Depuis 2011, la loi exige que les entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques inscrivent chaque avantage ou rémunération attribués aux professionnels de la santé.
Votre médecin généraliste a-t-il reçu des avantages ou perçu une rémunération d'une entreprise pharmaceutique ou cosmétique ? La base de donneés publique Transparence - Santé rend accessible depuis 2011 les liens d'intérêts entre les entreprises de la santé et professionnels.
Cette initiative a été décidée après le scandale du Médiator : une loi, votée le 29 décembre 2011, impose par transparence la publication des liens qui unissent les industries de santé et les professionnels, étudiants, sociétés, associations ou journalistes.
Nous nous sommes intéressés aux seuls professionnels de la santé, et plus particulièrement aux médecins généralistes du Nord et du Pas-de-Calais. La base de données complète est accessible à cette adresse et permet une recherche plus poussée.
Avantages et rémunérations
Le tableau ci-dessous compte 116 000 lignes, associée chacune à un avantage ou à une rémunération (supérieure à 10 €) perçue par un médecin généraliste.
Les avantages recouvrent ce qui est alloué ou versé sans contrepartie à un acteur de la santé. Il s'agit, pour la majorité, de frais de repas payés en marge d'une invitation à un congrès, d'un hébergement au cours d'une convention ou de la prise en charge d'un transport.
Les rémunérations, elles, sont des sommes versées en contrepartie de la réalisation d'un travail ou d'une prestation.
Que votre médecin traitant apparaisse dans cette liste ne signifie pas qu'il soit coupable de conflit d'intérêt. Il n'est pas préjudiciable que les entreprises et les professionnels entretiennent des liens, ce "qui fait avancer la science et permet le progrès thérapeutique" rappelle le site, à conditions "que ces liens soient connus de tous et accessibles aisément" .
Des prestations plus chères, selon une étude
Une étude parue ce mrcredi 6 novembre dans la revue scientif British Medical Journal s'est également penchée sur ces données. En croisant les factures apparaissant sur le site de Transparence-Santé et la base de la Sécurité sociale, qui liste anonymement toutes les prescriptions, l'étude soutient que les médecins généralistes français qui reçoivent des cadeaux de laboratoires pharmaceutiques ont tendance à faire "des prescriptions plus chères et de moindre qualité".
"Si on compare les médecins qui n'ont jamais reçu de cadeau aux médecins qui ont perçu un montant cumulé de plus de 1 000 euros pour l'année 2016, on a en moyenne une différence de coût d'environ 5 euros par ordonnance" a indiqué à Franceinfo le Dr. Pierre Frouard, l'un des auteurs de l'étude.
L'étude "ne peut pas démontrer de lien de cause à effet directement" tempère toutefois le médecin, pour qui il pourrait également s'agir d'un acte de gratitude inconscient envers les laboratoires.
Pourquoi une grosse somme n'est pas toujours suspecte
Chaque somme est également à remettre dans son contexte. Si l'on regarde les montants les plus élevés de ce tableau, le premier nom que l'on voit est celui du Dr. Dominique Lejay, avec plusieurs rémunérations d'une valeur totale de près de 50 000 euros. Contacté, ce médecin de Vieux-Condé (Nord) attribue ces montants à son ancien rôle de coordinateur, à la tête d'une petite société de réalisation d'essais cliniques.
"Quand un laboratoire développe un nouveau médicament ou une nouvelle molécule, il faut réaliser des tests", et ce sont des médecins sur le terrain qui s'en chargent auprès de patients consentants et souffrant des pathologies concernées. "Grâce à ça, des médicaments ont pu sortir, ont été retirés du marché ou ont été déremboursés quand il a été démontré qu'ils n'étaient pas efficaces" explique-t-il, en référence au déremboursement du médicament Tanakan, censé lutter contre la maladie d'Alzheimer.
"On ne travaillait jamais directement avec les laboratoires, mais avec des sociétés intermédiaires comme Euraxi". En rémunération pour ces essais cliniques, le paiement transitait par sa société à lui, laquelle "dispatchait l'argent vers les médecins et les study-nurses" qui avaient travaillé. Lui-même était également rémunéré à la fois pour les dossiers qu'il traitait et à la fois pour son rôle de coordinateur dans le Nord Pas-de-Calais.
"Il y avait un important brassage d'argent, on ne pouvait pas le distribuer comme ça." D'où la création de cette mini-société, dont il a pris la tête. "Mon nom apparaît probablement parce que j’étais coordinateur au niveau régional" estime le Dr. Lejay.
Les limites de la base de données
D'une manière générale, la base de données de Transparence - Santé présente des limites : d'abord, ce sont les entreprises qui remplissent les données concernant leurs bénéficiaires (elles en ont l'obligation légale) et ces dernières ne sont pas toujours vérifiées.
Plusieurs médecins en ont fait les frais. En 2017, Le Monde citait le cas d'un gynécologue de Marseille qui avait découvert "plus de 70 000 euros de montants totalement injustifiés", la faute à un "problème de virgule" expliquait l'entreprise de fourniture de matériel médical étant à l'origine de l'erreur. Celle-ci a été aussitôt corrigée.
Autre cas, en 2014 : un néphrologue du Centre hospitalier de Dunkerque participe au Symposium Nephro Agora à Paris, où lui sont associés 8 406 euros de frais de repas ! En réalité, "la totalité du budget de la convention a été attribuée" à ce docteur, s'excusait un responsable du laboratoire.
Reste également le fait que des liens d'intérêt sont susceptibles de rester cachés au public, si un laboratoire pharmaceutique ou une entreprise de matériel médical omet malgré leur obligation de les inscrire dans le fichier.
Notre méthodologie
Pour traiter ce jeu de données, accessible librement via le le site Data.gouv.fr, il a fallu resserrer notre recherche de façon très précise : le tableur consacré aux avantages perçus contenait, à l'origine, 10 millions de lignes !En se concentrant sur les médecins généralistes du Nord et du Pas-de-Calais seulement, il a été possible de réduire cette liste à 116 000 lignes.
Encore une fois, cet article n'a pas pour vocation de pointer du doigt les professionnels de la santé ou d'émettre un jugement de valeur, mais de permettre un accès à une base de données réalisée pour "préserver la nécessaire relation de confiance entre les citoyens, les usagers et les multiples acteurs du système de santé", dans le cadre de notre mission de service public.