Cérémonie de l'Anzac Day : mais pourquoi les Australiens aiment tant Villers-Bretonneux ?

L’Anzac Day arrive et à nouveau, ce mardi 25 avril à l’aube, des centaines de milliers de téléspectateurs australiens verront les commémorations de Villers-Bretonneux sur leur écran. Comment une cérémonie nocturne, sur une colline au fin fond de la Somme, peut-elle avoir autant d’importance en Océanie ? Explications.

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Deux bouts du monde réunis au lever du soleil. La scène se reproduit chaque année, au petit matin du 25 avril. Sur place ou depuis leur poste de télévision, le cœur battant, Australiens et Néo-zélandais ont les yeux rivés sur la Somme et Villers-Bretonneux, village d’à peine 4 600 âmes, au sud-est d’Amiens. Surprenant ? Oui. Même pour Yves Taté, fidèle administrateur de l’association franco-australienne de la commune : "En Australie, vous dites que vous venez d’Amiens, ah bon, ok... Et vous précisez Villers, les gens s’exclament ! Tout le monde sait ce que ça représente, comme Verdun ou Austerlitz pour nous. C’est formidable."

Cet improbable lien international s’est noué dans la Grande Guerre et la bataille d’Amiens. Le 25 avril 1918, 5h du matin à Villers-Bretonneux, l’Anzac - corps armé australien et néo-zélandais - lance l’efficace contre-offensive qui allait stopper l’avancée allemande sur Paris. Une grande victoire pour la France et ses Alliés, dont les Océaniens ont particulièrement cultivé la mémoire. Chaque 25 avril à l’aube, une somptueuse cérémonie de "l'Anzac Day" est organisée par le gouvernement australien au mémorial de Villers-Bretonneux, lieu de pèlerinage pour des milliers de familles.

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Qui sont les soldats de l'Anzac et qu'est-ce que l'Anzac Day ? ©Archives INA / FTV

De l’autre côté du globe, ce 25 avril est férié. Depuis 2013, si le 25 tombe un weekend, le lundi est aussi férié. C’est dire l’importance de l’événement pour nos lointains amis. Voire, sa sacralité. Laquelle rend peut-être d’autant plus nécessaire cet humble rappel : l’Anzac Day ne se résume pas du tout à la Picardie.

L'Anzac Day existait avant la bataille de Villers-Bretonneux

C’est l’histoire d’un hasard de calendrier. Le vrai 25 avril - du moins, le premier - remonte en fait à 1915, le jour où les diggers (soldats australiens et néo-zélandais, en argot militaire) débarquent à Gallipoli, en Turquie (alliée de l’Allemagne).

L’opération est initiée par Churchill et menée par un général anglais, mais, pour la première fois dans leur jeune histoire, Australiens et Néo-Zélandais, tout juste décolonisés, se mobilisent sous leur propre drapeau. "Nous sommes devenus une nation le jour où nous avons débarqué à Gallipoli", déclarera un vétéran de l’Anzac, dans cette archive de 1972.

Militairement, Gallipoli est un fiasco, avec des dizaines de milliers de victimes. Mais c’est bien la naissance de l’Anzac et, très vite, de l’Anzac Day.

Dès 1916, le sacrifice du 25 avril est célébré. Les initiatives sont disparates, pas très officielles, bien que le premier ministre néo-zélandais proclame une demi-journée fériée [lien en anglais] pour commémorer les pertes et soutenir l’effort de guerre. La tradition s’enracine dans les années 20. Le 25 avril devient totalement férié en Nouvelle-Zélande puis en Australie. Peu à peu, ce sont tous les soldats tombés en 14-18 que l’on commémore.

Mais à Villers-Bretonneux, il ne se passe pas grand-chose pour le moment. La mutation de l’Anzac Day s’opèrera quelques décennies plus tard.

Comment les projecteurs se sont braqués sur la Somme

Au début des années 20, le cimetière militaire australien de Villers-Bretonneux est construit et le lieu choisi par le général Sir Talbot Hobbs, commandant des forces australiennes qui avaient participé à la bataille d’Amiens, pour construire un mémorial. Mais à cause de polémiques politiques et financières, l’édifice n’est inauguré que le 22 juillet 1938. Le roi Georges VI est sur place, son discours retransmis en Australie. Ce n’est pas encore l’Anzac Day contemporain pour autant.

"Il y a bien eu une première cérémonie, puis c’était à nouveau la guerre, donc ça n’a repris que dans les années 50", raconte Yves Taté. D’après ses archives, ce n’était encore qu’une "cérémonie toute simple", le samedi après-midi le plus proche du 25 avril, avec quelques officiels et dépôts de gerbes. "On en parlait, se souvient-il lui-même. On emmenait les écoliers. Mais sans plus. C’était presque réservé aux rares Australiens présents sur le sol français."

C’est une volonté politique, celle du gouvernement australien, qui va faire gagner l’événement picard en notoriété.

"Ils ont voulu magnifier le sacrifice de leurs soldats, les glorifier encore un peu plus qu’ils ne l’étaient, parce que les Canadiens le faisaient de leur côté, alors que les Anglais avaient tendance à s’approprier un certain nombre de victoires."

