Bernard Duval, déporté normand : " Tu diras ce qu'ils nous ont fait ces salauds-là"

Bernard Duval, déporté normand, témoignera lors du congrès annuel de l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation qui a lieu à Caen du 29 septembre au 3 octobre. Pour transmettre encore et toujours cette mémoire tragique.

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Autour de la table de salon, Janine et Bernard Duval.  Le couple s'aime depuis l'après-guerre. Les deux normands, aujourd'hui nonagénaires, se connaissaient depuis le berceau. Mais sur la photo de mariage en noir et blanc, les yeux de Bernard semblent recouverts d'un voile de tristesse. 

" Il était froid, il avait ça en tête, il faisait des cauchemars terribles" raconte Janine. Bernard abonde : " Ca m'a réveillé plus d'une fois. J'étais en transe, en sueur pour me tirer des griffes du Kapo... Je rêvais d'Albert, le gars de la Gestapo qui m'a interrogé" . 


La vie de Bernard Duval bascule un jour du mois de mars 1944. Entré en résistance à l’âge de 16 ans, cet habitant de Caen surveillait les constructions fortifiées allemandes sur la côte normande pour le réseau Hector,  rattaché au Front National pour la Libération de la France, d'obédience communiste. " Je l'ignorais d'ailleurs, ce que je voulais, c'était contribuer à la libération de mon pays occupé par les Allemands. Quand je fus arrêté, j'avais 18 ans" . Bernard avait l'âge d'être un de ces lycéens à qui il a depuis si souvent raconté cette histoire. 

Arrêté par la Gestapo, entre deux séances de torture, quand la "douleur s'ajoute à la douleur, on entre dans un état second" , il est incarcéré dans la vieille maison d'arrêt de Caen où plane la menace du poteau d'exécution.  Il y échappe et est envoyé au camp d’internement de Royallieu où le 4 juin, il monte dans un train pour une destination inconnue. " Ils m'ont balancé dans un wagon à bestiaux, on était plus d'une centaine par wagon, sans rien, ni à boire, ni à manger".

C'est sur ce trajet, ironie tragique de l'Histoire, que Bernard Duval apprend que le Débarquement allié est en train d'avoir lieu en Normandie. 

Près de trois jours et demi de convoi ... Bernard Duval est d'abord déporté au camp de concentration de Neuengamme puis transféré à Sachsenhausen. " J’y suis resté dix mois, j'ai été libéré en  avril 1945 par l’Armée Rouge " confie-t-il. Il est ensuite rentré à pied en France. 

Dix mois durant, Bernard Duval se nourrit de légumes et d'eau sale dans ces camps de concentration où la vie ne tient qu'à un fil, où l'existence est un cauchemar. Dans ces interventions auprès des elèves comme dans son livre, il raconte n'être qu'un numéro voué au travail. Il échappe de peu à la mort quand une pelle pour le frapper tombe heureusement à plat sur son dos. " Autrement, je serai sûrement mort". 

Bernard Duval rentre en juin 1945, dans son habit de déporté. Il retrouve sa ville, Caen , méconnaissable. La maison familiale est détruite. Tout est à reconstruire.

Se reconstruire : le chemin de la résilience

" Il y a des déportés qui rentrent dans un tel état de faiblesse physique mais aussi psychologique qu'ils ne sont pas capables de reprendre une vie dite normale. Pratiquement, un millier meurt dans les semaines et les mois qui suivent, soit des suites de pathologies contractées en Allemagne dans les camps mais aussi malheureusement par des suicides, parce qu'ils sont incapables de reprendre le cours de leur vie " explique Arnaud Boulligny, responsable de la Fondation pour la mémoire de la déportation pour le Ministère de la Défense et qui a étudié le sort des 50 000 rescapés qui rentrent en 1945. A Caen, les archives conservées par le service historique de la Défense donnent la mesure du traumatisme. 

