Alors que les éleveurs ont vu le prix de leurs bêtes augmenter ces deux dernières années, le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur pourrait bien remettre en déséquilibre cette filière déjà fragile. Et notamment en Normandie, 2e région productrice de viande bovine, derrière les Pays de la Loire.
On a tous en tête l’image d’une Normandie avec ses vaches et ses pommiers. Mais le cheptel normand, comme ailleurs en Europe, se réduit d’année en année. Et plus rapidement que le nombre de consommateurs de viande rouge. Pour satisfaire la demande, l’Europe s’apprête à signer un traité de libre-échange avec les éleveurs sud-américains. Un accord dénoncé par les agriculteurs.
Des agriculteurs mieux rémunérés, mais moins nombreux
Daniel Courval est éleveur à Combray dans le Calvados. En 2 ans, le prix de ses vaches charolaises est passé de 3,60 euros le kilo à 5,60 euros. Une différence appréciable de plus de 800 euros sur une bête de 400 kg. Mais pour autant, le nombre de bovins destinés à l’abattoir est en déclin.
En 2023, la production bovine a perdu 3%.
On avait repris espoir avec cette augmentation de revenus, on pensait que les gens allaient continuer dans l’élevage.
Daniel Courval, éleveur à Combray dans le Calvados
Mais la jeune génération s’est tournée vers d’autres agricultures, comme le colza, le blé ou le maïs. « Des productions végétales qui nécessitent moins de main d’œuvre que l’animal. »
38% des viandes bovines en Normandie sont des vaches de réforme
Le marché de la viande bovine est complexe, comme le rappelle Michel Lafont, agroéconomiste à la chambre régionale d'agriculture de Normandie.
Si « les courbes de viande bovine se sont vraiment améliorées de 30% sur les trois dernières années », tous les bovins ne sont pas vendus au même prix. Par exemple, un bœuf élevé pour sa viande sera vendu plus cher qu'une vache de réforme laitière, et au final, plus d'un tiers des bovins qui finissent dans nos assiettes sont des anciennes vaches laitières ou nourricières, c'est-à-dire qui ont contribué à la production de veaux.
Si les éleveurs de race à viande sont de moins en moins nombreux, les producteurs laitiers, eux aussi, ont vu leur cheptel baisser.
"Avec une pénurie de plus en plus forte, on va tendre le marché. C’est bien pour le producteur, moins pour l’acheteur."
Selon Michel Lafont, c'est cette pénurie de bovins qui a permis de revaloriser le prix du bœuf.
Le marché est un peu tendu, les abattoirs ne tournent pas à 100 % et ils achètent un peu cher. Et donc le consommateur doit payer un peu plus cher
Michel Lafont, agroéconomiste à la chambre d'agriculture de Normandie
Mais avec l'arrivée des viandes sud-américaines, la crainte des éleveurs, c'est que les consommateurs se tournent vers ces produits, et que, pour rester concurrentiels, les abattoirs revoient le cours du bœuf à la baisse.
Une concurrence que Daniel Courval juge déloyale, puisque le Mercosur va proposer à la vente uniquement les morceaux de choix comme l'aloyau ou la bavette, ce qui risque de faire chuter les seuls produits qui maintiennent un prix de la carcasse raisonnable en France. Car tous les morceaux ne sont évidemment pas vendus au même tarif.
"L'offre n'est plus forcément en adéquation avec la demande du marché"
Si la France produit aujourd'hui un bœuf de grande qualité, le consommateur, lui, n'est pas toujours prêt à y mettre le prix. Fini les entrecôtes deux fois par semaine. Aujourd'hui, la consommation de bœuf a changé. Près de la moitié est transformée en steak haché, notamment pour les restaurants. Un moyen de manger du bœuf à moindre coût.
"En France, on a énormément de races de bovins, souligne Marc Lafont. C'est très intéressant pour les acteurs de la génétique qui ont intérêt à conserver les races pures pour continuer à exporter dans le monde entier." Mais pas toujours adapté aux besoins du marché. "En volaille et en porc, on a fait du croisement pour avoir un animal qui correspond plus aux besoins du marché."
La viande de ces steaks hachés vient souvent d'ailleurs : d'Irlande ou de Grande-Bretagne, sans que le consommateur s'en aperçoive.
Dans les supermarchés, la traçabilité obligatoire permet de vérifier l'origine, mais dans les restaurants, c'est plus compliqué. Et la crainte des agriculteurs, c'est justement de trouver de la viande élevée aux OGM, aux hormones et aux antibiotiques dans les assiettes, alors que la filière française a choisi de supprimer tout ça pour faire "de la viande de qualité", comme le rappelle Daniel Courval.