Le procureur de la république a requis des peines allant de six à dix mois de prison avec sursis à l'encontre des dix prévenus. Ils sont soupçonnés d'avoir provoqué de gros dégâts à l'issue d'une manifestation le 14 août 2015. Le tribunal correctionnel de Caen rendra son jugement le 7 juillet.
A la barre du tribunal, ils sont mal à l'aise, un peu penauds même, quand le président énumère les faits qui leur sont reprochés : dégradation en réunion, entrave à la circulation, extorsion et tentatvives d'extorsion. Le vendredi 14 août 2015, après avoir fait le siège de la préfecture, les agriculteurs décident de vider leur benne de fumiers et de gravats. Ils font d'abord une halte devant le magasin Monoprix situé à deux pas, parce que son directeur aurait refusé de ravitailler gratuitement les manifestants. Le président demande : "est-ce un droit acquis que la grande distribution ravitaille les agriculteurs en manif ?" Un prévenu avance que "ça leur aurait coûté moins cher de nous donner 600 euros de saucisses de pain et de bière". Bilan : un préjudice estimé à 12 896 euros, sans compter la perte d'exploitation pendant la fermeture du magasin.
680 000 euros de dégâts à la DDTM
Le cortège se rend ensuite devant la DTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer). A la barre, les agriculteurs assurent que leur intention n'était surtout pas de commetre des dégradations. Le mot d'ordre était même "Respect des biens et des personnes". La façade est pourtant copieusement arrosée. Le lisier s'infltre et ruisselle dans les bureaux, sur deux étages. Un "problème de pression" sur la pompe justifie un prévenu. Sébastien Debieu, qui était alors secrétaire général de la FDSEA, s'étonne que la police ne l'ait pas alerté à temps : "si les renseignements généraux nous avaient dit que le lisier entrait dans la DDTM, nous aurions aussitôt arrêté". Bilan : des réparations chiffrées à 680 000 euros.Au cours de cette journée, trois véhicules de police sont "retenus" par des tracteurs. Un policier est menacé. Une policière se voit même promettre... le président du tribunal recherche les mots exacts : "il va te violer à sec". Gloussements dans la salle. "Est-ce que cela fait rire quelqu'un, interroge-t-il sèchement ?
On n'est pas là devant des délinquants. Ce n'est pas un banal fait de dégradations, mais plutôt l'expression d'une souffrance
"Dans toute affaire, il y a des circonstances plaide l'avocate des agriculteurs. On n'est pas là devant des délinquants. Ce n'est pas un banal fait de dégradations, mais plutôt l'expression d'une souffrance, insiste Me Bouthors. "Il y a ici des gens qui ne joignent pas les deux bouts. On leur réclame 680 000 euros. Mais certains ont plus de 900 000 euros de dettes, ce qui peut aussi expliquer pourquoi ils sont dans un état de détresse".
Dans un communiqué, la FRSEA de Normandie apporte d'ailleurs son soutien aux agriculteurs poursuivis en rappelant que "les actions syndicales avaient pour objet d’alerter les pouvoirs publics sur la situation économique désastreuse à laquelle les éleveurs étaient confrontés suite à des baisses de prix inédites. Et de souligner que "si les mesures décidées par les pouvoirs publics ont apporté un répit tout relatif, aucune solution durable n’a été mise en œuvre pour un redressement durable des cours de produits agricoles". Le syndicat espère que la justice appréciera les faits avec "discernement et modération".
Reportage de Franck Bodereau et Cyril Duponchel
Intervenants:
- Yves Le Guillois, agriculteur
- Me Vanessa Bouthors, avocate des 10 agriculteurs
- Patrice Lepainteur, président de la FDSEA 14