Quatre des cinq candidats aux élections législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet, de la 1re circonscription de la Somme, ont débattu autour de trois thématiques d'actualité : le pouvoir d'achat, l'emploi et l'immigration. Ils ont également eu l'occasion, à la fin, d'avoir 45 secondes d'expression libre. Retour sur les points clés du débat.
Sur le plateau de France 3 Picardie, les principaux candidats aux élections législatives de la première circonscription de la Somme s'affrontent pendant 45 minutes à l'occasion de cette soirée électorale.
Face au député sortant François Ruffin, candidat à sa succession avec le Nouveau Front populaire (NFP), Albane Branlant représente la majorité présidentielle Renaissance, Nathalie Ribeiro-Billet, le Rassemblement national et Bruno Dumont, le parti Alliance centriste. Non invité, Jean-Patrick Baudry représente le parti Lutte ouvrière dans cette circonscription.
Ce débat a pour vocation de présenter les programmes de chaque candidat sur les thématiques clefs de cette campagne électorale.
Pouvoir d'achat : alignement sur l'inflation ou baisse des charges
S'il y a un point sur lequel tous les candidats sont d'accord, c'est que chacun doit pouvoir vivre décemment de son travail. Une fois cela dit, la question de la manière d'y arriver est plus clivante.
François Ruffin, candidat du Nouveau Front Populaire, est favorable à l'indexation des salaires sur l'inflation : si les prix augmentent de x%, les salaires augmentent du même pourcentage.
"Ça a existé en France jusqu'en 1982, ça existe encore en Belgique. Parce que sinon, qu'est-ce qu'il se passe ? interroge François Ruffin. Il faut comprendre le sentiment de déclassement des gens, la smicardisation de la société. Il y a eu +50% de smicards depuis 2010. Pourquoi ? Parce que le SMIC augmente, car il est indexé sur l'inflation, mais au-dessus, ça ne l'est pas. Quand je demande l'indexation des salaires sur l'inflation, je suis modeste, car, en réalité, on pourrait demander l'indexation des salaires sur les dividendes. C'est + 13% en un an. Ce qui veut dire qu'on a une France qui aujourd'hui est rationnée, c'est celle des salariés qui se prive sur sa santé, sur son assiette et de l'autre côté, on en a en haut qui se gavent. Il suffit de lire la presse économique pour voir que le CAC40 se porte très bien, qu'il y a des bénéfices importants. Donc, on partage. Un rééquilibrage entre le travail et le capital."
Le candidat de l'Alliance centriste Bruno Dumont est également favorable à cette indexation des salaires sur l'inflation. "Il faut obliger les branches professionnelles à ouvrir les négociations avec les partenaires sociaux, afin d'une part, d'augmenter le SMIC et la grille des salaires et éviter que tout le monde ne se retrouve au SMIC, renchérit-il. Il faut aussi une baisse des taxes de l'énergie qui nous redonnera du pouvoir d'achat."
Une orientation qui provoque un doute de la part de la candidate Renaissance Albane Branlant, qui demande comment financer ces augmentations de salaires pour les TPE et PME.
"Aujourd'hui, il y a 200 milliards d'euros d'aides publiques données aux entreprises. Donc c'est le premier budget de l'État, lui répond François Ruffin. C'est absolument gigantesque. C'est fait aujourd'hui sans ciblage, dans un arrosage général." Il propose donc d'utiliser ces fonds de façon plus précise : "On les dirige en priorité vers les TPE/PME et vers l'industrie, puisque l'industrie est en concurrence internationale. Par exemple, le crédit impôt compétitivité emploi, les premiers bénéficiaires, c'est Casino, Carrefour et Auchan. C'est-à-dire des boites de grande distribution qui ne sont pas en concurrence à l'international. Donc arrêtons d'arroser, ciblons (...)"
Albane Branlant met en garde contre l'impact supposé de cette mesure : "Le moment est grave. J'ai l'impression, en allant tracter, que les gens ont peur. J'aimerais leur dire que si on veut soutenir le pouvoir d'achat des habitants de la circonscription, il faut que l'économie tienne. Or, que ce soit La France Insoumise, l'extrême gauche, ou le Rassemblement national, l'extrême droite, c'est un programme de dépenses publiques monstre. 300 milliards de dépenses publiques supplémentaires pour Mr Ruffin, pour la candidate du RN, 100 milliards de dépenses publiques supplémentaires. Une banqueroute, une faillite."
