Irving Penn a été l'une des figures majeures du magazine "Vogue" pendant plus de 60 ans. Pour la première fois en France, 109 oeuvres issues de la collection de la Maison européenne de la photographie sont exposées aux Franciscaines de Deauville jusqu'au 28 mai 2023.
De lui, on connaît quelques portraits célèbres, comme ce plan serré sur un Picasso espiègle, à moitié caché sous un chapeau en feutre et une cape de velours, ou quelques photos de mode iconiques, comme celle de la robe sirène portée par le mannequin (et future épouse) Lisa Fonssagrives.
Mais aucun lieu n'avait encore proposé de parcourir la carrière du grand photographe américain Irving Penn (1917-2009) à travers l'ensemble de la collection de la Maison européenne de la photographie.
C'est justement ce qu'offre l'exposition "Irving Penn, chefs-d'oeuvre de la collection de la MEP" aux Franciscaines à Deauville jusqu'au 28 mai avec 109 tirages issus de ce fond.
Portraitiste des humbles et des petits métiers...
Irving Penn commence sa carrière en 1938, année où il achète son premier Rolleiflex. Son attention se porte sur les vitrines de boutiques à New York en choisissant de cadrer un détail, faisant de sa photo un tableau. "Dès le départ, nous avons quelque chose d'assez épuré dans les prises de vue, ce qui va marquer son travail", souligne Camille Binelli, responsable du Pôle photo aux Franciscaines.
En 1942, le voilà au Pérou. Premier grand voyage au cours duquel il pose son objectif sur les habitants de la ville précolombienne de Cuzco, dans la Cordillère des Andes. "Pendant ses voyages de commandes, il développe en parallèle sa propre créativité", explique Camille Binelli.
Dans le parcours, un portrait d'enfants aux vêtements dépenaillés mais à l'allure sérieuse devant une simple toile épaisse suspendue. Dépouillement et effet de matières. " Des portraits dans lesquels il y a très peu de mise en scène."
Très peu de mise en scène aussi dans sa série des "Petits métiers" de la rue Mouffetard réalisée en 1950 avec l'aide du photographe Robert Doisneau en rabatteur. Vendeur de fromage, cireur de chaussures, boucher, femmes de chambre, vendeuse de ballon,... vont poser devant un simple papier épais, ce qui fait ressortir chaque pli d'un visage ou d'une étoffe.
"Il a toujours travaillé en atelier", précise la responsable du Pôle Photo aux Franciscaines. Alors que ses contemporains préféraient la rue et inventaient la street photography, Irving Penn lui, se rend tous les matins dans son studio à la même heure "comme un travail fixe". Avec une précision d'horloger, profession de son père.
... comme des célébrités
En 1947, Alexander Liberman, directeur artistique du magazine Vogue, propose à Penn de réaliser une série de portraits de personnalités. Dans son studio new-yorkais vont ainsi se succéder des artistes majeurs des années 50 et 60 comme Jean Cocteau, Marcel Duchamp, Colette, Edith Piaf, Christian Dior ou encore Ingmar Bergman.
Pour certains, il les place au fond d'un angle, un espace réduit qui les contraint à une posture inhabituelle.
"Certaines célébrités n'avaient que peu de temps à lui accorder, c'est le cas de Picasso qui ne voulait pas se faire photographier, sourit Camille Binelli. Le peintre, un peu par défi, s'est déguisé avec un chapeau et une cape. Au final, Irving Penn a utilisé ces éléments, le cliché est magnifique, et la photo est devenue l'une des plus iconiques de Picasso."
L'un des grands contributeurs du magazine Vogue au XXème siècle
La mode représente une partie essentielle du travail d'Irving Penn qui va collaborer au magazine Vogue pendant près de 60 ans. Il travaillera pour les plus grands créateurs comme Balenciaga, Rochas ou Issaye Miyake.
"Avec Miyake, ils se voyaient peu mais fonctionnaient en se nourrissant l'un l'autre", souligne la responsable du Pôle photo.
C'est aussi lors d'une séance photo pour Vogue qu'Irving Penn rencontre le grand amour de sa vie : la mannequin Lisa Fonnsagrives. "Son fils, Tom Penn, nous a raconté que lors d'un shooting, Irving Penn avait demandé à toutes les top modèles de le regarder. Toutes l'ont fait, sauf elle, de nature plus espiègle. C'est comme cela qu'il est tombé amoureux !"
Une attention particulière portée au tirage
Des nus aux photographies de cigarettes, très loin du monde de la mode, Irving Penn étudie et soigne de la même façon les lumières, les dégradés de gris, les contrastes.
"C'est toujours lui qui fait ses tirages, insiste Camille Binelli. Car il estimait que le tirage faisait partie de l'oeuvre. Son fils nous a ainsi raconté que son père coupait les négatifs à la lame de rasoir une fois qu'il avait le nombre de tirages suffisant, pour être sûr que personne d'autre ne fasse de tirage."
Des tirages sont en gélatino-argentique (principe de l'agrandisseur) ou à partir des années 60, en platine, une technique de superpositions qui deviendra la marque de fabrique d'Irving Penn et qui lui "permet une palette de gris plus riche."
Ces techniques, le photographe américain les applique pour tous sujets, y compris pour des objets peu ragoûtants comme des mégots de cigarettes. Le travail méticuleux pour donner à voir, mais aussi presque à toucher la matière, transforme le rebut en oeuvre. C'est là tout le talent d'Irving Penn.