Dans la Somme, Sylvain Deraeve, agriculteur bio, et Clément Crété, pépiniériste, font le pari de l'agroforesterie

Véritables auxiliaires de l'agriculture, les arbres sont de retour dans les campagnes. Lorsqu'on les associe aux cultures et/ou à l'élevage, c'est le principe de l'agroforesterie, les bienfaits se font sentir sur la qualité des sols et le bien-être des animaux. Et en plus c'est beau ! 

À Bayonvillers dans la Somme, les parcelles de Sylvain Deraeve se voient de loin. Agriculteur au cœur du Santerre, pays des grandes cultures, il est à la tête d'une petite, voire très petite ferme dans le secteur. 42 hectares entourés de près de 10 kilomètres de haies d'une cinquantaine de variétés différentes.

C'est son père, Dominique, qui a commencé à recréer ce bocage de toutes pièces en 2007.

Les arbres, une aide pour les cultures

"Ce qui l'a amené à planter des arbres, c'était pour augmenter la biodiversité, favoriser les auxiliaires des cultures qui vont nous aider à cultiver, explique Sylvain. On cultive sans produits chimiques, on est en agriculture biologique. Donc on est un peu plus tributaires d'éventuelles maladies, d'éventuels ravageurs. Les haies et les bandes enherbées vont nous permettre d'aider les cultures".

Ce n'est donc pas une légende ? "Non ! Ce n'est pas une légende", sourit Sylvain.

Ça apporte aux brebis de l'ombre pendant les grosses chaleurs en pleine journée, ça leur apporte un abri du vent, un abri de la pluie en période hivernale. Elles mangent aussi des feuilles des branches.

Sylvain Deraeve, agriculteur à Bayonvillers

Un petit cri de Sylvain et des brebis apparaissent dans un champ. S'il est difficile de quantifier les bienfaits de l'agroforesterie sur les rendements des cultures, les brebis, elles sont ravies. "Les animaux, c'est eux qui sont contents en premier. On le voit, affirme Sylvain. Ça leur apporte de l'ombre pendant les grosses chaleurs en pleine journée, ça leur apporte un abri du vent, un abri de la pluie en période hivernale. Elles mangent aussi des feuilles des branches. Donc ça leur apporte aussi un peu de nourriture. En plein été, quand il n'y a plus beaucoup d'herbe, on peut être amenés à couper des branches pour compléter leur ration."

Les multiples utilités des arbres

Mais il ne suffit pas de planter des arbres et de les regarder pousser. Pour optimiser la cohabitation entre les haies et les cultures, il faut un entretien régulier des bandes arborées. "On a des arbres qui ont tendance à faire des fourches, raconte Sylvain, une scie à la main. Donc, on va essayer de couper les plus grosses fourches pour obtenir un arbre exploitable valorisable en ébénisterie, en menuiserie peu importe. Avec le temps, on arrive à repérer les fourches qu'il faut couper celles qu'il faut laisser c'est un petit coup d'œil mais ça s'apprend quand même !"

Des arbres qui sont aussi exploités par Inès, la sœur et associée de Sylvain. Boulangère de son état depuis 10 ans, elle a construit petit à petit son fournil dans la ferme familiale. La farine de blé vient de l'exploitation. Pas d'agents de levage ni de conservation. Inès maîtrise son produit de A à Z. "C'est un peu en droite ligne de ce que notre père a fait forcément, constate Inès, occupée à pétrir de la pâte. Il y a eu le passage en bio, la plantation des haies, une approche du sol qui est différente."

Et les arbres dans tout ça ? "Ah les arbres !", reprend Inès en se tournant vers son frère, sourire aux lèvres. C'est lui qui répond : "ben les arbres, ils nous chauffent, ils cuisent le pain. Concrètement, ça a des utilités pour les cultures, ça a des utilités pour valoriser ce qu'on peut faire sur la ferme notamment le pain. Ça nous sert aussi de chauffage. Ça a différentes utilités".

Des graines récoltées dans la nature

Et des arbres, c'est justement ce que produit Clément Crété. Clément est pépiniériste, agroforestier et aussi apiculteur. Il a repris il y a quelques années la pépinière que son père, Antoine, a créée en 1976 à Lafresguimont-Saint-Martin dans la Somme.

Sur 30 hectares, en pleine terre, des centaines de plançons de peupliers, de jeunes plants de feuillus, de résineux et d’arbustes champêtres. Tous sont destinés au boisement de terres agricoles et aux plantations de terrains forestiers. C'est la plus grande pépinière de la région.

