Le géant de la distribution Carrefour a annoncé mardi 2.400 suppressions de postes en France via un plan de départs volontaires, ainsi qu'une réduction de coûts de deux milliards d'euros et un virage vers le commerce en ligne et le bio.
Le géant de l'internet chinois Tencent et la chaîne de supermarchés chinoise Yonghui s'apprêtent par ailleurs à entrer au capital de la filiale de Carrefour en Chine, dont le distributeur français restera le premier actionnaire. "Carrefour n'a pas suffisamment évolué avec ses clients", a reconnu lors d'une conférence de presse le PDG Alexandre Bompard, qui veut "faire de Carrefour le leader mondial de la transition alimentaire pour tous".
Les suppressions de postes vont se faire aux sièges du groupe, qui comptent actuellement 10 500 salariés sur 12 sites. Selon lui, la taille du siège est "démesurée" par rapport à la concurrence. Les syndicats craignaient entre 1200 et 10 000 suppressions. Ils sont convoqués vendredi pour un comité de groupe France extraordinaire.
Le groupe a aussi annoncé une réduction des coûts de 2 milliards d'euros dès 2020 en année pleine, notamment via des économies sur la logistique et les coûts de structure, ainsi qu'un projet de réduction de 273 magasins anciennement Dia mais passés sous sa propre enseigne. Dans les Hauts-de-France, cela concerne 77 magasins, rachetés il y a peu.
A Château-Thierry, cette annonce ne surprend pas la déléguée CDFT du magasin, Stéphanie Hire. Les employés du Carrefour de Château-Thierry ont en effet appris en novembre la volonté de la direction de les sortir du groupe, en donnant la gérance à un certain M. Truc. "Ils nous jettent, on est soldés ! Ils nous donnent à M. Truc !", expliquaient les salariés du magasin à nos confrères d'Aujourd'hui en France.
Dans son plan de transformation, Carrefour s'est par ailleurs fixé un objectif de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans le commerce en ligne alimentaire et une part de marché supérieure à 20% en France d'ici à 2022, précise-t-il. Il prévoit parallèlement d'investir 2,8 milliard d'euros sur 5 ans, "soit six fois plus que les investissements actuellement consentis" pour se renforcer dans le numérique. *
Il lancera en 2018 un site unique en France, Carrefour.fr, qui aura vocation à être élargi dans d'autres pays. Carrefour veut également presque quadrupler son chiffre d'affaires dans le bio à 5 milliards d'euros en 2022, et ouvrir au moins 2.000 magasins de proximité dans les cinq prochaines années. Ces annonces étaient bien accueillies à la Bourse de Paris, où l'action Carrefour gagnait près de 6% vers 9h50.
Appel à la grève
Avec 12 300 magasins sous enseigne dans le monde et 374 478 collaborateurs, le géant français de la distribution, qui était encore en 2001 le numéro 2 mondial du secteur derrière l'intouchable groupe américain Wal-Mart, occupe désormais la 9e place, dépassé par Amazon (6e), selon le baromètre annuel du cabinet Deloitte.
Mais c'est en France, qui représente près de la moitié du chiffre d'affaires total du groupe (88,24 milliards d'euros) avec ses 115.000 personnes, que Carrefour est le plus exposé. Premier syndicat du groupe, FO a d'ores et déjà appelé à la grève le 8 février, tandis que le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a prévenu mardi que l'Etat serait "vigilant sur l'accompagnement de chaque salarié concerné par le plan".
La fin des hypermarchés ?
"En France, Alexandre Bompard est confronté à plusieurs gros dossiers, et en premier lieu celui des hypermarchés", dont il faut transformer le modèle, explique à l'AFP Olivier Salomon, spécialiste de la distribution, directeur au sein du cabinet de conseil AlixPartners. Le format de l'hypermarché, emblématique des années 1960-1970, "est au coeur du cyclone", renchérit Philippe Moati, co-président de l'Observatoire Société et Consommation (L'ObSoCo) pour qui "l'une des portes de sortie serait (d'en) réduire la voilure".
Mais "on commence désormais à voir des signes de faiblesse sur l'alimentaire, car d'autres formats se sont développés plus en phase avec les attentes des consommateurs", telles les enseignes de proximité, souligne M. Moati. Ces hypermarchés, qui subissent des critiques sur leurs "valeurs", voient leurs clients se tourner vers des réseaux bios et alternatifs, les circuits courts, les petits commerçants de quartier.
"On assiste à une vraie fuite hors du système", souligne M. Moati. Selon des experts de la distribution, le défi de Carrefour est de passer d'une course à la taille, à une bataille pour la maîtrise des nouvelles technologies et du traitement des données, des domaines dans lesquels Amazon est roi. "Un virage radical est (donc) nécessaire", conclut M. Moati, pour qui "c'est bien d'avoir fait venir "de l'extérieur" M. Bompard": "il aura peut-être cette capacité à impulser du changement, mais ça va être difficile".