Le nombre de migrants a fortement augmenté ces dernières semaines à Calais. Les questions et les risques qui accompagnent cette augmentation aussi...
6901. Jamais, il n'y a eu autant de migrants à Calais. Le chiffre, révélé la semaine dernière par la préfecture du Pas-de-Calais, interpelle. C'est bien le chiffre le plus haut depuis 17 ans. Nous avons retrouvé les données et les avons compilées dans le graphique ci-dessous. Le précédent pic datait d'octobre 2015 (6000 migrants). Le gouvernement, s'était fixé pour objectif, fin 2015, de ramener la population du camp à 2 000 personnes. Echec. Echec aux conséquences lourdes. Associations, mairie de Calais, policiers, routiers : tous dénoncent cette situation "intenable", "ingérable", "incontrôlable". Près de 7000 migrants (9000 selon les associations), c'est une ville. Presque de la taille de Marck-en-Calaisis. Un bidonville qui a accueilli en quelques semaines 2000 personnes de plus.
L'inquiétude des associations
Dans la Jungle de Calais, les conditions de vie se dégradent, les files d'attente augmentent devant les sanitaires et pour la distribution alimentaire (4000 repas environ servis chaque jour). "Il n'y a plus de place pour installer les tentes données aux nouveaux arrivants. La proximité des abris rend les risques d'incendie considérables", affirment les responsables de L'Auberge des migrants. "On ne s'occupe pas des gens pour essayer de résoudre les problèmes, s'insurge Christian Salomé, le président de l'association. On augmente leurs problèmes et on attend que ça explose !"
Le ras-le-bol des policiers
Explosif. Le mot est lâché. Excessif ? Non, répond Gilles Debove, responsable du syndicat SGP Force Ouvrière dans le Calaisis. "Chaque année, le nombre de migrants répertorié à la fin de l'hiver augmente. L'été, il y en a toujours 3 fois plus. C'est encore ce qui arrive cette année. Le nombre de migrants ne cesse d'augmenter. En janvier, il y avait 3500 migrants pour 13 compagnies du CRS. Aujourd'hui, on en a presque 3 fois et huit compagnies et demi de CRS, cherchez l'erreur !".Le syndicaliste n'en finit pas de dénoncer la situation, très mal vécue par les policiers qui se sentent impuissants et désemparés. Il prédit des semaines difficiles, comme l'an dernier de septembre à décembre, d'autant qu'il est, parallèlement, de plus en plus difficile de passer en Angleterre. "Attendons-nous à des grosses choses d'ici quelques semaines. Nous, on demande aux autorités ce qu'il faut faire. Par exemple quand des groupes de migrants viennent la nuit sur la rocade. On vient de nous interdire l'utilisation des grenades lacrymogène à titre préventif parce que soi-disant, on en tirait trop. Ils nous demandent d'être plus tempérés. Nous, on est inquiets, on ne sait plus quoi faire." Et il résume ainsi : "Nous sommes les otages de l'inertie du gouvernement et de l'Europe. On laisse pourrir la situation."
L'armée ?
Un discours qui rejoint celui de la maire de Calais. Natacha Bouchart tire la sonnette d'alarme, notamment concernant les groupes "menés" par les No Border et les passeurs : « Ils se constituent en armée la nuit pour attaquer les forces de l’ordre, explique-t-elle dans Nord Littoral. Ils dégradent les jardins des riverains de l’avenue Saint-Exupéry, rue de Bitche et chemin des Dunes… Là, l’État est absent, il s’en fiche… il ne fait rien pour ces gens qui vont finir par péter un plomb ! (...) L’État n’est plus dans la réalité. Ils sont blasés, impuissants, parce que les consignes du ministre ne sont pas claires. Les forces de l’ordre ne savent plus quoi faire, il manque des effectifs. Et si je réclame l’armée depuis un an, c’est parce que je ne vois pas comment on peut contrôler une zone de 8 000 personnes autrement. »"On est quand même en état de guerre, et Calais fait partie de la France. Donc on ne comprend pas pourquoi, sur ce périmètre, il n'y a pas les mêmes règles que partout en France", ajoutait-elle mi-août sur France 3.
Les grandes dates de l'évolution de la situation des migrants
1998 : les premiers camps de migrants sont apparus à l’hiver 1998 à Calais. L'afflux de personnes vient essentiellement alors du Kosovo.1999 : un centre d'accueil pour migrants est créé à Sangatte. Un hangar de 27 000 m2 qui accueillera jusqu'à 1 800 migrants. Il était prévu pour accueillir 800 personnes.
2002 : le camp de Sangatte est démantelé. «Nous mettons fin à un symbole d'appel d'air de l'immigration clandestine dans le monde», dit alors Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur.
2005 : le nombre de migrants chute à 500.
2008-2009 : dans une zone proche du port de Calais, se crée ce que l'on appellera une jungle. Elle comptera jusqu'à 700 migrants avant d'être démantelé sur décision du ministre de l'Immigration Eric Besson.
2010-2014 : entre 200 et 500 migrants sont présents en permanence à Calais. Ils vivent essentiellement dans des squats. En 22014, ce chiffre augmente très rapidement pour atteindre 2000. Le 2 juillet 2014, le principal camp de migrants de Calais est démantelé par les forces de l'ordre.
2015 : "L'année 2015 a commencé, toute Union européenne confondue, avec une hausse de 250% des franchissements irréguliers de la frontière extérieure de l'Union [en janvier et février par rapport à la même période de 2014]", indique en mars 2015, Fabrice Leggeri, patron de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne (Frontex). A Calais, les chiffres augmentent fortement. Les conflits multiples dans le monde rendent l'origine des migrants très diverse : Syrie, Irak, Afghanistan, Erythrée...
En avril 2015, sept camps de migrants et deux squats où vivaient 1 200 personnes sont évacués par les forces de police. Dans la foulée, de nouvelles installations de fortune voient le jour près du centre d'accueil Jules Ferry situé sur le chemin des Dunes. Il offre, en effet, de l'eau et des vivres. Les tentes s'accumulent depuis sept mois au fur et à mesure que les migrants affluent. Elles bordent l'autoroute et s'éparpillent en grappe le long d'un chemin de traverse.
La préfecture du Pas-de-Calais donne régulièrement des chiffres officiels qui prennent en compte notamment la fréquentation aux repas organisés chaque jour par les associations. Avec des photos aériennes, la police fait également ses propres estimations. Les associations publient aussi régulièrement des chiffres, toujours supérieurs.
Ces statistiques, celles de l'Etat comme celles des associations, additionnent actuellement les places occupées dans les installations en dur du centre Jules-Ferry (250 places) et du Centre d'accueil provisoire (1 500 places) et les places sous tente ou dans des cabanes.