.

Aujourd'hui, l'activité de conditionnement a été reprise par le laboratoire Oxena. Une dizaine de personnes travaillent encore à quelques mètres du site contaminé, sous des toits en amiante.

Des pollutions étendues, un site figé dans le temps

Si la ferraille de certains bâtiments a bien été revendue à la fermeture de la SPCH, pour les produits chimiques présents sur le site, c'est une autre histoire. De petites cuves encore pleines sont stockées derrière un panneau indiquant "huiles et solvants".

Sous un hangar à l'armature de bois noircie par le temps, un énorme tas de chlorure de potassium ronge peu à peu la tôle du mur. Cette matière est plutôt inerte, par contre, de l'acide chlorhydrique est encore présent dans au moins une cuve, qui a eu un incident en mars 2023. Seule la vigilance des employés travaillant au conditionnement a évité que la fuite ne soit trop importante.

En 2019, la préfecture constatait "un impact conséquent en mercure au droit et en aval de la salle d'électrolyse, des impacts en mercure, chlorure, sulfates et solvants chlorés dans les eaux souterraines". L'inspection révèle que "le panache de pollution s'étend (...) à l'extérieur du site".

Deux captages d'eau potable sont situés à quelques kilomètres au sud de l'usine, mais le SIEP Santerre qui les exploite indique que les mesures de mercure y sont "inférieures à la valeur limite de 1 microgramme par litre et également inférieures au seuil de quantification du laboratoire (<0.015 microgramme par litre)".

Le liquidateur judiciaire a été sommé de surveiller la qualité des eaux souterraines et de s'assurer de l'efficacité du pompage de l'eau s'écoulant sur le site, pour limiter la pollution. Il devait aussi s'assurer que le site était dépollué "sous 15 jours". Cela n'a pas été fait.

Les témoignages d'employés souhaitant demeurer anonymes évoquent quelques tentatives de dépollution, mais de façon insuffisante. Des structures pleines de balles de produits dangereux pour l'environnement sont librement accessibles, la barrière d'accès au site ayant été largement éventrée. La préfecture fait état de nombreuses intrusions.

Le liquidateur judiciaire, Me Randoux, n'a pour l'instant pas répondu à nos sollicitations.

Quel avenir pour le site ?

Les élus locaux espèrent pouvoir récupérer la parcelle une fois qu'elle aura été dépolluée. La maire de la commune, Georgette Sciascia, voudrait y voir "un projet écologique", mais elle "attend de voir" si l'ADEME va bien intervenir dans des délais raisonnables. Sans lien avec l'entreprise Oxena ni le mandataire judiciaire, elle affirme être informée sur l'évolution du site uniquement par les différents arrêtés de la préfecture.

Philippe Cheval, président de la communauté de communes Terre de Picardie et du PETR Cœur des Hauts de France, constate quant à lui que "c'est typiquement un cas de reconversion de friche à confier à l'établissement public foncier", rappelant que sa collectivité est engagée dans la reconversion de nombreuses friches du territoire.

L'ADEME est désormais autorisée à intervenir sur le site pour une durée de 24 mois, afin de régler la situation. 1 844 000 € ont été consignés par l'agence de l'environnement pour réaliser ces travaux. La préfecture n'a pas encore transmis de calendrier l'intervention, ni répondu à nos questions sur l'absence de mesures prises entre 2019 et 2023. Les structures remplies de produits polluants, elles, se dégradent un peu plus chaque jour.

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