Chefs d'entreprise et commerçants dressent un bilan plus que mitigé de l'année 2024 avec une baisse historique au dernier trimestre, selon le cabinet Altarès. La Normandie accuse l'une des plus fortes hausses de défaillances d'entreprise avec plus 25.3%.
Mathilde* tient un bar-brasserie dans la région caennaise. Parmi ses clients, elle croise des chefs d'entreprise, des salariés, des ouvriers dans le bâtiment... mais en 2024, elle constate une baisse de sa clientèle.
"Il y a quelques années, on avait beaucoup de monde le matin, et notamment issu du bâtiment. Maintenant, ils viennent moins et ils consomment beaucoup moins."
Quand ils viennent, les clients se confient et elle constate que c'est dur pour tout le monde.
"J'ai un client, il faisait six chantiers par semaine, là, il en a un par semaine."
Alors, forcément, sa petite brasserie, avec des prix calculés au plus juste, pâtit de cette crise dans le bâtiment.
Ce n'est pas le seul secteur touché. Selon les chiffres de l'INSEE, 2 500 entreprises ont cessé leur activité en Normandie, entre octobre 2023 et septembre 2024, soit une hausse de 25,3 % sur un an.
Tous les secteurs sont concernés, avec une hausse particulière marquée dans l'Eure (+32.9%) et en Seine-Maritime (+34.2%)
"C’est le niveau le plus élevé depuis début 2017" commente Manuel Le Roux, Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie Caen Normandie.
"Le COVID nous a beaucoup impactés et nous impacte encore"
Pour Manuel Le Roux, le soutien aux entreprises pendant la période COVID a masqué les problèmes qui existaient déjà avant.
Mathilde, elle, reconnaît que les aides de l'État l'ont bien aidée à ce moment-là. Comme beaucoup d'autres, elle a accepté le PGE (Prêt Garanti de l'État) à un taux proche de 0.
Le PGE a été salvateur. Mais maintenant, il faut rembourser, et beaucoup ont du mal à le faire, alors que leur activité est en baisse."
Mathilde, commerçante
À cela peut s'ajouter les loyers et autres remboursements de prêts gelés par les banques pendant la période COVID pour aider les sociétés à survivre. "Certains ont oublié que ce n'était pas supprimé, mais juste reporté."
Elle-même doit rembourser 2000 euros par mois, mais elle ne se plaint pas.
"Si on est un bon professionnel, un bon gestionnaire, que l'on choie son client, on peut s’en sortir."
"Les gens ne consomment plus de la même manière"
Pour Céline, gérante de Dal'Fleurs à Caen, 2024 a aussi été une année compliquée. Et pourtant, le commerce de la fleur, elle le connaît bien, puisque dans la famille, on est fleuriste depuis 1929.
"Avant, on avait une cadence régulière de commandes, on pouvait anticiper. Mais maintenant, tout est incertain. Les gens ont du mal à se projeter sur des achats."
Si son chiffre d'affaires est bien remonté pendant les fêtes de Noël, septembre et octobre ont été "deux très mauvais mois. "
Elle se désole aussi que les achats sur internet deviennent la norme et, même si son secteur n'est pas encore trop impacté, elle constate qu'il y a tout de même de plus en plus de commandes en ligne, alors qu'elle propose un système de livraison à ses clients.
Les gens n'ont plus le réflexe de faire travailler les petits commerçants.
Céline Dale, commerçante
La fidélisation des clients est devenue, selon elle, beaucoup plus compliquée.
À cela, s'ajoutent l'augmentation des charges et la normalisation du télétravail. Selon Mathilde, depuis la mise en place de cette pratique, les administratifs vont beaucoup moins au restaurant.
Et puis il y a le temps. Souvent gris depuis cet été. Les clients n'ont pas pu profiter des terrasses
"Ça fait des mois qu’on est dans la grisaille, explique Mathilde. Quand il fait froid, qu'il pleut, on n'a pas envie de sortir."
Plus de fermetures et moins de créations d'entreprises
Pour plusieurs entreprises normandes, le temps n'a pas été à la fête en 2024, avec la hausse des faillites et les dizaines de plans sociaux déjà recensés. En novembre 2024, la CGT répertoriait 2500 emplois menacés sur toute la Normandie.
L'industrie à l'agonie ? Découvrez les entreprises menacées en Normandie
En parallèle, la CCI note une baisse du nombre d'immatriculations d'entreprises en Normandie (-1.5%), en un an, avec un chiffre fort sur la circonscription de Caen :
Entre 2023 et 2024, on a une baisse des créations d'entreprise de 20% sur Caen.
Manuel Le Roux, Président de la Chambre de Commerces et d'Industrie Caen Normandie
Une baisse qui s'accélère en Normandie au 3ᵉ trimestre 2024 (-4.3%), plus significative que dans le reste de la France. Selon Manuel Le Roux, dans notre région, "on met toujours plus de temps à rentrer et à sortir d'une crise."
Quant à 2025, tout reste incertain. Dans l'industrie, les carnets de commandes sont globalement bas.
Mais selon la CCI, "les chefs d'entreprises prévoient une stabilité dans la production industrielle, une progression de l'activité dans les services marchands et une reprise modérée dans le secteur du bâtiment, porté par le gros œuvre."
Peut-on enfin espérer une éclaircie ? Réponse au prochain bilan.
(*le prénom a été changé à la demande de l'intéressée)