Jérôme Coulombel se présente comme un lanceur d'alerte. Il est directeur du service contentieux au groupe Carrefour, jusqu'au jour où il fait un burn-out. 10 ans après son départ de l'entreprise, il dénonce dans un documentaire, diffusé sur Arte, les pratiques illégales de ce géant de la grande distribution. Carrefour décide alors de porter plainte contre lui. Son affaire sera jugée mardi 22 novembre 2022 au tribunal de Caen.
Sa route semblait toute tracée. Jérôme Coulombel démarre sa carrière au sein du groupe Carrefour et devient, en 20 ans, le directeur du service contentieux. Il faisait partie du Top 100 des cadres dirigeants de l'enseigne : "je faisais un travail qui me passionnait, j'avais une équipe en or, franchement tout allait bien, c'était merveilleux".
Mais son ascension s'arrête brutalement en 2012. Jérôme Coulombel craque, il fait un burn-out. Nous le retrouvons chez lui, dans son jardin où il fume une cigarette : "je n'ai jamais touché à une cigarette en 50 ans, maintenant je fume un paquet par jour" nous confie-t-il. Il ne peut plus s'en passer depuis 2013, soit un an après l'arrivée d'un nouveau PDG chez le géant Carrefour. Au sein du service contentieux, la stratégie change et ne correspond plus à ses valeurs. La pression s'accentue de jour en jour.
Un matin, son corps lâche : "vous vous levez un matin et vous brûlez de l'intérieur, vous ne savez même plus qui est avec vous. C'est votre famille ? Vous ne savez pas". L'homme encore ému ajoute :
Vous êtes juste carbonisé, anéanti, vous n'arrivez plus à marcher, vous n'arrivez plus à parler, vous êtes détruit !
Jérôme Coulombel, lanceur d'alerte
Une de ses anciennes collègues qui veut garder son anonymat raconte qu'il était très apprécié des salariés : "C'est quelqu'un d'humain, de trop humain même, on lui a d'ailleurs reproché. Il se battait pour ses collaborateurs. Il lui arrivait parfois de partager sa prime avec ses assistantes parce que l'entreprise ne voulait pas les augmenter."
Une descente aux enfers
Lui et sa famille vont vivre en apnée pendant des années. Un mal-être que sa femme voit grandir chaque jour, témoin de cette vie qui devient une épreuve : "il ne marchait même plus droit, il ne pouvait pas conduire, il ne pouvait rien faire. Je suis allée avec lui chez le psychiatre. J'ai demandé s'il ne pouvait pas diminuer les médicaments pour qu'au moins il ait un peu de lucidité dans la journée. Mais le médecin m'a dit que si on arrête les médicaments, il y a un risque de raptus suicidaire. Alors voilà tous les matins je pars travailler et le soir je ne sais pas si le raptus est passé par là".
Grâce à sa famille, l'homme remonte la pente petit à petit. Il reprend même une activité et devient consultant indépendant. Dans son bureau, il y a des dossiers partout. Désormais, il aide les magasins franchisés dans leurs échanges avec Carrefour: "ça arrive de toute la France" explique-t-il.
Jérôme Coulombel sort du silence
Jérôme Coulombel a décidé de sortir du silence l'an dernier. Il témoigne même, preuves à l'appui, dans un documentaire "Hypermarchés, la chute de l'empire" encore visible sur le site d'Arte. Il y dénonce les agissements illégaux de Carrefour qu'il a trouvé dans les dossiers qu'il traite : "clairement jusqu'à présent il y a eu des dérapages comme dans toutes les branches de la grande distribution mais jamais au plan national, jamais avec un volume de fournisseurs aussi étendu, jamais avec clairement l'aval du service juridique, là je suis sincèrement tombé de ma chaise".
Le réalisateur Rémi Delescluse a vérifié tous ses propos, avant de les exposer dans son documentaire. Jérôme Coulombel, fournisseurs, spécialistes, tous ces témoignages permettent de démonter point par point un système qui vaudra à Carrefour une condamnation à verser une amende de 1,75 millions pour "pratiques restrictives de concurrence". Dans ce milieu si fermé, les documents fournis par Jérôme Coulombel ont été précieux explique Rémi Delescluse : "vous savez, beaucoup de personnes disent dans ce milieu que les relations entre fournisseurs et distributeurs sont très conflictuelles, la plupart du temps ce sont des mots. Là Jérôme Coulombel a apporté des éléments écrits, des documents qu'on a pu vérifier d'ailleurs. C'est une parole qui est rare, qui est importante pour le droit à l'information et c'est pour ça qu'il figure dans mon documentaire".
Carrefour relance une plainte déposée il y a 3 ans
Mais après la diffusion de cette enquête, Carrefour relance une plainte 3 ans auparavant pour "vol". Le groupe qui ne nous répond que par communiqué reproche à son ancien salarié le fait suivant :
Il a volé différents documents commerciaux et confidentiels avant de quitter son poste, susceptibles de porter un grave préjudice à Carrefour
Groupe Carrefour, dans un communiqué
Aujourd'hui poursuivi par carrefour, il compte bien se défendre. Pour Maître Clément Picard, avocat de Jérôme Coulombel, il n'y a rien d'illégal : "lorsque vous prenez des documents et que vous les gardez avec vous, que vous les avez eu de façon tout à fait légal et que vous vous en servez dans le cadre prud'hommal pour justifier derrière les raisons qui ont causées la rupture du contrat de travail, vous avez tout à fait le droit de les avoir".
Carrefour n'attaque pas mon client pour diffamation. On ne lui reproche pas de mentir, on lui reproche de dire
Maître Clément Picard
Jérôme Coulombel se prépare à répondre à deux autres chefs d'accusations : "tentative d'extorsion de fonds" et "chantage". Carrefour accuse son ex-employé "d'avoir établi une véritable stratégie visant à tenter d'obtenir des conditions de départ disproportionnées. Plus de 8 millions d'euros de demande d'indemnités" .
Accusations que Jérôme Coulombel récuse : "ça me heurte au plus profond de moi, car si j'étais quelqu'un d'intéressé, j'aurais pris le chèque qu'on m'avait proposé lorsque j'ai quitté le groupe Carrefour mais je ne l'ai pas fait !".
Un procès le mardi 22 novembre au tribunal de Caen
C'est désormais à la justice de faire toute la lumière sur cette épineuse affaire. Son procès se tiendra le mardi 22 novembre 2022 au tribunal de Caen.
Jérôme Coulombel, lui, avance sereinement, surtout depuis cet été grâce à un jugement du tribunal qui reconnait son burn-out comme maladie professionnelle. Des mots écrits noir sur blanc qui lui ont redonnés du courage.