La candidate du Rassemblement national, Nathalie Ribeiro-Billet, préfère quant à elle proposer une baisse des charges sociales. "Le Rassemblement national veut laisser la possibilité aux patrons d'augmenter de 10% les salaires de ses employés sans payer de charges sociales. C'est-à-dire qu'il déboursera par exemple 200€, 200€ qui ira directement dans la poche de ses salariés. De plus, il y a une deuxième mesure qui est fait par le Rassemblement national, c'est la baisse de la TVA pour les produits de première nécessité ou pour l'énergie."
Sur cette dernière mesure, ses adversaires ne manquent pas de souligner les annonces contraires de Jordan Bardella, qui a récemment renvoyé la baisse de la TVA sur les produits de nécessité à "un second temps". Mais la candidate RN l'assure, ces mesures restent bien d'actualité.
Prix de l'énergie : re-réguler le marché
Corollaire de la question du pouvoir d'achat, celle du coût de l'électricité est nécessairement évoquée par les candidats.
Albane Branlant défend l'action du gouvernement sur ce point : "Il y a une réforme du marché européen de l'énergie, justement pour protéger les français et avoir des contrats plus longs qui évitent les fluctuations du prix de l'énergie, quand il y a des crises géopolitiques à nos portes, comme ça a été le cas en Ukraine."
Pour François Ruffin, "Le problème qu'on a, c'est qu'aujourd'hui, on a mis l'électricité sur le marché. Il faut savoir que pendant des décennies, l'électricité n'a pas été sur le marché européen. Qu'est-ce qu'il se passe ? On a le gigawattheure qui est produit à 60€ en France, dans des centrales nucléaires françaises, qui est vendu en France, mais à la place de le vendre au tarif de production, ça passe par tout un circuit financier qui fait que c'est multiplié par quatre ou cinq. Il s'agit de sortir l'électricité du marché et de faire que, simplement, le prix de production corresponde au prix de consommation."
Emploi : préférence nationale, réforme du chômage ou consolidation des emplois
Dans la Somme, le taux de chômage est légèrement supérieur à la moyenne nationale et s'établit à 8,7% en 2023 contre 7.2% au niveau national. Ce chiffre ne prend cependant pas en compte tous les inactifs, mais bien les inscrits au chômage et RSA.
"On a du savoir-faire, donc ce que propose le RN, c'est d'emmener les jeunes vers des formations pour lesquelles nous avons un besoin. Et de faire, bien sûr, la priorité nationale, pour l'accès au logement et à l'emploi, indique Nathalie Ribeiro-Billet. C'est simplement que les Français doivent passer en premier. Que ce soit pour l'emploi ou pour le logement. On voudrait aussi aider les PME, que ce soit au niveau administratif ou bien les aider au niveau du fardeau fiscal qu'ils subissent. Et bien sûr, protéger l'économie en la protégeant de la concurrence déloyale."
Albane Branlant souligne que si des choses peuvent être reprochées à la majorité, "certainement pas de s'être battue pour avoir de l'emploi, que ce soit sur la circonscription ou en France. À Amiens, on était sur un taux de chômage de 12%, on est à 8%. On a mis en place des structures comme territoires d'industrie, pour attirer des entreprises sur notre territoire."
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Elle évoque aussi la question des personnes au RSA : "il y a trois problématiques majeures : celle de la garde d'enfants, celle des problèmes de mobilité et celle des maladies. Nous, on veut concrètement répondre à ces problématiques pour rapprocher les gens de l'emploi, pour qu'ils vivent mieux." Elle confirme également que la nouvelle réforme du chômage prévue par le gouvernement se fera bien.
François Ruffin annonce vouloir agir en faveur de la consolidation des emplois : "le gros souci aujourd'hui, c'est qu'on a transformé des métiers en des "bouts de boulots", c'est-à-dire qu'on a baissé de cinq points la part des CDI dans l'emploi. Pourquoi ? parce qu'il y a eu une explosion des autoentrepreneurs. Or, il faut que les métiers permettent d'avoir statut et revenus."
Bruno Dumont quant à lui propose une réforme des charges sociales pour améliorer la situation des chômeurs. "Il y a trop de règles à l'embauche et trop d'incitation à ne pas travailler, le fléau du chômage des jeunes et des plus de 50 ans, indique le candidat. Dans ces deux cas, il faut diminuer les cotisations sociales de moitié, pour les moins de 30 ans et les plus de 50 ans. Cette réforme, on la finance par une remise à plat de la sécurité sociale."
