Protection de l'environnement, tourisme : les tourbières d’Étinehem-Méricourt bientôt restaurées avec loto de la biodiversité

Depuis 2020, la commune d'Étinehem-Méricourt porte le projet de restaurer plus de 100 hectares de marais. Cette zone humide riche en biodiversité se reboise avec le manque d'entretien. Le projet propose de recréer des roselières, d'établir une zone de protection des oiseaux et de préserver les tourbières. Il a été sélectionné au loto de la biodiversité et va donc bénéficier de 800 000 € de subventions.

La vente des tickets du loto de la biodiversité commence lundi 23 octobre et la restauration des marais et tourbières d'Étinehem-Méricourt a été sélectionnée pour faire partie des projets financés par ce jeu à gratter.

Depuis le belvédère du Camp César, cette zone humide de plus de 100 hectares dessine un tableau caractéristique de la vallée de la Somme. Les étangs s'étalent entre les méandres du fleuve canalisé, dans un patchwork d'herbes hautes et d'ilôts boisés. 

Ce paysage façonné par l'humain est aussi une zone riche en biodiversité, abritant notamment de nombreuses espèces d'oiseaux. Depuis 15 ans, le département de la Somme a identifié cette zone comme une priorité pour la préservation de l'environnement. Et depuis 2020, le maire d'Étinehem-Méricourt, Franck Beauvarlet, également vice-président du département de la Somme en charge de l'environnement, rêve de réaménager cet espace.

Loto de la biodiversité : 800 000 € de subventions, "ça nous donne un souffle"

L'objectif du projet est de dépolluer certaines zones des marais et d'y recréer une mosaïque de milieux, boisés ou ouverts, comme à l'époque où ils étaient utilisés comme zone de pâture, de récolte des roseaux et du bois. Cela participerait à la sauvegarde des tourbières, menacées par le changement climatique. Dans cette zone restaurée, les oiseaux seraient protégés et les touristes, les bienvenus. 

"Pour moi, c'est redonner à la nature ce que l'homme lui a pris, s'enthousiasme Franck Beauvarlet. À l'origine, ces marais étaient pâturés, fauchés, entretenus. Puis ils ont été "cabanisés", pendant 60 ans, on a cultivé ces habitations légères de loisirs où on faisait tout et n'importe quoi, avec des évacuations des eaux usées dans le marais… Cela n'est plus concevable à notre époque.

"C'est un projet très cher dans un milieu très dur à travailler"

Matthieu James, responsable du département de la Somme au CEN

Ce projet, fruit d'un partenariat entre la commune, le département de la Somme et le Conservatoire des espaces naturels des Hauts-de-France (CEN) a donc été retenu pour le loto de la biodiversité : l'équivalent du loto du patrimoine, mais pour les espaces naturels. 800 000€ de subventions sont en jeu. Une somme qui viendra s'inscrire dans l'enveloppe globale des 2,5 millions d'euros nécessaires au projet. Pour Franck Beauvarlet, cette sélection est "un clin d’œil touristique important. Nous sommes le premier projet retenu au niveau des Hauts-de-France, cela montre son intérêt par rapport à la dégradation des milieux."

"Le loto est une vraie opportunité, car c'est un projet très cher dans un milieu très dur à travailler, salue quant à lui Matthieu James, responsable du département de la Somme au CEN. Donc ça nous donne un souffle pour le faire, car nous aurions eu de grosses difficultés à le financer." Le CEN assurera la maitrise d'ouvrage sur les zones appartenant à la commune d'Étinehem-Méricourt, une convention droit être signée prochainement pour lancer les travaux au cours de l'année 2024. L'objectif de la commune est que le marais restauré soit accessible en 2026.  

Lundi 23 octobre, Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique, se rend sur place pour contempler le site avant d'aller acheter un ticket du loto de la biodiversité dans un établissement d'Albert. 

Préserver la plus vaste tourbière alcaline d'Europe de l'Ouest

À l'œil nu, ces marais ne paraissent pas très différents de ceux qui parsèment le reste de la Picardie. Mais un test de Ph fait apparaître toute leur singularité. "La tourbière est alcaline en raison de la présence de craie, son Ph est supérieur à 7, donc basique, contrairement à la plupart des tourbières qui sont acides, explique Franck Kostrzewa, chargé de mission environnement et RAMSAR auprès du département. Cela engendre au niveau de la flore un milieu très particulier avec des espèces caractéristiques de ce milieu. On est au sein d'une tourbière considérée comme la plus vaste tourbière alcaline d’Europe de l’Ouest. Le site dans sa totalité est très vaste, près de 13 400 hectares.

