En raison de la crise sanitaire du Covid-19, les antennes normandes du Secours populaire font face à un afflux massif de personnes précaires en quête de nourriture. Les profils des bénéficiaires sont très variés, preuve du lourd impact de l'épidémie du coronavirus sur la population dans la région.
"Les gens nous disaient "je pensais que je n'aurais jamais eu besoin de venir ici". Ils s'excusaient presque. Mais ils n'avaient pas le choix s'ils voulaient manger" explique Joël Carpier.
Le président du Secours Populaire de la Manche a constaté une très forte hausse des bénéficiaires dans le département, en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Comme le révèle la 14e édition du baromètre Ipsos / Secours populaire de la pauvreté, un Français sur trois a subi une perte de revenus depuis le confinement. Les répercussions se sont faites en partie sur la nourriture : un Français sur quatre restreint les quantités dans son assiette et un sur sept saute des repas (14 %).
Résultat, les personnes en situation de précarité se sont tournées vers les associations solidaires comme le Secours populaire pour s'alimenter.
"Habituellement, nous distribuions 1 000 colis alimentaires. Après le déconfinement, nous en faisions 1 900. Les quantités sont un peu redescendues depuis mais restent supérieures à ce qu'on connaît d'ordinaire. Sur l'année 2020, on devrait enregistrer une hausse 18% des bénéficiaires dans le département" affirme Joël Carpier, qui précise que "45% personnes aidées n'étaient jamais venues au Secours populaire auparavant".
On n'a jamais vu ça
Dans les autres départements normands, les chiffres sont tout aussi importants. "On est à +42% de personnes accueillies depuis le mois de mars" commente la responsable de l'antenne de Guichainville dans l'Eure.
Même cas de figure dans le Calvados. "On a constaté 87% d'augmentation ici à Caen du nombre de personnes qui venaient chercher à manger au Secours populaire. Là, la rentrée scolaire est passée et les choses se sont calmées. Aujourd'hui, on a 10% de personnes supplémentaires pour notre distribution alimentaire" détaille Nicolas Champion, secrétaire général du Secours populaire du Calvados.
En Seine-Maritime, "des antennes comme celle de Saint-Etienne-du-Rouvray ont multiplié par trois le nombre de familles accueillies durant le confinement. Au total, 18 000 personnes ont été aidées durant la crise sanitaire dans le département. 47% d'entre-elles n'avaient jamais franchi la porte du Secours populaire. On n'a jamais vu ça. Un tiers des familles reviennent encore nous voir depuis septembre" souligne Emilie Le Bigre, secrétaire générale du Secours Populaire 76.
"Choisir entre payer leurs factures ou manger"
L'arrivée d'un grand nombre de nouveaux bénéficiaires au Secours Populaire est synonyme de nouveaux profils."Les premières victimes de la crise sanitaire sont les personnes qui vivaient de missions d'intérim, de petits boulots, de travail sur la saison touristique. Avec la rentrée scolaire, on voit aussi des étudiants manger au Secours populaire. Malheureusement, on tombe vite dans la précarité mais on met plus de temps à en sortir" renchérit Nicolas Champion.
Le Président du Secours populaire de la Manche évoque des bénéficiaires qui "pour la plupart étaient des gens déjà fragilisés économiquement. Ils ont été piégés par le confinement. La crise sanitaire les a basculés dans la pauvreté. Ils se sont forcés à venir parce qu'ils n'arrivaient plus à prendre au moins un repas par jour. On a le cas de personnes endettées qui doivent choisir entre payer leurs factures et manger".
Avec les mesures de chômage partiel mises en place dans plusieurs entreprises ou le manque de travail en raison du Coronavirus, certains foyers peinent à joindre les deux bouts. Le recours à des associations solidaires comme le Secours Populaire est devenu une nécessité.
"Les revenus de certaines familles sont passés de 950 euros à seulement 600 euros. Alors que leurs charges n'ont pas bougé. Ces gens-là font partie du nouveau public qu'on aide en Seine-Maritime, comme les étudiants, les intérimaires ou les auto-entrepreneurs" complète Emilie Le Bigre.
La peur d'une nouvelle vague de chômage
Dans ce contexte de crise sanitaire du Covid-19 qui dure, l'association de lutte contre la précarité se dit inquiète pour la suite.Les prévisions de l'Unedic estiment que d'ici fin 2020, 900 000 emplois salariés seront détruits par rapport au 4e trimestre 2019, conduisant à 630 000 demandeurs d'emploi supplémentaires indemnisés par l'Assurance chômage en fin d'année par rapport à fin 2019. Avec, par ricochet, de plus en plus de personnes dans des conditions de précarité.
"On se demande si on va réussir à faire face. Nous avons sollicité l'aide du gouvernement car nous n'avons toujours pas compensé nos pertes de recettes. On enregistre des pertes de 23 000 à 24 000 euros chaque mois car nous ne pouvons pas organiser de loto ou de braderies. Des initiatives qui représentent 65% de notre budget" développe Joël Carpier, dont le discours se rapproche de celui de Nicolas Champion, à Caen : "on est inquiet de savoir comment va se passer l'hiver. Comment vont se passer les périodes de fête de fin d'année. On va devoir tenir sur le long terme pour accompagner les gens".
Signe encourageant cependant : depuis le mois de septembre, de nombreux jeunes, moins impactés par le coronavirus, ont fait part de leur envie d'aider bénévolement l'association et les bénéficiaires. Un motif d'espoir et un acte de solidarité, dans ce contexte compliqué.
Les différentes antennes du Secours Populaire rappellent que tous les dons sont les bienvenus.