"La première fois que j'ai entendu ce mot, c'était dans une ferme au nord de l'île, chez Olof, devenu entre-temps un hébergement touristique haut de gamme ". Sveit ?
Sveit, vous avez dit Sveit ?
Le poète américain, Bill Holm, a, lui aussi, essayé de comprendre cet état d'esprit, caractéristique des Islandais.
Sveit est un mot intraduisible dans une autre langue que l’islandais. Sveit est ce qui vous relie à la terre, à l’histoire, à la nature, à l’humanité…
Bill Holm, poète américain (1943-2009)
Pour comprendre, il faut imaginer des paysages, à perte de vue. Un climat très agité, avec un vent récurrent, qui souffle et souffle, au point de vous faire décoller. La Normandie est réputée pour ses quatre saisons en une journée. Ce n'est rien, comparé à l'Islande.
"Là-bas, l'expression favorite, c'est "Si tu n'aimes pas le temps, attends cinq minutes", s'amuse Bruno Compagnon, qui avoue avoir attendu un petit peu plus longtemps pour capter le rayon de lumière.
Le photographe normand, auteur de l'exposition "Sveit, l'âme de l'Islande"*, précise : "Les Islandais doivent faire corps avec la nature. C'est inscrit en eux. Ils sont habitués aux aléas du climat, aux éruptions volcaniques." L'Islande compte en effet 33 systèmes volcaniques actifs, soit le nombre le plus élevé d'Europe.
Depuis toujours, ils savent que la nature est plus forte que nous. Qu'ils n'y peuvent rien. Face à l'adversité, ils sont solidaires et très fatalistes. Ce n'est jamais grave.
Bruno Compagnon, photographe
Les habitants résignés, face à la menace d'éruption volcanique
Cet état d'esprit "Sveit" nous aide à mieux comprendre leur résignation, alors que le sud-ouest de l'île est soumis à l'imminence d'une éruption volcanique d'ampleur.
23 000 secousses ont été enregistrées depuis le 25 octobre, soit une vingtaine par heure rien que pour la journée de dimanche. Les habitants de Grindavik ont évacué les lieux, dans le calme et en très peu de temps.
Bruno Compagnon ne manque jamais de souligner le courage et le sens de l'accueil des habitants de cette île, dont le charme ne laisse personne indifférent.
Plus de touristes que d'habitants
L'Islande et ses 103 000 km2, soit un cinquième de la France, ne compte que 370 000 habitants. C'est moins que la métropole de Rouen. "Quand je suis arrivé dans ce pays, la première fois, j'ai été subjugué par l'immensité des paysages, très verts dans le sud, alors que le nord-est ressemble à un désert de lave. Pour un photographe, c'est extraordinaire".
A l'époque, en 2009, ils n'étaient pas nombreux, à peine 100 000 touristes, à vouloir braver le froid et un climat plus hostile.
"Aujourd'hui, deux millions de curieux s'aventurent au même endroit, dans le sud. Le pays doit faire face à une sacrée affluence qui n'est pas sans conséquence pour l'environnement. Regardez ce glacier, c'est l'un des plus visités. Il fait la même superficie que la Corse et chaque année, on le voit reculer. L'impact de la fonte des glaces est palpable", s'inquiète Bruno Compagnon.
10 voyages en 10 ans : une découverte liée au hasard d'un match de foot
Le photographe, qui vit à Essay, dans l'Orne, pourrait parler de l'Islande pendant des heures. Il va même donner une conférence** samedi prochain, à la bibliothèque Alexis de Tocqueville, pour partager sa passion pour ce pays qui le fascine tant.
Il n'y a pas que les lumières. Les habitants, les traditions. Il suffit de regarder sa photographie sur la transhumance pour comprendre que ce pays, à la fois rural et maritime, est à part. Il réussit à vous capter dès le premier regard.
"Ma première rencontre ? C'était lors d'un match de foot, chez mon voisin, dans l'Orne. Pendant la mi-temps, je tombe sur une pile de vieux magazines "Géo". Je feuillette et tout de suite, je suis frappé par le reportage consacré à l'Islande et la beauté des paysages. Je rentre chez moi. Ma femme me demande peu de temps après où j'aimerais aller en vacances. Je lui réponds l'Islande."
Depuis, l'aventure se poursuit. Bruno Compagnon enchaîne les voyages à l'affût de ces contrées sauvages et du silence qui se lit entre les contrastes de lumière. En noir et blanc. "Car quand la lumière baisse, près des montagnes, on ne voit que ça ... du noir et du blanc."
L'Islande est à l'honneur de la 31ème édition du festival des Boréales qui se tient jusqu'au 26 novembre à Caen. A travers des spectacles de théâtre et de cirque, de la littérature et des expositions, cette île volcanique fait jaillir en Normandie son âme Sveit.
* "Sveit, l'âme d'Islande", à voir à la Bibliothèque Alexis de Tocqueville à Caen jusqu'au 7 janvier et jusqu'en mars dans le parc du château de Flers.
*Une conférence de Bruno Compagnon, suivi de dédicaces, est proposée le samedi 18 novembre, à la bibliothèque de Caen.