"Toutes les communes font des aménagements routiers. A chaque fois, on ne tient pas compte de l'activité agricole", déplore Xavier Hay, le président de la FDSEA du Calvados. Les terre-pleins et les giratoires empoisonnent la vie des agriculteurs et compliquent les relations avec les automobilistes..
Le sujet est une nouvelle illustration du fossé qui semble se creuser entre le monde agricole et les "rurbains", ces citadins venus s'installer à la périphérie des grandes villes. Dans les villages de la plaine de Caen, ils ont trouvé de l'espace et de la verdure, mais sans doute pas le calme espéré. Ici il est vrai, l'agriculture n'a rien de très bucolique.
Quand je suis au premier étage de ma maison, je vois le type au volant du tracteur à ma hauteur ! Ça donne une idée de la dimension des engins.
"Les engins sont énormissimes", témoigne Jean-Marc qui habite au coeur d'un vieux village situé "sur la route de la coopérative de Creully" au nord-ouest de Caen. En toutes saisons, il voit passer des tracteurs et leurs remorques, des énormes charrues, des herses "impressionnantes". "Ma rue est étroite. Les tracteurs doivent monter sur le trottoir avec leurs grosses roues pour passer. Fondamentalement, rien ne leur interdit de passer là et ils ont besoin de rouler. On se pose quand même des questions sur la sécurité".
Grandes cultures et petites villes
Ces dernières années, à mesure que la population s'est densifiée, les collectivités ont cherché à réguler le trafic : le paysage routier a bien changé. Combien de carrefours sont désormais dotés d'un rond-point ? Combien de dos d'ânes et de chicanes dans les traversées de bourgs ? Les automobilistes s'y font tant bien que mal, mais les agriculteurs ?
"C'est devenu un vrai problème, explique Xavier Hay qui préside la FDSEA du Calvados. Les aménagements ne sont pas adaptés. On ne peut plus circuler correctement". Le sujet est sensible chez ses adhérents. Ils racontent pêle-mêle ces giratoires "où il faut manoeuvrer pour passer", ces chaussées rétrécies "où on ne peut pas se croiser si un bus ou un camion arrive en face". Vus depuis la cabine du tracteur, ces aménagements "créent le danger".
La traversée de Pierrepont, entre Caen et Bayeux, serait à leurs yeux l'exemple à ne pas suivre. Une succession de dos d'âne est censée casser la vitesse des voitures dans cette longue descente de la rue centrale. "Je dois ralentir à 8 ou 10 km/h pour éviter de casser le matériel en montant sur le dos d'âne", explique David Duchemin qui exploite une ferme sur la commune. La récolte des pommes de terre bat son plein. Un tracteur s'engage avec une remorque pleine. Le conducteur doit quasiment marquer l'arrêt sur chaque ralentisseur. Derrière lui, la file des voitures s'allonge.
"Des engins énormissimes"
"Le plus dangereux, c'est le matin, quand les gens partent travailler. Ils n'ont pas de patience et ils ne comprennent pas pourquoi on passe si lentement. Certains doublent n'importe comment sur les zebras alors qu'il y a un passage clouté juste devant", raconte encore David Duchemin qui sent bien que ses engins "gênent".
"Je ne comprends pas pourquoi les tracteurs ont le droit de rouler entre 8 heures et 9 heures, au moment où il y a le plus de monde sur la route", s'emporte Fanny qui se rend à Caen chaque matin pour son travail. "À chaque fois, ça m'énerve. Ils pourraient quand même rouler à un autre moment". Au volant de son tracteur, David Duchemin prend un peu de hauteur : "ce sont des gens de la ville venus s'installer à la campagne qui ne connaissent pas le métier du monde agricole".
La Chambre régionale d'Agriculture de Normandie a publié une liste de recommandations destinée aux collectivités. "Grâce à la concertation et à une bonne connaissance mutuelle, aménagements routiers et circulation des engins agricoles sont conciliables", assure-t-elle. Les conseils portent sur l'emplacement du mobilier, la dimension des accotements et des giratoires, la hauteur des terre-pleins.
La Chambre d'Agriculture rappelle que "jusqu’à 25 m de longueur et 4,5 m de largeur, les convois agricoles ne sont pas assimilés à des convois exceptionnels" et qu'ils doivent donc pouvoir circuler librement. C'est écrit dans le code de la route. À titre d'indication, il est précisé qu'une "arracheuse à betteraves" est longue de 15 mètres et haute de 4 mètres. Une tracteur et "un combiné de semis" a une envergure de 4,5 mètres...
À Tourville-sur-Odon, l'agglomération de Caen-la-mer a entrepris de réaménager la traversée du bourg. L'ancienne route nationale 175 va changer d'aspect. La chaussée sera rétrécie pour permettre l'aménagement d'une piste cyclable. Xavier Hay déroule son mètre : "la chaussée fera six mètres de large. Deux camions ne pourront pas se croiser".
Est-ce qu'on a vraiment besoin d'une piste cyclable de 3 mètres de large ?
La FDSEA considère que cette affaire était assez révélatrice. Le mardi 28 septembre, le syndicat a dépêché sur place quelques gros engins, histoire de marquer les esprits. "Nos tracteurs ne se croisent pas ici. On va devoir mordre sur le bas côté. Si j'abime une voiture, je serai responsable", s'emporte un cultivateur qui exploite des terres des deux côtés de la route.
Nous avons participé à la concertation. Comme toujours, on nous écoute, mais on ne nous entend pas."
À la mairie de Tourville-sur-Odon, le maire est dans l'embarras. "Je comprends les agriculteurs qui ont besoin de travailler, explique Didier Bouley, mais sommes dans un bourg et il n'est pas possible de pousser les maisons. On doit donc partager l'espace."
Aujourd'hui, aucun élève ne peut faire du vélo sur cette route. Quand cette piste cyclable sera achevée, il sera possible d'aller jusqu'au collège de Verson à vélo. À notre époque, qui peut être contre ?