Radio Londres et ses messages brouillés par les allemands. Ces « Français qui parlent aux Français » sont restés dans l’histoire. Parmi les phrases codées les plus connues, deux vers de Verlaine symbolisent à eux seuls l’annonce du débarquement.
Depuis 4 années, Radio Londres est le seul fil parfois bien mince qui relie la France Libre installée dans la capitale Britannique aux groupes clandestins et maquis dans l’hexagone. Tous les soirs à heure fixe, des messages codés sont envoyés aux combattants de l’ombre. Le son n’est pas de bonne qualité. Couper les ondes n’est pas possible, comme certains pays totalitaires interrompent internet aujourd'hui. Mais l'occupant allemand brouille le signal et l’écoute en est altérée.
La séquence à chaque fois avec la même introduction, restée célèbre :
Veuillez écouter tout d'abord quelques messages personnels.
En cette fin de premier semestre de 1944, il y en aura un qui restera un symbole jusqu’à aujourd’hui. Peut être l’un des plus forts symboles même du débarquement. Ce sont les deux premiers vers du poème de Verlaine « Chanson d’automne ». Ils annonceront en deux temps et en langage codé cette vague déferlante de reconquête sur les plages normandes la nuit du 6 juin 1944.
Un symbole, une mémoire romantique et une réalité différente
Il n’est pas le seul à être annoncé en cette veille du débarquement. Loin s’en faut. Radio Londres installée à la BBC annoncera plus de 350 messages personnels durant cette seule journée du 5 juin. Des phrases espérées, qui s’adressent à des groupes en attente de LEUR message singulier. Un signal qui permet à chacun et chacune de se mettre en marche. Pourtant 75 ans après, un seul a été gardé dans la mémoire collective comme emblème du déclenchement des hostilités alliées.Une information segmentée
Comme de nombreux films et de livres le racontent, les deux vers sont annoncés en deux fois. La première le 1er juin, la seconde le 5 juin. La mémoire des Françaises et des Français notamment influencée par les scenarii retient que l'armée des ombres entend le signal de l'imminent débarquement. En fait il semble que la phrase comme toutes les autres est destinée à un seul groupe armé, le réseau VENTRILOQUIST localisé en Sologne, pour lancer ses saboteurs ferroviaires. Une thèse moins romantique mais sans doute plus probable. Les dangers inhérents à la guerre clandestine poussent les organisateurs depuis Londres à segmenter toute information au maximum. On voit mal comment un secret si lourd de conséquence aurait pu être détenu par autant de monde.Des mots qui résonnent encore
5 juin 1944, 21h15. L’introduction musicale vient de se terminer… Les messages personnels commencent. Les premières notes de la 5ème symphonie de Beethoven, (en Morse est un « V » comme Victoire),Et puis, le premier vers et donné une fois, puis une seconde, comme c’est usuel .Les Français parlent aux Français. Veuillez écouter d’abord quelques messages personnels.
Et le pied tant attendu est enfin lancé…Les sanglots longs des violons de l’automne... Je répète... Les sanglots longs des violons de l’automne,
Blessent mon coeur d’une langueur monotone... Je répète... Blessent mon coeur d’une langueur monotone.
Au même moment la flotte a quitté l'Angleterre et le débarquement est maintenant une question d’heures.
A noter l'altération du poème inital de Verlaine avec le verbe « blessent » qui remplace « bercent ». Charles Trenet dans une adaptation de la poésie sous le titre de "Verlaine" a déjà utilisé ce détournement. Tout comme d'autres chanteurs à l'instar de Léo Ferré, il modifiera ses versions et ses interprétations.
Un florilège d'expressions passées à la postérité
Cette même soirée du 5 juin, la résistance entend également « Messieurs faites vos jeux » appel à un autre sabotage, mais aussi « je n’aime pas la blanquette de veau » qui indique le parachutage prévu à Donnemarie-Dontilly, ou encore « Frédérick était roi de Prusse ; nous disons quatre fois » signalant que 4 avions sont attendus pour le parachutage du jour. Et puis celle qui reste également dans les annales, reprenant une célèbre expression : « les carottes sont cuites ». Cette voix si particulière, qui restera dans l'histoire, ces mots qui feront la guérilla et permettront à la résistance de participer à la Bataille de Normandie achevée peu ou prou avec l'arrivée à Paris de la Colonne Leclerc le 25 août 1944, c'est celle de Franck Bauer, le speaker de Radio Londres.1 000 actions de sabotage en une nuit
Tous ces messages sont ciblés et s’adressent à des groupes qui savent ce qu’ils doivent faire. Attaquer la logistique, ralentir les réactions de ceux que l’on appelle « les frisés » est le maître mot à l’aube de l’opération Overlord. Dans la nuit du 5 ou 6, plus de 1 000 actions de sabotage sont réalisés et 3 000 kilomètres de voies ferrées sont détruites durant les premiers jours.