Parloirs du centre pénitentiaire de Caen : la justice prend le parti des détenus et de leurs familles

Après des semaines sans contact avec leurs proches incarcérés au centre pénitentiaire de Caen, les familles attendaient avec impatience la reprise des parloirs. Mais l'excès de zèle de l'administration a gâché ces retrouvailles. La justice a ordonné un réaménagement de ces espaces.

"On a presque eu l'impression de vivre un décès ou un divorce. Ça a été un déchirement. C'est tombé du jour au lendemain, ça été très brutal, comme un coup de massue." Le 6 mars dernier, Chloé rendait visite à son mari, incarcéré au centre de détention de Caen, comme elle le fait chaque semaine. "J'y vais tous les samedi et dimanche. Ça dure au minimum une heure. Quand il n'y a pas trop de monde, je peux reste une heure et demie voire deux heures." Elle ne savait pas alors que ce serait la dernière fois avant longtemps. Le 17 mars, le confinement tombe comme un couperet. Et avec lui, la suspension, jusqu'à nouvel ordre, des parloirs. Cholé ne reverra pas le visage de l'être aimé avant le mois de mai. Et ce qui devait être une fête tourna au drame.

"Une catastrophe." C'est le premier mot qui lui vient à l'esprit lorsqu'on évoque ces retrouvailles. Avant même de pénétrer dans la salle des parloirs, les familles rencontrent les premières difficultés. "On devait venir avec toute une série de chose dont un masque et un stylo. L'administration ne nous avait pas prévenus. Mon mari m'avait transmis l'information mais ce n'était pas le cas de tout le monde. Certains ont dû rentrer chez eux."

"Les cris résonnaient contre le contreplaqué"

Mais les plus "chanceux" ne sont pas au bout de leurs surprises. "D'habitude, ça ressemble à un hall d'accueil comme à la CAF avec plusieurs box à mi-hauteur : tout le monde se voit. Là, ils avaient installé du contreplaqué, à gauche et à droite de chaque box, du sol jusqu'au plafond. Entre les familles et le détenus, ils avaient installé des cloisons en plexyglas d'environs 1 m 70, avec un trou à la hauteur du cou d'un homme, debout. Toutes les familles se sont mises à parler fort. Les cris résonnaient contre le contreplaqué. On ne s'entendait plus. D'un commun accord, je suis sorti au bout de dix minutes. On était tous les deux au bord des larmes."

Ce départ soudain attire l'attention. "On m'a demandé pourquoi je partais. La directrice a reconnu qu'elle avait reçu plusieurs reproches de la part des familles et qu'elle comptait faire des modifications." Pour le couple, l'expérience a été tellement traumatisante qu'ils décident d'agir sans attendre. Le dossier est confié à Maître Benoît David, spécialisé dans le droit pénitentiaire. L'avocat parisien opte pour un référé auprès du tribunal administratif, une procédure qu'il a utilisé à plusieurs reprises durant le confinement, notamment pour assurer un minimum de protection sanitaire aux détenus : masques, gels hydroalcolique. Mais aussi lunettes de toilettes. "Dans un établissement surpeuplé comme Fresnes, il n'y en avait pas et pourtant le conseil scientifique avait indiqué que le virus pouvait se transmettre via la cuvette."

"un discours pour le monde extérieur, un autre pour les prisonniers"

A l'heure du déconfinement, l'avocat note que "fort heureusement, il n' y a pas eu de pandémie" dans les prisons françaises "mais quelques cas isolés qui ont été bien gérés". Maître Benoît David estime toutefois que "on aurait pu évité certains incidents comme à Toul si le gouvernement avait donné des masques pour organiser certains parloirs. On a demandé au juge des référés : enjoignez la pénitentiaire de donner aux détenus du matériel pour confectionner des masques." En vain. "Il y avait un discours pour le monde extérieur, un autre pour les prisonniers. Ça a accentué les frustrations." Et ces dernières sont loin de s'éteindre avec la reprise des parloirs.

"L'organisation des parloirs est laissée à l'appréciation des chefs d'établissement, en fonction du nombre de personnes qui ont sollicité des parloirs. C'est très hétéroclite d'un établissement à l'autre, d'une région à une autre", déplore Benoît David, " A Caen, les conditions imposées sont disproportionnées par rapport aux règles données, à savoir une reprise avec les gestes de distanciation sociale (...) À l'audience, l'argument du ministère c'était d'empêcher que les gens se touchent. Le dire, c'est suffisant. Là, les familles ont l'impression d'aller voir leurs proches au zoo." Dans son ordonnance rendue le 26 mai dernier, le juge des référés du tribunal administratif de Caen estime que le dispositif mis en place au centre pénitentiaire de Caen "méconnait le droit (du détenu) au maintien de relation avec les membres de sa famille" et ordonne à l'administration de réaménager ces parloirs.

"Le seul lien d'amour"

La date limite fixée par l'ordonnance était ce lundi 8 juin. Mais dimanche dernier, à la veille de l'échéance, Chloé n'a constaté que de très maigres changements. "Ils ont juste remplacé le trou par une grille au format 21 x 29,7. Ça n'empêche pas le virus de passer. On a l'impression de voir nos proches dans un box de cour d'assises. Les familles ne sont pas heureuses. Elles pleurent. Dimanche dernier, il n'y avait que deux familles contre quinze habituellement." Et l'idée d'un nouveau référé fait déjà son chemin.

"Si ça ne bouge pas, moi, je ne vais pas lâcher l'affaire. Ce n'est pas seulement pour moi mais pour toutes les familles", prévient Chloé, "Le parloir, c'est le seul lien d'amour. Un sourire. Un rire. Une larme. C'est un fil d'Ariane. C'est aussi la boite de Pandore. Si on l'ouvre, tout se casse la gueule. Le parloir, on ne devrait même pas avoir à le demander."

Nous avons tenté de contacter la direction interrégionale de l'administration pénitentiaire. Nous n'avons pas obtenu de réponse, pour le moment.

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