Yves Taté

Association franco-australienne de Villers-Bretonneux

Un premier basculement est opéré au milieu des années 70. En Australie, la popularité de l’Anzac Day s’essouffle, accusé de glorifier la guerre. Comme un sursaut, une légion d’anciens combattants se constitue et le gouvernement australien redouble d’efforts pour permettre aux vétérans de revenir, une journée, sur les champs de bataille : il décide de mettre en avant la cérémonie de Villers-Bretonneux. Les bâtiments mémoriaux fleurissent en Picardie. Et dans les années 80-90, une "vague de nationalisme" (selon nos confrères d’ABC News) finit de consolider la tradition de l’Anzac Day.

Un nouveau seuil est franchi à Villers-Bretonneux dans les années 2000, avec la première cérémonie nocturne. "Au début, il n’y avait pas grand monde de bon matin, se souvient Yves Taté. Et puis ils ont voulu donner un peu plus de cachet, surtout à l’approche du centenaire, à partir de 2014, avec des cérémonies qui ont beaucoup marqué la population." L’événement est enfin sous tous les projecteurs, retransmis à la télévision australienne et sur France 3 Picardie, jusqu’au point culminant du centenaire avec deux tribunes et 6 000 personnes sur place.

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L'Anzac Day du 25 avril 2018 à Villers-Bretonneux ©FTV

Attention, Gallipoli a aussi droit à sa cérémonie. Pour le centenaire, le prince Charles et le président turc Erdoğan étaient au rendez-vous. Cela reste "très secondaire", selon Yves Taté, la commune de la Somme profitant des meilleures relations entretenues par nos deux pays et du symbole de la victoire. Villers-Bretonneux serait à l’Anzac Day ce que les Champs-Elysées sont à notre 14 juillet.

Ce n’est toutefois pas ce qu’indiquent les chiffres d’audience de la télévision australienne : en 2015 par exemple [lien en anglais], la cérémonie de Gallipoli était le moment le plus suivi de la journée avec 1 000 000 de téléspectateurs, contre 859 000 pour les marches locales organisées en Australie… Et 760 000 devant la cérémonie de Villers-Bretonneux (tout de même !).

Un océan(ie) de patriotisme

La culture australienne s’appuie encore sur le fiasco de Gallipoli, le 25 avril originel. L’Anzac Day Commemoration Committee décrit ainsi les soldats de l’époque comme enflammés d’une "force jusque-là inconnue". Grâce à eux, "un nouveau monde est né", un "esprit de l’Anzac" qui inspirerait toujours les peuples australien et néo-zélandais.

"Mais l'esprit de l’Anzac n'est pas confiné sur le champ de bataille. Il vit dans les écoles, sur les terrains de sport (et) nous rend "fous" ; fous de liberté - liberté d'expression, liberté de culte, liberté de vivre et de penser comme vous le souhaitez. […] C'est un sentiment qui brûle dans le cœur de chaque compatriote australien et néo-zélandais. Un idéal chaleureux, tendre, fougueux et même mélancolique qui nourrit un patriotisme intense."

Colonel Arthur Burke OAM

Anzac Day Commemoration Committee

"Dans la culture australienne, les Anzacs ont été déifiés", observe la chercheuse Chrys Stevenson, dans un article [en anglais] interrogeant la place de la religion dans les commémorations. Religieux ou pas, Villers-Bretonneux et Gallipoli restent, malgré les années, des lieux de pèlerinage pour tous les Australiens qui en ont l’opportunité. Les autres ne sont pas en reste : en Australie, Yves Taté a été émerveillé par "le sens de la mémoire qu’ils ont gardé de génération en génération".

"Comparé à l’indifférence chez nous envers les cimetières et mémoriaux, là-bas, c’est extraordinaire. Pour eux, c’est la nation elle-même qui transparait au travers du sacrifice de leurs soldats. Ils ont l’esprit d’entretenir ce souvenir de façon constante."

Yves Taté

Association franco-australienne de Villers-Bretonneux

Ce mardi 25 avril 2023, la télévision publique australienne (ABC) assurera à nouveau la retransmission en direct des cérémonies à travers le globe. Sur ses propres antennes, elle couvrira l’Anzac Day de 9h à 16h (heure locale) sans interruption, d’abord avec "l'Anzac Day March" de Sydney, puis la cérémonie de Gallipoli, suivie enfin de celle de Villers-Bretonneux et d’un documentaire.

À Villers-Bretonneux, le site du mémorial ouvrira vers 3h du matin. Un pré-programme débutera dès 4h30, avant la fameuse cérémonie, dite du "dawn service", de 5h30 à 6h30. Sur la page d’inscription à l’événement, le gouvernement australien rappelle qu’il "marquera aussi le 108e anniversaire du débarquement à Gallipoli". Autant retenir, plus globalement, qu’il s’agira de rendre hommage à tous les vétérans et de réfléchir aux sacrifices, à la guerre, à la paix.

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