Dans certaines zones, la création de tourbe est encore active et le projet vise justement à la favoriser. "Nous allons déboiser en partie et enlever une certaine épaisseur de terre sur la berge pour récupérer des zones plus humides, détaille Valentin Dromard, chargé d'études scientifiques au CEN. Dans la zone des sources, nous allons enlever la vase qu'il y a au fond pour permettre aux sources de rejaillir. C'est dans ces milieux qu'il y a une création active de tourbe, sur les berges de l'étang."

"Les zones où la tourbe se crée encore sont rares dans la Somme"

Chloé Garcia, doctorante au laboratoire Edysan d'Amiens

En effet, la tourbe est créée lorsque des composés organiques (feuilles, herbes, etc) se dégradent dans un milieu recouvert d'eau la plupart du temps. C'est pour cela que l'un des aspects centraux de ce projet est de réguler le cycle de l'eau dans cet espace marécageux.  

Les tourbières, machines à remonter le temps 

Protégée par l'eau, la tourbe se forme lentement et constitue une véritable mine d'or pour les scientifiques. Chloé Garcia, doctorante au laboratoire Edysan lié à l'université Picardie-Jules Verne, tente par exemple de comprendre les dynamiques passées de formation de ces milieux, à la lumière des changements climatiques et des activités humaines, dans le cadre du projet Acheofen. 

Grâce à des carottes de tourbe, elle a pu déterminer que le début de la création des tourbières de la vallée de la Somme remonte à 14 000 ans, fin d'un âge glaciaire, puis tout s'accélère il y a 11 500 ans. "Cette période interglaciaire était très propice à la tourbe, jusqu'à il y a environ 4 000 ans, la vallée de la Somme était alors entièrement marécageuse, très impraticable, relate Chloé Garcia. Il y a 4 000 ans, le système de tourbières alcalines est perturbé par des modifications humaines. Avec l'intensification de l'agriculture à l'âge du bronze, la pression des activités humaines devient de plus en plus forte. Les défrichages déstabilisent le plateau et les versants, créant un phénomène d'érosion, la tourbe continue à se former, mais avec beaucoup plus de matière minérale.

"Nous avons étudié le site de Morcourt, où les tourbes les plus récentes datent du Moyen Âge, elles ont environ 700 ans, continue la chercheuse. Après, un sol limoneux se met en place et forme un couvercle sur la tourbe, ces limons viennent de l'érosion des plateaux et crues et décrues. La tourbe ne peut plus se former, car le niveau d'eau est trop bas. Les zones où la tourbe se crée encore sont rares dans la Somme" Des modifications dues au drainage des marais et à la création d'étangs, en plus de l'agriculture. 

Dans le cadre de ces recherches, d'autres chercheurs ont analysé les pollens et plantes contenus dans la tourbe et observé par exemple l'arrivée de la culture de céréales dans la vallée de la Somme, il y a presque 3 000 ans. Ou encore une baisse dans la quantité de pollens d'arbres à cette même période, due à un déboisement massif. De nombreuses données restent à analyser et la tourbe de la vallée de la Somme n'a pas fini de raconter ses histoires. 

Puits de carbone ou bombe écologique 

Un autre enjeu important des tourbières, c'est leur capacité à stocker le carbone, "trois fois plus qu'un sol forestier, souligne Chloé Garcia. Nous allons lancer l'année prochaine un projet pour estimer la quantité de carbone stockée dans ces tourbières, c'est très intéressant pour justifier l'importance de leur protection.

"Ce ne sera pas un milieu mis sous cloche, nous voulons avant tout créer une zone de quiétude pour la faune avec des espaces partagés et une mosaïque de milieux différents"

Franck Kostrzewa, chargé de mission environnement pour le département de la Somme

"Une quantité astronomique de carbone y est stockée et protégée de sa restitution dans l'atmosphère par l'eau, renchérit Franck Kostrzewa. Tant qu'il y a de l'eau, la tourbe est conservée, mais si elle est remise au contact de l'air, les microorganismes vont la dégrader et le carbone ainsi que d'autres gaz à effet de serre se retrouveront dans l'atmosphère. La formation de la tourbe prend des milliers d'années, sa dégradation, quelques dizaines. Donc ce projet met en lien la problématique de l'eau, celle du changement climatique et celle de la biodiversité."

Pour maintenir ces niveaux d'eau et éviter que le carbone des tourbières n'amplifie le dérèglement climatique, des vannages et autres ouvrages de régulation seront donc installés.

