Le confinement va être de toute évidence révélateur pour le couple. Face à un huis clos totalement inédit, comment éviter le conflit ? Comment ressortir de cette expérience plus soudé ? A l'inverse, comment peut-on entretenir l'amour à distance ? Témoignages et conseils d'un psychologue de Caen.
L'amour donne des ailes, c'est bien connu. Le regard bienveillant de l'autre peut nous aider à survoler ce "traumatisme collectif", pour reprendre le terme du psychiatre Serge Hefez. Et même renforcer une relation. Ou au contraire, le couple peut exploser en plein vol, s'il ne parvient pas à éviter les pièges liés au confinement.
Trois couples nous racontent. Trois histoires différentes et autant de questions, d'éclairages et de conseils, que nous livre Jérôme Chantriaux, psychologue clinicien, à Caen.
*Aline et Christophe : L'amour à distance alors qu'un seul kilomètre et demi ne les sépare
"Ce confinement ? C'est une entrave à la liberté d'aimer. Et je le vis très mal", explique Aline*, la quarantaine. Elle habite à Caen, à un kilomètre et demi seulement de chez Christophe, son compagnon. "Nous nous ne sommes pas vus depuis plus d'un mois et je ne sais pas jusqu'à quand ça va durer. Notre couple est soumis à rude épreuve."
*prénoms d'emprunt
Aline et Christophe ne vivent pas ensemble, par choix. Ils se sont rencontrés après une séparation. Elle a deux enfants. Lui quatre. Ils ne se voyaient pas du tout rester tous sous le même toit, en mode famille recomposée.
Alors, depuis trois ans, ils ont pris l'habitude de passer une semaine sur deux, en tête-à-tête, lorsque leurs enfants partent chez leurs papa et maman respectifs, en garde alternée. Jusqu'ici, tout allait bien.
En un mois, j'ai pris conscience de nos fragilités et du poids de la solitude, c'est angoissant. Aline
Son compagnon veut respecter à la lettre les règles pour protéger une des ses filles, diabétique. "Mes enfants ont une belle-mère, exposée à des personnes potentiellement malades. Il ne veut pas prendre le risque de la contaminer par mon intermédiaire. Je comprends parfaitement, mais je regrette qu'il ait pris cette décision seul, sans me demander mon avis. J'ai eu l'impression d'être une étrangère."
Jérôme Chantriaux l'analyse ainsi : "Il protège sa fille et ressent sans doute un conflit de loyauté. Mais, ça vient interroger la place d'Aline dans la vie de Christophe et ça peut entamer son estime de soi, à elle."
On le voit bien. Le confinement agit comme un révélateur. La moindre faille prend toute la lumière. Ici, c'est la place de l'autre. Et ce n'est pas tout. La distance et le manque jouent aussi les accélérateurs de désintégration de particules. Les pièges ? Se murer dans le silence et attendre. Alors que faire ?
Jérôme Chantriaux leur conseille "d'en parler calmement. Aline a besoin de livrer sa souffrance et son impression de ne plus exister.
De son côté, Christophe, tout en protégeant sa fille, doit pouvoir la rassurer, lui montrer qu'elle a une place, lui prouver son amour, qu'il peut la surprendre, la séduire et lui aménager du temps, rien qu'à elle."
Comment entretient-on l'amour à distance ?
"Une relation, c'est très tactile et charnelle. Les appels au téléphone, ça va bien cinq minutes, mais ça ne suffit pas. Je passe ma journée en visio-conférence pour le travail et franchement, le soir j'en ai marre, je trouverais ça glauque de faire un apéro-skype avec lui", confie Aline.C'est dans le manque que naît le désir, l'absence de manque étouffe le désir, le trop de manque peut créer une frustration dévastatrice. Jérôme Chantriaux
Mais la période reste exceptionnelle et comme le disait si bien Darwin, seuls ceux qui s'adapteront, pourront survivre. Jérôme Chantriaux, lui, insiste sur le besoin de séduction et met votre imagination au défi : "Même si en temps normal, ce n'est pas l'idéal, les écrans peuvent nous aider, dans le cas présent, à communiquer, à entretenir le désir et séduire. C'est important dans une relation.
On peut réinventer un espace de jeu, de fantasme et d'imaginaire. L'intimité peut exister, même par téléphone. Et puis, il faut réussir à surprendre l'autre et à partager ensemble. On peut chacun chez soi regarder un film, en même temps et en discuter. A chacun d'être inventif."
*Adrien et Morgane : comment éviter que la routine n'abîme leur "lune de miel" ?
Le confinement les a contraint à se retrouver tous les deux, à Bayeux dans 40 m2. Et ça, ce n'était pas prévu. Morgane, 21 ans et Adrien, 29 ans se sont rencontrés il y a moins d'un an et "on ne veut pas brûler les étapes," admettent-ils en choeur.Sauf que le confinement a un peu tout chamboulé. Morgane ne se voyait pas rester seule dans son 10m2 d'étudiante, à Caen, alors elle s'est installée chez Adrien, avec tous ses bouquins. Leur chance ? Avoir deux pièces et des têtes bien faites et bien occupées.