Et au commencement, est la graine. À l'automne, Clément est allé en récolter lui-même en forêt ou dans les haies. Des graines qui vont passer l'hiver au chaud dans des sacs enfouis dans du sable. "On les garde ici pendant huit mois, jusqu'au mois de mai, nous montre Clément. Au bout de huit mois, elles seront prêtes à être semées. Elles vont commencer à germer. Et quand elles commenceront à germer, elles pourront être semées."

Traçabilité

86 espèces sont ainsi labellisées végétal local. "Ça fait une trentaine d'années qu'on replante des haies et des arbres dans la région, explique Clément. Jusqu'à présent, les graines étaient importées des pays de l'est. Et on s'aperçoit qu'il y a beaucoup de problèmes de croissance, de maladies avec ces individus importés. Et nous, notre métier, c'est de garantir une traçabilité".

Il n'y a pas plus fort qu'un gland : un gland peut germer plusieurs fois

Clément Crété, pépiniériste et agroforestier à Lafresguimont-Saint-Martin

Sous des bâches, des rangs de chênes pubescents. Les glands proviennent d'une forêt de l'Oise, la limite nord de l'espèce. "Le chêne pubescent, c'est le chêne qui va être replanté en vue du réchauffement climatique : il résiste beaucoup à la sécheresse et même au calcaire, explique l'agroforestier. Il n'y a pas plus fort qu'un gland : un gland peut germer plusieurs fois". Clément nous montre une pousse : "là, c'est la racine qui se développe et à partir du 15 février/1er mars, la tige principale va apparaître". Et à partir de quand cette pousse va devenir un arbre ? "Tout de suite ! répond-il du tac au tac. On a tout de suite un arbre. Il naît arbre. C'est un arbre. Il sera adulte dans une cinquantaine d'années. On est adulte quand on est en capacité de se reproduire. Donc pour un chêne, c'est dans une cinquantaine d'années. Après, il va vivre 150 ans".

Le succès des végétaux locaux

C'est Antoine, le père de Clément et de Pierre, qui a planté la graine de l'entreprise il y a 50 ans. Aujourd'hui elle emploie 12 personnes à plein temps et 12 saisonniers. "Je voulais être agriculteur mais mon père n'a pas voulu, s'amuse celui qui est aujourd'hui à la retraite. Alors il m'a mis dans l'horticulture et ça m'a passionné. Maintenant, on produit 500.000 plans par an". Avait-il imaginé au commencement que son entreprise en arriverait là ? "À l'époque je n'imaginais rien ! À part que je ferais ça jusqu'à ma retraite. Et je le fais même au delà de ma retraite ! Et c'est intéressant de faire ça avec mes enfants".

Aimer la pluie, aimer le froid... Parce que pour planter des arbres au mois de février quand il fait 2°C, du vent et de la pluie, c'est pas toujours le plus facile.

Clément Crété, pépiniériste et agroforestier à Lafresguimont-Saint-Martin

Cette année, les commandes explosent. L'entreprise vend dans tous les Hauts-de-France, en Normandie et en Île-de-France. Au point qu'elle doit recruter au moins quatre CDI, tant pour développer le site internet que pour planter des arbres.

Travailler en pleine nature

Pour planter des arbres, aucun diplôme particulier requis. "Le diplôme "aimer la pluie", il est quand même dur à acquérir, tempère Clément. Aimer la pluie, aimer le froid... Parce que pour planter des arbres au mois de février quand il fait 2°C, du vent et de la pluie, c'est pas toujours le plus facile. C'est pour ça que l'esprit d'équipe est vachement important : il faut s'entraider".

Quand je plante un arbre, c'est comme si c'était pour moi.

Jean-Paul Brocard, reboiseur à la pépinière Crété

Jean-Paul Brocard est l'un de ceux que les rigueurs du climat n'effraient pas. Il est reboiseur, comme on dit dans le métier. Et il travaille dans la pépinière Crété depuis 35 ans. 35 ans de fidélité et au moins un million d'arbres plantés. "La nature, c'est beau ! Il fait beau ! Y a du soleil ! S'exclame-t-il au milieu des arbres. Y a des jours, c'est un peu plus dur. Quand il pleut ou qu'il y a des neiges, on arrête un peu plus tôt et le lendemain, on fait une demi-heure de plus et puis c'est tout." Et à quoi pense-t-il quand il plante un arbre ? "C'est comme si c'était pour moi".

Et au milieu de ses plants, l'outil sur l'épaule, Jean-Paul harangue ses arbres "Voilà ! Y a plus qu'à pousser !"

 

Quels sont les visages de l’agriculture d’aujourd’hui ? Pour les découvrir, cliquez sur un point, zoomez sur le territoire qui vous intéresse ou chercher la commune de votre choix avec la petite loupe. Bonnes balades au cœur du monde paysan.

 

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