Face à la sécheresse et la raréfaction de l’eau pour les années à venir, Emmanuel Macron a évoqué "la fin de l’abondance", lors de sa visite au Salon de l’agriculture à Paris. Qu’en est-il dans le département de la Somme, une des zones humides les plus importantes du nord de l’Europe ?
Lorsque l’on évoque la Picardie, c’est pour parler, le plus souvent, de pluie et d’humidité. Un climat jugé peu hospitalier. Mais, avec le changement climatique, le prisme tend à changer. Les zones humides sont désormais regardées comme des trésors à préserver. Et la Somme n’en manque pas. De Ham à Saint-Valery-sur-Somme, en passant par Péronne, Moreuil, Boves, Amiens, Abbeville, la Vallée de la Somme est riche de prairies humides, de roselières, de marais et de Tourbières. Les plus connus : les hortillonnages, l’étang de Saint-Ladre, le marais des Trois-vaches, les prés-salés du littoral.
Les zones humides : une richesse samarienne
À l’heure où la sècheresse menace, ces zones humides jouent un rôle très important en matière de ressource en eau. "Elles jouent un rôle d’éponge dans la nappe phréatique. Ce sont des retenues naturelles qui permettent de relâcher l’eau dans les ruisseaux en période estivale", précise Olivier Mopty, directeur de l’Ameva, syndicat mixte d’aménagement et de valorisation du bassin de la Somme.
À l’origine de ces zones humides, la Somme a commencé à creuser le plateau picard il y a 2,6 millions d’années, au démarrage des cycles glaciaires. La rivière a dessiné les sillons et l’environnement forestier. En se décomposant, la matière organique végétale a créé les tourbières. "L’homme a ensuite creusé ces zones pour extraire la tourbe, et en faire un combustible, dès le 19ᵉ siècle. Nos marais de Boves, par exemple, sont nés de la main de ces ouvriers", indique Bruno Bienaimé, adjoint au maire d’Amiens, délégué à la nature en ville.
Des réserves d’eau fragiles
Sur le bassin de la Somme, les tourbières représentent 35 000 hectares sur 500 000 hectares. L’une des plus grandes tourbières du nord de l’Europe. Mais ces réserves d’eau souterraines ne suffiront pas à éviter le manque d’eau. "Nos agents contrôlent régulièrement les réservoirs et observent une baisse de l’eau dans la nappe phréatique. Mais la Somme continue à perler en sous-terrain. Nous avons un niveau correct pour la ville d’Amiens", explique l’adjoint au maire.
Nous observons un déficit de recharge de la nappe que l’on risque de payer cet été.
Olivier Mopty, directeur de l’Ameva, syndicat mixte d’aménagement et de valorisation du bassin de la Somme
Quid pour le reste du département ? Selon Olivier Mopty, pour mesurer la sécheresse, il faut prendre en compte un paramètre important : la pluviométrie. "Il ne pleut plus depuis le mois de décembre. Nous observons un déficit de recharge de la nappe que l’on risque de payer cet été. Nous allons entrer dans une sobriété en cours d’eau, car la Vallée de la Somme a une forte inertie. C’est-à-dire qu’elle met longtemps à se vidanger, par exemple après de fortes pluies et inondations, mais elle tarde aussi à se recharger lorsqu’elle est sèche".
Autre élément, propre à notre région : la consommation forte en eau. "Nous avons une éponge sous les pieds, mais nous avons également un territoire qui consomme beaucoup d’eau. L’agriculture et l’industrie agroalimentaire sont de grandes consommatrices d’eau. La pression est donc très forte. Et la question du partage de l’eau se pose entre les différents usages", ajoute le directeur d’Ameva.
Le syndicat mixte étudie localement les projections du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), en partenariat avec le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) pour évaluer les ressources souterraines. Les scientifiques devraient rendre des conclusions fin 2023. "Nous avons des instances qui réunissent tous les utilisateurs d’eau : les industriels, les agriculteurs, les élus, car l’enjeu, c’est le partage de l’eau. Il n’y aura pas d’eau pour tout le monde", alerte Olivier Mopty.
Les tourbières stockent cinq à sept fois plus de carbone qu’une forêt.
Olivier Mopty, directeur de l’Ameva, syndicat mixte d’aménagement et de valorisation du bassin de la Somme
En 2017, les marais et tourbières des vallées de la Somme et de l’Avre étaient désignées zones humides d’importance internationales par la convention Ramsar, un traité international de protection des zones humides avec 2 400 sites labellisés. Mais depuis 1970, 67 % de ces zones humides ont disparu, asséchées ou remplacées par l’agriculture intensive et l’urbanisation.
Pourtant, d’après les spécialistes de la gestion de la ressource en eau du département, les tourbières sont à l’origine d’un cercle vertueux. "Les tourbières stockent cinq à sept fois plus de carbone qu’une forêt. Plus on a d’eau dans ces zones et plus le carbone sera retenu. Ce qui permet de freiner le changement climatique et donc la sècheresse", explique Olivier Mopty.
Une situation inédite en France
La Vallée de la Somme n’a rien à envier à d’autres départements, comme ceux du sud de la France, qui sont déjà en alerte sècheresse. Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu rencontrait ce lundi 27 février les préfets qui coordonnent les sept grands bassins du pays afin de "planifier les problèmes de raréfaction de l'eau". "La situation est plus grave que l'an dernier à la même époque et on a deux mois de retard sur la recharge des nappes phréatiques", a rappelé le ministre. Quatre départements, l'Isère, les Bouches-du-Rhône, le Var et les Pyrénées-Orientales, connaissent déjà des restrictions d'eau, contraignant les acteurs locaux à réduire de moitié leurs prélèvements.
Les départements sont appelés à la sobriété sur l’eau, dès ce mois de février, particulièrement sec sur tout le territoire. "Nous sommes vigilants sur les nappes phréatiques, mais nous n’avons pas la main sur la pluie", admet Bruno Bienaimé qui ajoute que des mesures et des actions de sensibilisation seront menées dans la métropole amiénoise pour réduire la consommation d’eau si la situation s’annonçait critique.