Morgane se plonge dans l'écriture de son mémoire sur le patrimoine. Adrien, lui, travaille, lit et "se perd dans l'Histoire", leur passion commune, qui leur permet de partager.
Et après un mois, l'un avec l'autre, sans possibilité d'échappement, à part pour faire une course ... "ça se passe très très bien. On est heureux. On se dit que l'amour est une force, une chance. Cela aurait été beaucoup plus difficile pour moi, si j'étais restée seule, à Caen. Si on a un petit coup de mou, on peut en parler à l'autre", confie Morgane.
"On se soutient, et c'est hyper important. On se découvre aussi. On voit qu'on arrive à vivre ensemble dans un espace restreint sans se sauter à la gorge et c'est rassurant.
Adrien et Morgane espèrent sortir de ce confinement "renforcés". La routine ne semble pas leur peser. Ils se répartissent les tâches naturellement et à priori, il n'y a aucune ombre sur leur tableau.
Comment nourrir la lune de miel et éviter les conflits ?
Pour Jérôme Chantriaux, ce jeune couple a compris quelque chose d'important. C'est l'aménagement d'un espace à soi. "Même confinés, chacun doit avoir sa dose d'intimité, son espace et son moment à lui. Il faut aussi et surtout rester dans la séduction. Je leur conseille surtout d'éviter de se promener en pyjama toute la journée". dit-il en rigolant.
Il faut savoir surprendre l'autre, s'aménager des moments de partage en commun et continuer à se séduire.
Jérôme Chantriaux
Dans ce contexte bien particulier, ce psychologue préconise aussi en cas de conflit, "de savoir lâcher" et de remettre pourquoi pas la discussion à plus tard.
"Le confinement peut créer chez les individus un stress ou une pression supplémentaire et ce n'est pas dans ces moments là qu'il faut à tout prix chercher à avoir raison ou à se faire écouter de l'autre."
Rien n'empêche de se parler. Mais là encore, il faut s'assurer que son/sa conjoint.e est dans l'écoute et la bienveillance. Sinon le message ne sera pas entendu. L'empathie peut également éviter bien des conflits.
En cette période de confinement, le couple peut se reposer sur ce cercle vertueux : "Si je suis agréable avec toi, tu auras aussi envie d'être agréable avec moi" et s'accorder des échappées belles, une heure sport, un sas de décompression pendant les courses ...Essayer d'arrêter de penser à soi, mais plutôt penser à l'autre. Si chacun fait un effort pour que l'autre se sente bien, on a plus de chances de passer des moments détendus et heureux. Cela veut dire savoir accorder des moments à l'autre, mais aussi préserver son espace, son intimité. On a tous besoin d'avoir une heure à soi chaque jour. Jérôme Chantriaux
* Marion et Paul : Peut-on se "réparer" plutôt que de se "séparer" ?
Le confinement peut être un moment de réflexion sur soi, sur l'autre, sur ce "nous", qui ne se supporte plus. Le stress du quotidien nous embarque parfois très très loin. Et on n'oublie parfois l'essentiel.Marion espère un "déclic, un électro-choc". Maman d'une petite fille, elle a décidé de se séparer de Paul. Elle lui reproche de trop travailler et de ne pas faire attention à elle. "On a vendu la maison, juste avant le confinement. Je dois absolument déménager fin juin et je n'ai rien. Et autant dire que les visites sont impossibles en ce moment".
Mais ce n'est pas ce qui la chagrine le plus. Au fond d'elle, Marion n'a peut-être pas fait une croix sur sa relation avec Paul. Et si le confinement les aidait à se "réparer" ?
Une seule lettre change. Mais un mot peut faire toute la différence, c'est la bienveillance. C'est à dire accepter les différences de l'autre, essayer de l'entendre et de le comprendre.
"C'est peut-être l'occasion de réinterroger son couple, explique Jérôme Chantriaux. Paul et Marion peuvent se demander pourquoi ils ont voulu être ensemble ? Qu'est-ce qu'on a aimé l'un chez l'autre et pourquoi le couple a-t-il évolué de cette façon là ? Pourquoi Paul travaille-t-il beaucoup ? N'est-ce-pas une manière de fuir ou de prouver quelque chose ? Et aujourd'hui qu'attendons-nous de l'autre ?"
Cet examen de conscience ne peut se faire que dans l'écoute et le respect. "Il faut éviter les reproches et privilégier "je ne me sens pas assez importante quand tu travailles", plutôt que "tu ne penses pas assez à moi". Ce n'est pas la même chose".
Chaque couple a son histoire. Il n'existe pas de recettes magiques mais plusieurs ingrédients existent. On l'a dit : la séduction, la communication, la bienveillance et l'aménagement d'espaces pour soi et ensemble.
Le couple peut aussi s'appuyer sur des barrières qu'il a réussi à franchir par le passé pour avancer main dans la main. Certes, le confinement est une épreuve mais pas nécessairement la fin. Il ne faudrait pas non plus le considérer comme un examen de passage, alors inutile alors de se mettre la pression ou de prendre des décisions hâtives.
"Quand on est confiné les uns sur les autres, le couple a besoin de souffler. Il suffit que le couple soit dans une période plus difficile en ce moment, ça peut plus facilement exploser. Mais ce n'est pas le moment de prendre une décision radicale, trop impulsive.