Bernard, lui, reprend les 20 kilos perdus pendant la déportation et surtout le fil de son existence, même si le concède Janine " c'était pas facile, il en parlait peu, c'est petit à petit que ça s'est fait ". 

On est libre, le passé ne devait pas prendre pied sur l'avenir. Moi, c'est ce qui m'a motivé.  

Bernard Duval

Il y aura la passion de l'aviation d'abord. Bernard a été bercé par les exploits des aviateurs, les grands aventuriers de l'époque. Et pendant l'occupation, le modèle-réduit offrait de quoi s'évader à bon compte. A son retour des camps,  Bernard veut percer dans l'aéronautique. Il prend des cours du soir. On lui fait un jour comprendre qu'il a perdu son temps en Allemagne. 

Janine et Bernard décident de larguer les amarres, direction l'Afrique de l'Ouest. Au Sénégal, les cauchemars sont tenus à distance. Bernard fait carrière dans l'industrie pétrolière. Son travail l'emmène dans toute l'Afrique de l'Ouest. " Nous sommes partis vers un monde nouveau, votre esprit est alors mobilisé vers quelque chose que vous sentez positif, c'était mon avenir". 

Un séjour au Liberia rouvre brutalement la plaie. " J'ai entendu parler souvent allemand à Morovia, j'avais qu'une frousse, c'était reconnaître un gars que j'aurai connu en Allemagne. Qu'est-ce que j'aurais fait ? "

Témoigner 

De retour à Caen à l'heure de la retraite, le passé s'impose. Il retrouve son camarade de misère, Bernard Boulot, le voisin de cellule, le compagnon de déportation. L'ami de toujours, aujourd'hui disparu, l'entraîne sur la voie du témoignage dans les écoles pour sensibiliser les jeunes publics aux horreurs de la Seconde guerre mondiale.

" Honnêtement, je n'en avais jamais parlé, pas même à mes enfants. Ils ont découvert vraiment les choses quand j'ai écrit mon livre autobiographique intitulé Une jeunesse volée - J'avais 19 ans en 44. "

Le temps avait passé, on avait pris un peu de recul.

"C'est pour moi une libération, je me décharge". En 2005, quand il se rend au camp de Falkensee, il ne reste plus grand chose du camp où il s'est usé à la tâche. Mais Bernard se souvient: " Y avait ceux qui sentaient leur fin prochaine, ils savaient qu'ils ne ressortiraient pas et ils nous voyaient en meilleure santé qu'eux. Si tu as la chance de rentrer, me disaient-ils, tu diras ce qu'ils nous ont fait ces salauds-là . C'est un peu leur voix post mortem". 

Bernard Duval  été décoré de la Croix d'Officier dans l'Ordre national de la Légion d'honneur en 2019.  Et parce qu'il s'est toujours accroché à ses rêves, à Caen, dans son petit garage,  le retraité a construit son avion. Qui a décollé. 
 

Congrès annuel de l’association des Amis de la fondation pour la mémoire de la Déportation,  du  29 septembre au 3 octobre 2021, au  Musée des Beaux-Arts, "Passage de témoin(s)" 

Au total, quatre anciens déportés (Bernard Duval, Lili Leignel, Jean Lafaurie et Ginette Kolinka) iront à la rencontre de plus d'un millier de scolaires le jeudi 29 septembre et le vendredi 1er octobre. . 

Trois soirées sont également ouvertes au grand public : jeudi 30 septembre, à 20 h, projection de Génia, film documentaire d’Anice Clément sur les expériences médicales du block 10 d’Auschwitz.

Vendredi 1er octobre, à 21 h, lecture théâtralisée « De l’enfer à la lune » de Jean-Pierre Thiercelin, sur Dora, dernier grand camp du régime nazi.

Samedi 2 octobre, à 20 h 45, concert « Un violon dans l’Histoire », autour des mélodies les plus emblématiques du cinéma évoquant l’histoire de la Seconde Guerre mondiale (La Vie est belle, La Liste de Schindler, Le Vieux fusil…)

 

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