Mustafa est Afghan d’origine, naturalisé Français. Il est aujourd’hui journaliste à France 3 Nord-Pas-de-Calais. Notre collègue passait son été avec sa famille en Afghanistan quand les talibans sont entrés dans Kaboul. Il nous raconte les folles heures de son rapatriement.
Il est rentré dans le Nord. Il est soulagé. Lui et sa famille en sécurité. En Afghanistan, Mustafa a vécu la peur. Quatre jours d’une course contre la montre pour revenir en France, son unique pays désormais.
Des vacances en famille à Kaboul
Tous les trois ou quatre ans, Mustafa avait pris l’habitude de voyager en Afghanistan pour aller voir sa belle-famille et ses amis. Le 22 juillet dernier, c’est avec son frère, leur femme et leurs enfants qu’ils décollent de Paris. Dans la capitale afghane, le début des vacances est presque serein, mais cela ne va pas durer. "On savait que les talibans avançaient. On ne pensait juste pas qu’ils arriveraient aussi tôt à Kaboul. On les attendait pour septembre ou octobre !"
L’avancée talibane
Le 10 août, l’ambiance change radicalement à Kaboul. La progression des talibans est fulgurante. "Les gens avaient perdu le sourire. Les ambassades étaient blindées de monde. Il y avait foule devant les agences qui vendaient des billets d’avion". Les grandes villes de la province afghane tombent les unes après les autres entre les mains des rebelles islamistes. De nombreux Afghans convergent alors vers la capitale. "La ville était pleine et vivante, mais pas dans le bon sens. Les gens cherchaient tous quelque chose". L’heure est à la fuite, à la panique.
Revivre le même cauchemar
Pour Mustafa et Ahmad Wali, son frère, c’est un terrible retour en arrière. Comment oublier les années de terreur vécues sous le joug des talibans ? A la fin des années 1990, leur père est mort en prison. Leur mère, quelques années plus tard, dans un attentat. Avec leur sœur, ils sont recueillis par des voisins. A leurs yeux, il n’y a plus d’avenir en Afghanistan.
En 2003, Ahmad quitte le pays illégalement. Accueilli par une famille du Nord, il se reconstruit à Boulogne et fait venir son petit frère en 2006. Leur sœur rejoint son mari en Angleterre. "Comme les gens d’aujourd’hui qui s’accrochent aux avions pour quitter Kaboul, je quittais mon pays pour une vie meilleure", confie Mustafa.
Le tournant du 15 août
Quinze ans ont passé depuis leur départ, mais c’est le même cauchemar qui recommence. Le matin de ce 15 août, sentant l’ambiance se tendre, Mustafa décide d’avancer la date de son retour en France. Tous les billets sont déjà vendus, des vols ont été annulés. C'est déjà trop tard.
Vers midi, une rumeur circulait disant que les talibans étaient arrivés au bureau d’attribution des passeports. Je n’y croyais pas. Ils sont entrés dans Kaboul sans un coup de feu !
Heureusement la veille, Mustafa avait contacté l’ambassade de France. "Je voulais savoir si je pouvais m’y réfugier". Le dimanche, les autorités françaises le recontactent et lui disent de venir immédiatement. Mustafa, sa femme et leur petite fille de 7 mois laissent la plupart de leurs affaires derrière eux. Pas le temps de dire au revoir. "La ville était pleine le matin, tout le monde était descendu. L’après-midi, c’était devenu une ville fantôme. Sur le chemin qui nous menait à l’ambassade, on n’a croisé personne".
"On a cru qu’ils allaient tirer"
A ce moment-là, la France a encore des soldats à l’ambassade, mais les portes restent closes. Mustafa et sa famille attendent de longues heures dehors. Des talibans viennent alors les provoquer : "Ils chargeaient leur Kalachnikov. Plusieurs fois, ils ont fait ce geste. On a cru qu’ils allaient tirer. Les femmes criaient. J’ai pris mon bébé dans les bras. On s’est tous assis. On était terrifié. Et puis, il ne s’est rien passé…"
L’ambassade reste fermée, mais tous décident de tenir bon. Pas question de repartir. Les derniers arrivés racontent les corps qu’ils ont vus en venant. Dans la soirée, enfin, les portes s’ouvrent. C’est la première délivrance.
Deux nuits à l’ambassade
Au sein de l’ambassade, les Français sont logés dans des zones confortables. Les Afghans qui viennent chercher refuge dorment dans un gymnase, dans le jardin, au sous-sol… "Les premières heures, c’était compliqué. On s’attendait à être évacués d’une minute à l’autre, mais il n’y avait rien de précis". Le temps s’étire. Les heures deviennent des jours. Un hélicoptère américain s’approche, mais repart à vide.
Petit à petit, les esprits se détendent malgré tout. On sourit. On joue. Mustafa sert de traducteur aux autorités françaises : "ça m’a fait du bien de me rendre utile". Dehors, une foule s’est amassée devant l’ambassade. "Dès que la porte s’entrouvrait, les gens poussaient".
Le transfert en bus blindé
Lundi soir (16 août), c’est finalement dans un bus blindé que les Français et réfugiés sont transférés à l’aéroport. "Le bus, c’était un four. Il n’y avait pas de fenêtre. Je ventilais ma fille. C’était irrespirable ! Dehors, des gens tentaient de s’accrocher. Il y avait des embouteillages énormes aux abords de l’aéroport". Des talibans contrôlent le bus. Mustafa est terrifié. "On s’est fait arrêter deux fois. Sans violence, sans force, mais pas sans pression".
Nouvelle délivrance pour Mustafa quand il aperçoit un soldat américain à l’entrée de l’aéroport : "Il incarnait la protection, la normalité, la fin du risque taliban".
"On avait quitté l’enfer"
Un premier avion est affrété quand 220 personnes sont comptabilisées. Parents d’un très jeune enfant, Mustafa et sa femme sont prioritaires. L’énorme engin militaire décolle en direction d’Abu Dhabi. Pas de siège à l’intérieur, les voyageurs sont collés au sol, mais… "c’était fini ! On avait quitté l’enfer. On était sorti des griffes des talibans".
Sur la base française d’Abu Dhabi, les militaires sont aux petits soins. Une douche, un repas avant le dernier vol pour Paris. De retour en France, les démarches sont longues. La crise sanitaire complique les choses. Il est question d’un isolement de dix jours dans un hôtel à Paris. Un accord sera finalement trouvé pour assurer la quarantaine dans l’agglomération lilloise.
Le dernier voyage
Ce vendredi matin, Mustafa a retrouvé sa belle-sœur, partie plus tard. Son frère est resté en Afghanistan pour assurer les traductions auprès de l’ambassadeur de France. La famille sera bientôt réunie, mais laisse tout un pan de son histoire derrière elle. "Je garde l’espoir d’y retourner un jour, mais je pense que c’était mon dernier voyage en Afghanistan".
Nostalgie, joie du retour, mais aussi colère, incompréhension… Mustafa éprouve désormais des sentiments variés. "Les talibans sont arrivés si vite ! Les Américains ont vendu le pays aux Pakistanais. On ne peut pas leur pardonner… ni au gouvernement afghan ! Ils se sont sauvés avec des voitures pleines de billets. Même les soldats sont partis. Personne n’a tiré… comme si tout était organisé ! Pourquoi tout le monde a renoncé ?"