Jeudi, la cour de cassation examinera la validité de huit mises en examen (dont celle de Martine Aubry) pour homicides et blessures involontaires. Si les poursuites étaient annulées, les victimes verraient s'envoler leurs dernier espoirs de voir se tenir un jour un grand procès de l'amiante.
Depuis deux ans, l'instruction menée au pôle de santé publique est suspendue au sort des mises en examen prononcées à l'encontre d'industriels, de scientifiques et de hauts-fonctionnaires, tous soupçonnés d'avoir oeuvré au sein du Comité Permanent Amiante. Cet organe était chargé de plaider la cause de l'industrie de cette fibre mortelle auprès de l'administration, à une époque où certains pays commençaient à l'interdire. En France, dans les années 1980, ce lobby défendait un "usage contrôlé de l'amiante". Un rapport du sénat explique comment le CPA avait réussi à "insinuer le doute sur l'importance du risque de l'exposition à l'amiante et ainsi à retarder au maximum l'interdiction de l'usage de l'amiante en France", une interdiction qui, selon les associations de victimes, aurait pourtant pu épargner bien des vies.
En 2012, la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy qui était alors en charge du dossier avait aussi prononcé une mise en examen à l'encontre de Martine Aubry. Entre 1983 et 1987, l'actuelle maire de Lille était la directrice des relations du travail au ministère du travail : la juge la soupçonnait d'avoir tardé à faire appliquer des directives européennes qui auraient pu protéger les travailleurs de l'amiante.
19 ans d'attente...
Les huit personnes poursuivies ont aussitôt contesté leur mise en examen. Depuis lors, les différentes parties se livrent à une interminable partie de bras de fer juridique. Les poursuites sont confirmées, puis annulées par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris en 2013. Mais l'arrêt est cassé par la cour de cassation. Retour à la cour d'appel en 2014 : les mises en examen sont encore annulées ! L'ANDEVA (Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante) se pourvoit en cassation. Et le temps passe...
En 2013, le témoignage de Jean-Claude, ancien ouvrier de l'amiante. Il espère un procès...
A Condé-sur-Noireau, les plaignants finissent par s'y perdre. Mais il gardent l'espoir que la justice parviendra à organiser le grand procès de l'amiante dont ils pensent qu'elle leur doit. Pourtant, les premières plaintes remontent à 1996. Et dix-neuf ans après, cette affaire a déjà tout l'air d'un grand fiasco judiciaire. Si la cour de cassation confirmait l'annulation des mises en examen de Martine Aubry et des membres de l'ancien Comité Permanent Amiante, c'est tout un pan de l'instruction qui s'effondrerait.
Seuls resteraient poursuivis quelques "lampistes", des anciens directeurs des usines Ferrodo-Valéo de Condé-sur-Noireau et un ancien médecin du travail qui aujourd'hui sont tous âgés Les malades de l'amiantei s'éteignent un à un. "Chaque année, on enterre entre 50 et 80 adhérents" observe François Martin, le président de l'ALDEVA (Association locale de défense des victimes de Flers-Condé). Et plus le temps passe, plus la perspective d'un procès perd de son sens déplore Michel Ledoux, l'avocat des victimes : "à ce rythme, il n'y aura plus rien ni personne à juger ! On aura eu une catastrophe sanitaire et un désastre judiciaire !"