Leur fils, leur frère sont partis faire le jihad en Syrie. Une mère et une soeur de Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon ont accepté de témoigner pour France 3 Midi-Pyrénées de l'enfer que vivent les familles face à la radicalisation de leurs proches.
Camille vit en Midi-Pyrénées, Christine en Languedoc-Roussillon. L'une est une soeur, l'autre une mère. Leurs frère et fils ont 26 et 29 ans, ils sont partis en Syrie faire le jihad, après une conversion à l'islam sur le tard, suivie d'une radicalisation dans le plus grand secret.Elles témoignent de leur incompréhension, de leur douleur, de leur solitude, brisant le silence qui entoure les familles confrontées à ce phénomène. Leur chagrin est égal à leur colère... Et à un besoin impérieux de parler pour que les choses changent.
Camille : Quand mon frère est parti il y a deux ans, on parlait peu de la radicalisation. Il s'était converti à l'islam quelques années auparavant, mais pour nous, cela n'avait pas posé de problème.
Il a quitté la maison, il s'est marié, a eu un enfant. Nous ne connaissions pas son entourage mais nous sommes une famille très unie. On s'appelait très régulièrement, plusieurs fois par semaine alors quand il n'a pas donné de nouvelles pendant trois jours, et qu'on n'a pas réussi à le joindre, ni le téléphone portable, ni sur le fixe, on s'est tout de suite inquiété.
On est allé chez eux et là, tout était laissé à l'abandon, ce qui n'était pas dans leurs habitudes. cela donnait l'impression d'un départ précipité.
Mes parents l'ont signalé à la police qui a pris note mais sans plus. On a su après coup qu'ils savaient qu'il était parti puisqu'il était "suivi".
C'est moi qui ait fait le travail des enquêteurs. J'ai fouillé dans ses papiers et j'ai compris qu'il y avait un problème en voyant des retraits dans des villes inconnues.
Mon frère, avec qui nous avons eu des contacts réguliers même après son départ, a fini par me l'avouer.
Pendant un an et demi, personne ne nous a informé de rien. Nous étions seuls pour tenter de comprendre.
Maintenant, c'est différent. A chaque fois qu'il y a un attentat, la police me contacte pour savoir si je connaissais telle ou telle personne. Ou si mon frère connaissait telle ou telle personne.
C'est très difficile. Au début, j'étais très malheureuse. J'en parlais à mon entourage mais ceux qui n'ont pas vécu ça ont du mal à comprendre.
Je pense qu'on ne peut pas s'en sortir tout seul.
Par contre, les familles sont très peu entendues. Or ce sont elles qui ont des informations utiles. On a cru qu'on allait nous entendre mais en fait, depuis, on ne voit rien venir. Or, il y a urgence. C'est maintenant qu'il faut agir.
Christine : Je l'ai appris par la police. Je n'avais plus de nouvelles de mon fils, depuis plusieurs jours et j'étais inquiète. Je suis allée au commissariat et là, on m'a mis en contact avec les renseignements généraux.
Ils m'ont longuement entendue, longuement questionnée et ils m'ont fait revenir le lendemain. Là, ils m'ont dit qu'il avait quitté Paris, quitté le territoire national. Censément vers la Syrie. Premier choc.
Sa conversion à l'islam aurait pu me mettre la puce à l'oreille, mais j'étais à mille lieux de penser à cela. Étant donné son caractère, ses idées... On est aux antipodes de tout ça ! Donc, quand j'ai appris son départ en Syrie, j'ai été très très choquée.
C'est aussi à ce moment-là que j'ai appris qu'il était parti avec Fabien Clain [djihadiste originaire de La Réunion, ayant vécu à Toulouse, fréquenté la communauté de l'émir blanc Olivier Corel, à Artigat en Ariège et qui a revendiqué les attentats du 13 novembre à Paris, NDLR]. Fabien Clain, qui a fait de la prison, qui est un individu potentiellement hyper dangereux, qui a envoyé des gamins se faire tuer en Irak et qui vivait tranquillement en Normandie !
Moi, je m'interroge. Il croise la route de mon fils, mon fils part avec lui : comment est-ce possible ?
Ils sont fichés, ils sont suivis, comment ils ont pu partir ? Surtout que c'était juste après les attentats de Charlie Hebdo. C'est consternant. Jamais il n'aurait dû partir en Syrie. Les renseignements généraux savaient alors qu'on m'explique.
Cela arrange, en fait, que tous ces gens-là partent. Mais il ne faut pas s'y tromper, ils sont aussi dangereux là-bas qu'ici. Mais qu'au moins, on ne les laisse pas emmener des gamins !
Camille : Je suis très en colère parce que cela faisait très longtemps que quelque chose se préparait, je pense. Le phénomène n'est pas nouveau. Entre l'époque où il est parti et maintenant, je ne vois aucune évolution. Il y a toujours des départs, toujours des choses qu'on pourrait éviter. Je pense qu'il y a beaucoup trop de laxisme aux dépens de vies humaines, de familles complètement détruites. Oui, je suis vraiment en colère parce que lui, on n'aurait peut-être pas pu le sauver mais pour les mineurs notamment, on aurait pu faire quelque chose.
Maintenant, si j'avais le moindre doute sur la radicalisation de quelqu'un, je le dirais tout de suite, même si c'est pour rien. Je préfère ça plutôt que regretter de n'avoir rien fait.
Et aux jeunes qui peuvent être tentés par le jihad en Syrie, je dis de penser à leurs familles, qu'il y a des solutions et que la solution en tout cas, ce n'est pas de partir là-bas. Ce n'est pas leur guerre. En Syrie, ils vivront dans la précarité, la peur, la guerre. Ce n'est pas ça, la vie...
Christine : Ces gens-là recrutent sur notre territoire. Je m'interroge. Les renseignements généraux ne le savent pas ? Il faudrait que tous ces gens qui sortent de l'ENA m'expliquent.
Je prends la parole pour dénoncer tout ça. Il faut en parler. Que les gens sachent que ça peut arrive à tout le monde.
Parce qu'il n'y a aucun milieu social plus touché qu'un autre. Je me bats pour mon fils. Ainsi je donne du sens à ce qui pour moi n'en a aucun. Sinon, je ne survis pas à tout ça.
Ces deux témoignages ont été recueillis pour l'émission La Voix est libre, diffusée samedi 30 janvier, à 11h30, sur France 3 Midi-Pyrénées.
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