"Dans un système idéal, il faudrait simplement "renaturer", mais on ne peut pas s'affranchir de tous ces équipements si nous voulons maintenir le seuil d'eau sur la tourbe, reconnait Franck Kostrzewa. Ce milieu est de toute façon influencé par l'humain, donc ce ne sera pas un milieu mis sous cloche, nous voulons avant tout créer une zone de quiétude pour la faune avec des espaces partagés et une mosaïque de milieux différents pour favoriser un maximum d'espèces.

Un havre pour des espèces fragiles 

Un autre pan du projet est en effet de participer à la préservation d'espèces menacées identifiées dans le marais. "On a des enjeux en termes de poissons avec l'anguille, en termes de flore avec l'orchis négligé des marais ou encore l'urticulaire commune, une plante adaptée aux tourbières alcalines qui cherche son alimentation ailleurs que dans le sol en étant carnivore", précise Franck Kostrzewa. 

"L'objectif est une réserve ornithologique sur des espèces à très fort enjeux, par exemple une petite découverte de l'année dernière, le gorge bleue à miroir, ajoute Valentin Dromard. On a une responsabilité de les préserver et pour cela restaurer son habitat, par exemple les roselières pour les gorges bleu à miroir. Il y a aussi la vipère péliade, considérée comme menacée au niveau européen, je l'ai observée à six reprises sur ce site, ce qui montre qu'il y a une population bien en place à préserver. Si on ne fait rien, le milieu va se refermer et il n'y aura plus d'espaces naturels favorables à cette espèce."   

De nombreux peupliers vont donc être abattus pour rouvrir des espaces propices aux roseaux et des pâtures, qui seront gérées en concertation avec des éleveurs locaux. Certaines zones de forêts, les plus difficiles d'accès, seront conservées, mais la diversité des essences locales sera favorisée au détriment de l'homogénéité des plantations de peupliers. 

Les travaux débutent cette semaine 

Il faudra quelques mois pour que le gros œuvre ne débute sur la partie gérée par le CEN. Mais sur les hectares acquis par le département et qui comportent de nombreuses cabanes et pontons à démolir, "les travaux de dépollution vont commencer la semaine prochaine, se réjouit Franck Kostrzewa. Suite à ça, nous allons faire des diagnostics amiante, puis faire intervenir notre entreprise de travaux début 2024 pour démonter les cabanes et évacuer les produits polluants. Ensuite les travaux de restauration écologique seront menés, avant d'envisager les travaux de valorisation du site, car c'est un des objectifs du projet."

En effet, la restauration des marais d'Étinehem-Méricourt s'inscrit dans le projet global "Vallée de la Somme, vallée idéale" porté par le département. L'idée est donc de valoriser cet espace de façon participative en consultant les habitants sur le futur qu'ils souhaitent pour leur vallée. Les ateliers et consultations doivent commencer en janvier 2024. 

"Mettre en valeur les beaux coins de nature"

Un autre objectif est de retenir les visiteurs plus longtemps : "Le Pays du Coquelicot est un beau symbole de la première guerre mondiale qui attire des touristes de la mémoire, mais il faut mettre en valeur ses beaux coins de nature, cela peut permettre de fidéliser ces touristes, les attirer dans nos commerces et hôtels, se projette Franck Beauvarlet. Ce projet de restauration du marais est un vrai symbole de l'union des communes d'Étinehem et Méricourt depuis 2017, mais j'espère de tout cœur que les communes voisines puissent être les maillons supplémentaires de cette chaîne."

Ce site, le département le voit comme un lieu "pilote, où l'on mène une gestion exemplaire, qui serve de modèle pour que des communes, des propriétaires privés s'emparent de cela, pour voir qu'une autre gestion est possible et que ça fonctionne, conclut Franck Kostrzewa. Notre objectif est aussi d'améliorer les connaissances, c'est pour cela que l'on travaille avec le CNRS et l'université afin de mieux comprendre la dynamique des oiseaux. L'idée est d'impacter toute la biodiversité, la mise en place d'indicateurs, de suivis est importante pour pouvoir réajuster certaines choses en cours de route."

D'ici là, pour soutenir la restauration de cet espace, les tickets du loto de la biodiversité sont disponible dans tous les espaces de vente de jeux à gratter : sur les 3 € que coûte le ticket, 43 centimes sont reversés à l'OFB, ils financeront ce projet et 19 autres partout en France.

Avec Lucie Cailleret / FTV

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