Du 15 au 31 janvier prochain, les agriculteurs voteront pour un syndicat qui les représentera à la chambre d'agriculture de leur département. Dans le Berry comme ailleurs, ces élections qui se déroulent tous les six ans ont un enjeu important : 20 sièges sont à prendre.
Les actions des agriculteurs se sont multipliées en cette fin d'année 2024. Mais contrairement aux manifestations du début de l'année, les trois principaux syndicats ont organisé leurs actions chacun de leurs côtés, élections obligent. Car il y a six ans, lors des dernières élections, moins d'un agriculteur sur deux est allé voter.
Alors, au sein des différents syndicats agricoles, un seul mot d'ordre : mobiliser. Parmi les principaux syndicats, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, le syndicat agricole majoritaire, la Coordination Rurale, qui fait de plus en plus entendre sa voix au travers d'actions coup de poing parfois radicales, et la Confédération Paysanne, qui prône une agriculture paysanne et se démarque par des positions politiques en faveur du respect de l'environnement.
Les élections de cette année seront "très particulières" contextualise Denis Jamet, président de la FNSEA-J.A du Cher, en raison des "revendications très fortes" qui animent toujours le monde agricole. Les mauvaises récoltes 2024 et les problèmes structurels, notamment liés à la transmission et au "sens de notre métier" vont peser sur le scrutin.
On a vu des manifestations réunir des agriculteurs de toutes les filières, de tous les âges parce qu'il y a une perte de sens de nos métiers. On marchait vraiment sur la tête, avec des normes qui devenaient même parfois contradictoires.
Denis Jamet, président de la FNSEA-J.A du Cher
Ces trois syndicats sont d'accord sur quelques points, comme la nécessité pour les agriculteurs de pouvoir vivre dignement de leur métier, ou encore leur désaccord face au Mercosur, ce traité de libre-échange entre l'UE et l'Amérique du Sud. Mais leurs divergences sont également nombreuses.
Pour la FNSEA: "Il faut éliminer les normes inutiles"
"À la FNSEA on est très attaché aux moyens de production. On est un des seuls syndicats à militer pour l'accès à l'eau, mais on veut aussi minimiser les normes non productives, car on en est envahi. On n'est pas contre, parce qu'il faut des normes, mais des normes qui aient du sens", détaille Denis Jamet.
Des revendications qui peuvent sembler similaires à celles de la Coordination Rurale. Mais le président de la FNSEA du Cher précise : "Nous, on est un syndicat de solutions. Certains syndicats sont plutôt dans l'action, c'est pour eux une finalité".
Le syndicat majoritaire se félicite d'ailleurs d'avoir déjà obtenu des avancées pour de meilleures conditions pour les agriculteurs. "Il y a beaucoup d'acquis qui bénéficient à tous les types d'exploitations. Par exemple sur la détaxation du gazole non routier, ou l'homologation du glyphosate pour dix ans supplémentaire, l'annulation des 4 % de jachères, ou encore pour l'élevage, la défiscalisation de 250€ par bovins, etc." rappelle Alexandre Cerveau, secrétaire de la FNSEA du Cher.
Il poursuit : "On est le contre-pouvoir. Les politiques ont leur vision des choses et nous, on est là pour venir toquer à la porte en rappelant qu'il ne faut pas oublier l'agriculture. Si on n'était pas là, qui le ferait ? Il n'y aurait que les politiques qui décideraient de l'avenir de l'agriculture ?".
Pour la Coordination rurale, des normes, oui, "mais comme les autres"
Du côté de la coordination rurale aussi, les normes crispent. "On veut enlever certaines paperasses, complications au niveau du métier. On veut aussi arrêter de dire oui à tout. On se rend compte que le syndicat majoritaire dit trop souvent amen", souligne James Duclos, membre du bureau de la Coordination rurale du Cher.
Les normes, nous ne sommes pas contre, mais on veut être tous dans le même tableau. C'est très bien de faire des produits d'exception, on est conscient d'avoir l'une des meilleures agricultures au monde. Mais ces normes nous empêchent d'être compétitifs.
James Duclos, membre du bureau de la Coordination rurale du Cher
La Coordination rurale s'insurge donc contre le traité du Mercosur, mais aussi des inégalités de normes européennes. "Ce qu'on voudrait, c'est que les pays voisins se mettent à nos normes, ou que leurs produits ne rentrent pas dans le pays".
Une position que la coordination rurale a notamment démontrée par les actes, en effectuant plusieurs contrôles de camions pour vérifier l'origine des marchandises alimentaires qui circulent, en organisant notamment un blocage au péage de Vierzon. Pour la coordination rurale qui défend une vision protectionniste et identitaire des paysans, la question du revenu est aussi centrale.
"Depuis la covid, on ne vit plus de l'agriculture. À titre personnel, je suis passé de 700€ d'électricité à 2000€. Sans diversifier nos activités, on ne s'en sort pas. Mais ce n'est pas normal", martèle James Duclos. Grâce à des actions nombreuses et visibles, la Coordination rurale du Cher a quadruplé son nombre d'adhérents en 2024.
"La FNSEA majoritaire et proche des institutions, défend une agriculture productiviste et industrielle, souvent au service des grandes exploitations. La Coordination rurale milite pour les petites exploitations, les circuits cours et une agriculture locale et indépendante", explique James Duclos qui espère remporter les élections de la chambre d'agriculture de Bourges pour pouvoir changer les choses.
"Actuellement la Chambre ne propose que des services payants, on voudrait remettre ça au goût du jour, rétablir un service-conseil, un service juridique pour réellement aider les agriculteurs", conclut-il.
Pour la Confédération paysanne : "les normes, c'est pour protéger les agriculteurs"
Pour Fanny Brastel, co-porte-parole de la confédération paysanne et tête de liste dans l'Indre, il y a un paradoxe à s'insurger contre le traité de Mercosur et réclamer moins de normes.
"On ne peut pas refuser d'importer des produits qui ne respectent pas les normes européennes et demander à rabaisser nos normes et produire des aliments de piètre qualité. C'est pour ça que la question du revenu et très importante ! Si les agriculteurs peuvent vivre dignement, les normes ne seront plus vécues comme des contraintes".
Elle rappelle : "Les normes, c'est avant tout pour protéger les agriculteurs des produits phytosanitaires et pour protéger les consommateurs. Certes, il y a des améliorations à faire sur les contrôles administratifs qui sont parfois lourds et complexes et il faudrait plus de pédagogies. Mais ces normes sont aussi conditionnées aux aides que l'on perçoit". Une position en opposition avec le syndicat majoritaire, que la Confédération Paysanne juge libérale et productiviste, à l'encontre des valeurs d'une agriculture respectueuse de l'environnement qu'elle prône.
Pour la Confédération paysanne, la question du revenu est donc centrale et reste le principal combat à mener. "Il faudrait installer des prix planchers pour faire acheter nos produits à la véritable valeur qu'ils ont et pouvoir ainsi se rémunérer dignement", propose la Confédération paysanne.
Sur les 94 chambres d'agriculture en France, trois sont actuellement dirigées par la Coordination rurale, les autres sont détenues par le syndicat majoritaire, la FNSEA.