Dans le cadre du grand débat national sur la fin de vie organisé en vue d'une éventuelle modification de la loi, une conférence-débat était organisée lundi 16 janvier 2023 à l'université de Caen en présence de Jean-François Delfraissy, le président du Comité consultatif national d'éthique.
Un débat national sur l'aide active à mourir a été lancé par Emmanuel Macron en 2022 après de longues années passées à refuser de s'engager sur ce sujet. Grâce à diverses consultations de parlementaires et de professionnels de santé, le lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie le 9 décembre et des conférences-débats avec les Français organisées un peu partout sur le territoire par les esapces éthiques régionaux, le chef de l'Etat espère poser les jalons d'une réflexion qui pourrait aboutir à une loi d'ici la fin de l'année 2023.
Dans ce cadre, l'Espace de réflexion éthique de Normandie (EREN) a organisé lundi 16 janvier une conférence-débat à l'université de Caen, dans le Calvados, en présence de Jean-François Delfraissy, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).
Elle porterait sur l'avis 139 sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie rendu par le CCNE le 13 septembre dernier. S'il a fait débat au sein même du comité, cet avis ouvre une porte sur l'assistance au suicide. Il sert également de base aux membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie appelés à rendre leurs conclusions fin mars. "Cet avis ne dit pas ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Il se veut comme une boussole pour lancer un débat", a rappelé Jean-François Delfraissy lundi soir devant un amphithéâtre bien rempli.
Pour le président du CCNE, "la fin de vie et l'éventuelle modification de la loi pose une question : est-ce que notre mort nous appartient ou appartient-elle à la société qui l’a, dans une certaine mesure, déléguée aux soignants ?"
"Prendre le temps de réfléchir"
"Ce débat national ne sera pas le dernier. On touche à l’intime, à l’autonomie de la personne et on y va étape par étape. [...] Il est important que notre société puisse prendre le temps de réfléchir", a souligné Jean-François Delfraissy. Une phrase qui a fait bondir Annick, 90 ans, membre de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, venue assister à la conférence. "Il y a longtemps qu'on prend son temps ! Les mentalités évoluent donc on ne peut pas légiférer une fois pour toute, c'est sûr, mais s'il faut attendre que tout soit parfait, ce ne le sera jamais… "
Je voudrais bien que cette loi passe et il ne nous a pas laissé grand espoir que cette Convention citoyenne serve à quelque chose.
Annick, 90 ans
Annick se dit "pressée", l'aide active à mourir étant "dans [s]es projets" car elle refuse de finir en Ehpad. "Je voudrais bien que cette loi passe et il ne nous a pas laissé grand espoir que cette Convention citoyenne serve à quelque chose", remarque-t-elle.
Si Hélène n'a que 60 ans, elle réfléchit elle aussi a ces questions. Membre de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, elle est venue à la conférence pour "avoir des informations". Hélène est pour une évolution de la loi, "soit le suicide assisté quand on est en mesure de prendre soi-même un médicament et éventuellement l'euthanasie quand on trouve un médecin qui veut bien le faire". Elle ne veut pas vivre ce qu'ont traversé sa mère et sa grand-mère qui ont trop souffert à la fin de leur vie.
"La Convention citoyenne n'est qu'une consultation"
La Convention citoyenne sur la fin de vie, portée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), réunit 185 citoyens volontaires sélectionnés pour réfléchir à une évolution de la loi sur la fin de vie. Jean-François Delfraissy a reconnu qu'elle partait avec le spectre de la convention citoyenne sur le climat, dont peu de mesures avaient finalement été reprises telles quelles par le gouvernement. Mais cette fois-ci, Emmanuel Macron n'a fait aucune promesse.
Dans sa saisine, Elisabeth Borne se veut prudente. "Les conclusions de la Convention citoyenne recueillies par le Cese serviront à éclairer le gouvernement", écrit la Première ministre. Les membres de la Convention citoyenne seront "informés des suites qui seront données à leurs travaux" et "éclairés sur la prise en considération de leurs réflexions et recommandations", ajoute-t-elle.
Le CCNE sera là comme garant qu’on laisse une autonomie à la convention citoyenne. Mais je sais que tout ne sera pas pris par le politique, ce n’est qu’une consultation.
Jean-François Delfraissy, président du CCNE
"Est-ce qu’une convention citoyenne peut avoir un impact pour guider des directions ? Je n’en sais rien. Le CCNE sera là comme garant qu’on laisse une autonomie à la convention citoyenne. Mais je sais que tout ne sera pas pris par le politique, ce n’est qu’une consultation", a rappelé Jean-François Delfraissy.