Réforme des retraites : 60 ou 64 ans ?
Pour la candidate RN, sur la question des retraites, "il y a des réductions à faire ailleurs, par exemple l'aide médicale d'État, qui ferait 1,5 milliard d'euros d'économies. On a été clairs avec les Français, on a dit qu'avec la majorité et Jordan Bardella à Matignon, on allait en priorité s'occuper des choses urgentes. On ne lâchera pas, c'est 60 ans pour les gens qui ont cotisé 40 annuités et qui ont des travaux pénibles. À partir de septembre, octobre."
Une annonce à laquelle ses concurrents ne peuvent s'empêcher de réagir, le chef du parti Jordan Bardella ayant récemment annoncé remettre cette mesure à "un second temps". Le débat s'anime, mais le temps file en invectives et il faut déjà passer à la question suivante, celle de l'immigration.
Sur l'immigration
Attendue sur cette thématique, Nathalie Ribeiro-Billet choisit d'évoquer en premier lieu la famille de son époux, issu de l'immigration portugaise et qui s'est "intégrée par le travail". "Les mesures du Rassemblement national, c'est qu'il faut une immigration choisie et encadrée. Par exemple, de l'immigration temporaire pour des saisonniers, ça fait un système gagnant-gagnant, détaille-t-elle. Il faut aussi, bien sûr, faire le référendum sur l'immigration pour la suppression du droit du sol. Vous avez aussi l'instauration de la priorité nationale sur l'emploi et le logement. Et bien sûr, l'expulsion des OQTF et l'expulsion des personnes à qui nous avons refusé le droit d'asile."
Le candidat centriste, Bruno Dumont, propose de s'inspirer de l'action du gouvernement italien tout en favorisant l'entreprenariat : "Fermer les frontières est une illusion, Mme Meloni n'y est même pas parvenu. Donc, il faut négocier des accords avec les pays de départ comme elle l'a fait et pratiquer une immigration choisie pour répondre aux besoins de notre économie. Pratiquer une politique d'intégration avec des règles du jeu claires sur la laïcité et un encouragement à la création d'entreprise pour les jeunes."
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Après avoir souligné qu'elle est "extrêmement effrayée à l'idée de voir Jordan Bardella serrer la main de Gabriel Attal sur le perron de Matignon", la candidate de la majorité veut s'inscrire dans la nuance. "Il y a différentes formes : l'immigration légale, on a fait lors de la dernière réforme notre possible pour régulariser les métiers en tension. On a des besoins énormes sur la circonscription, que ce soit dans le secteur du soin, dans la restauration et le BTP. Sur l'immigration illégale, la réponse doit être extrêmement ferme, mais je pense qu'on incarne ces deux jambes. On est le pays européen où il y a le plus d'OQTF."
François Ruffin, lui, se dit défavorable à l'immigration choisie et ciblée sur certains secteurs, mais pas à l'idée de frontière. "Je pense que les frontières, elles ont besoin d'être poreuses, ça construit un espace de droit commun et de régulation. Je ne suis pas favorable à une immigration ciblée. Quand j'entends dans les ministères ou les groupements d'employeurs 'on a besoin d'auxiliaires de vie, on va faire venir des femmes d'origine subsaharienne pour le faire en France', je n'y suis pas favorable. Je pense qu'il vaut mieux construire statut et revenu, pour une femme qui habite ici, qu'elle soit d'origine étrangère ou d'origine française, qu'elle puisse s'épanouir dans ce métier d'auxiliaire de vie. Les personnes qui sont ici, on ne les renverra pas. Il faut donc faire ce qu'on a toujours fait : la langue, la formation, le travail."
Finalement interrogés sur cette campagne accélérée, les candidats admettent tous qu'il s'agit d'un défi. Albane Branlant souligne qu'elle veut "fédérer la majorité des modérés". La candidate RN rappelle que son parti représente "l'union des droites".
Bruno Dumont promet un retour à "l'humilité, à l'écoute et au sérieux" après sept ans de "désinvolture". François Ruffin insiste sur l'enjeu du scrutin, qui est d'après lui de sortir du "désordre dans l'injustice" engendré par les mandats d'Emmanuel Macron.