Reprendre une épicerie ou un restaurant en ville ou à la campagne, c'est le choix de certains jeunes décidés à faire perdurer les commerces de proximité. Un parcours semé d'embûches, qu'ils parviennent toutefois à surmonter.
"Alors là, je suis en train de détailler un agneau, et ensuite, on va le couper partie par partie", nous montre Hugo Targa, patron d'une boucherie à Amiens depuis quelques mois.
Et c'est tout un art... Pas le métier le plus prisé. Perçu, comme une voie de garage. Mais avec la boucherie, Hugo a trouvé la sienne et quitté son métier de brancardier. "J'ai toujours voulu être à mon compte, j'ai eu l'opportunité de faire mon apprentissage ici, il y a maintenant 2 ans. Mon ancien patron est parti à la retraite et donc c'était la bonne opportunité qu’il fallait saisir. Aujourd'hui, c'est moi le patron", s'enthousiasme-t-il.
À la campagne, à 20 kilomètres d'Amiens, un jeune couple a repris l'unique commerce à vendre. "Je suis gérante d'un restaurant, café, brocante, chambres d'hôtes, poste, tabac... depuis 2 ans maintenant", sourit Laudine Verbraeken, propriétaire du café Couleurs d'antan à Thézy-Glimont dans la Somme. "Les anciens propriétaires partaient à la retraite et nous ont indiqué qu'ils allaient vendre le commerce, donc on s'est dit que ce serait chouette qu'on continue de le faire vivre", raconte-t-elle.
Mais au-delà de la poésie du lieu : le prix, 90 000 €. Nerf de la guerre, le financement qui ne se fait pas sans mal, surtout pour des jeunes sans expérience. "On a apporté, Quentin et moi, 42 000 € au total. Et le reste a été prêté par une banque, difficilement, au forceps un peu, puisqu'on a rencontré une dizaine de banques pour présenter le projet et il n'y a qu'une seule banque qui nous a suivis réellement et qui a accepté de nous financer", explique-t-elle.
"Je me lève à 5h30 - 6h du mardi au dimanche"
Du côté de la boucherie d'Hugo, jeune patron de 21 ans, le commerce tourne bien, mais il ne compte pas ses heures. "60 heures... 55 h ou 60 h, cela dépend, indique-t-il. Je me lève à 5h30 - 6h à peu près du mardi au dimanche."
Volonté et persévérance : les deux vertus du petit commerçant plutôt que l'appât du gain, avec des débuts souvent difficiles. "Je gagne 1 000 € tout ronds, pour 60 heures par semaine, pour le début, pour pouvoir me garder un peu de trésorerie, payer mes fournisseurs, mes gars, tout le monde, après, je me verserai un salaire", assure-t-il.
"On travaille largement plus qu'à temps plein chacun et on se dégage un salaire de 1 200 € pour deux donc 600 € par personne alors qu'on travaille énormément, confie Laudine. Ce qui fait que Quentin est obligé de travailler à côté. Nous, on ne l'a pas fait pour l'argent et je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de commerçants qui le fassent pour être riches."
La reprise n'est pas dans l'air du temps : 2 seulement contre 8 créations de commerces et pourtant les repreneurs sont accompagnés dans leur projet par les chambres des métiers et de commerce. "On a mis dans le tour de table les banquiers pour leur demander comment ils pourraient être plus favorables, faire plus pour la reprise d'entreprise, pour les repreneurs qui n'ont pas d'apport personnel, parce qu'effectivement c'est un frein et tant qu'on n'aura pas les banquiers qui seront favorables, un certain nombre de reprises ou de créations ne se feront jamais", affirme Estelle Morcant-Riquier, élue référente territoire Val de Somme CCI Amiens-Picardie.
Commerce à vendre, recherche repreneur
Si les jeunes ont du mal à acheter, les plus âgés n'arrivent pas à vendre. "Nous cherchons à vendre notre restaurant depuis un an. J'en ai marre, j'ai 66 ans, j'ai assez travaillé dans ma vie, soupire Alain Remue, patron et chef cuisinier de La taverne à Roye. J'ai des acheteurs, mais les banques sont trop dures. Une fois qu'on franchit leurs portes, c'est terminé, il leur faut 30 % d'apport, c'est impossible, c'est trop pour des jeunes qui veulent se lancer dans la vie."
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Ce n'est pas faute d'avoir baissé le prix de 240 000 € à 190 000 € pour un fonds de commerce qui tourne : 35 couverts le midi, le double le week-end. "On est obligé de rester et continuer à travailler tant que cela n'est pas vendu, parce que s'il n'y a plus de chiffre d'affaires, le prix va encore baisser", déplore Roselyne, la femme d'Alain.
Dans cette cité gastronomique de 18 restaurants qui cherche à maintenir le commerce de proximité, la mairie peut-elle apporter sa contribution aux éventuels repreneurs ? "En tant que représentant de la commune, je ne peux pas aider directement financièrement, par contre via le biais de la communauté de communes, les repreneurs peuvent avoir une aide financière pour la reprise ou la création d'une activité. Et puis nous sommes, la commune, propriétaires des murs, donc l'aide financière directe ou indirecte que l'on peut apporter, cela peut être une franchise de loyer ou des travaux d'aménagement, de rafraîchissement", indique Delphine Delannoye, maire (SE) de Roye.
"Je me lève pour moi, je bosse pour moi"
Cela devient si rare qu'un vendeur ait un successeur que l'histoire du jeune Hugo a plu à un documentariste client de la boucherie, qui a souligné l'importance de la proximité et de la transmission. "À 20 ans avoir ce courage de reprendre une boucherie de quartier alors qu'on sait aujourd'hui que les grandes surfaces arrivent plein pot avec des prix défiants toute concurrence, cela ne donne pas une grande espérance de vie. Combien on en voit, ne serait-ce que dans ce quartier-là, qui ont fermé ?", souligne Vincent Mirguet, réalisateur du documentaire Dans la boucherie.
Même si c'est un saut dans le vide avec des vents contraires, ils ne regrettent rien. "C'est très gratifiant personnellement, je me dis : je me lève pour moi, je bosse pour moi et c'est un réel plaisir", soutient Hugo. "Une réussite, c'est délicat à dire parce que l'on marche toujours sur des œufs, on est toujours quand même un peu sur la brèche, mais c'est une réussite en termes de public, de fréquentation. Pour ça, on est content", sourit Laudine.
L'avenir dira si l'enthousiasme de Laudine et d'Hugo suffit à maintenir leur petit commerce. Quant à Roselyne et Michel, ils aimeraient transmettre pour ne pas avoir travaillé pour rien. Un commerce près de chez soi participe à la qualité de vie. Plus d'un village sur deux n'en possède plus.
Édité par Eline Erzilbengoa / FTV