À l'étranger, l'euthanasie est légale en Belgique et l'assitance au suicide légale en Suisse, dans certains Etats des Etats-Unis, et en Autriche. Les Pays-Bas, l'Espagne, le Luxembourg, le Canada, plusieurs Etats australiens et la Nouvelle-Zélande ont légalisé plus ou moins récemment l'euthanasie et l'assistance au suicide. D'autres pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Portugal, l'Italie et la Colombie sont en voie de légalisation de certaines formes d'aide active à mourir.
Loi Clayes et Leonetti : un texte mal connu
Le président du CCNE a repris lundi soir les principaux points soulevés par l'avis 139. Il a ainsi souligné "les insuffisances de moyens des unités de soins palliatifs". La France dispose de 171 unités de soins palliatifs (USP) mais "22 départements" en sont dépourvus, a-t-il rappelé. Parmi eux, la Manche et l'Orne. En 2021, "40% des 350 000 Français décédés à l’hôpital ont pu bénéficier d’une prise en charge palliative", selon les chiffres du CCNE. Mais seulement "8% des Ehpad sont équipés d’une chambre dédiée pour la prise en charge des patients en fin de vie". Une situation qui "pourrait être améliorée", notamment dans les Ehpad, a-t-il insisté.
Jean-François Delfraissy a aussi à nouveau dénoncé une loi Clayes et Leonetti "pas assez connue par les professionnels et les citoyens, notamment la clause de confiance et les directives anticipées". Pour rappel, la loi Clayes et Leonetti, qui date de 2016, permet une "sédation profonde et continue jusqu'au décès" pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance, dont la vie est menacée "à court terme".
Elle prévoit aussi l'arrêt des traitements dans le cas d'"obstination déraisonnable", c'est-à-dire d'acharnement thérapeutique. Elle renforce aussi la valeur des directives anticipées que chacun peut écrire en prévision d'une situation où il serait incapable de s'exprimer sur ses volontés. Le patient peut aussi désigner une personne de confiance, majeure, pour le représenter s'il ne peut plus s'exprimer.
Les points de vue des étudiants juristes, philosophes et cliniciens
En début de conférence, les réflexions d'étudiants en droit, en philosophie et de cliniciens de DU et de master se sont fait entendre à travers une critique de l'avis 139. Les juristes se sont notamment interrogés sur une éventuelle obligation de désigner une personne de confiance. Les philosophes ont quant à eux disséqués le principe d'autonomie et soulignés l'implication d'un tiers dans l'assistance au suicide et l'euthanasie.
Du côté des cliniciens, de nombreuses questions ont été posées, notamment sur les limites d'une aide active à mourir, l'évaluation de la souffrance des patients qui demandent à mourir, le cadre de la prise de décision d'une euthanasie, et les conséquences potentielles sur les soignants de la pratique d'un acte provoquant délibérément la mort.
"Notre système de soin est à disposition des patients"
Attentif, Jean-François Delfraissy a loué des analyses intéressantes des étudiants non sans souligner plusieurs points de désaccord. "Des choses ne sont pas suffisamment claires, vous avez raison", a-t-il admis. "La main tremble sur un sujet pareil, mais ce n'est pas une raison pour ne pas aborder les questions que cela pose. Pour diverses raisons, la vision du CCNE a peut-être privilégié une vision de l'individu à prendre ses propres décisions."
Notre système de soin n’est pas fait pour les soignants même s’ils sont un élément fondamental. Il est conçu pour être à disposition des patients et de leur vision.
Jean-François Delfraissy, président du CCNE
Sur la question des conséquences sur les soignants de la pratique de l'euthanasie ou de l'assistance au suicide, le président du CCNE a durci le ton. "Notre système de soin n’est pas fait pour les soignants même s’ils sont un élément fondamental. Il est conçu pour être à disposition des patients et de leur vision", a-t-il appuyé.
Par manque de temps, seulement trois questions de la salle ont pu être posées en fin de conférence, qui s'est finalement révélée être davantage une réunion d'information ponctuée des analyses critiques de quelques étudiants qu'un véritable débat avec les citoyens. Jusqu'ici, 72 débats ont déjà eu lieu, 65 sont à venir, avec un objectif de 150 débats d'ici la fin du mois de mars 2023.