Les Alcooliques anonymes normands se sont réunis ce week-end à Houlgate (Calvados) lors de leur convention annuelle. L'occasion pour les adhérents de se rencontrer en chair et en os après des mois éprouvants de crise sanitaire. Quatre d'entre eux ont accepté de nous livrer leur témoignage.
Nous les appelerons Alice, Christelle, Emmanuel et Gabriel. Tous les quatre sont membres des Alcooliques anonymes. Ce weekend, la branche normande de l'association s'est réunie à Houlgate après des mois éprouvants de crise sanitaire, lesquels ont affecté durablement les personnes alcooliques. Les périodes de confinement ont été particulièrement difficiles à traverser, renforçant les syndrômes anxieux et dépressifs chez certains malades, provoquant la rechute dans la consommation d'alcool chez d'autres.
"Le confinement, pour une personne alcoolique, c'est un enfer"
Gabriel a poussé la porte des Alcooliques anonymes en septembre 2020. Porté par la volonté de mettre fin à son addiction à l'alcool et par son courage, il a participé pendant deux mois et demi aux réunions de l'association organisées à Caen. "J’ai réussi à être abstinent pendant 3 mois... Et puis j’ai rechuté", confie-t-il.
Sa rechute coïncide avec l'instauration du second confinement et avec le passage obligatoire des temps d'échange en visio-conférence : "A partir de la fin du présentiel, j’ai décidé d’arrêter les réunions. Comme j’étais déjà en distantiel au travail, je n'avais pas envie de passer toute la journée derrière mon écran. Et je trouve que l’alchimie des réunions en présentiel, c’est quelque chose d’hyper important, c’est presque palpable cette énergie entre nous."
Je regrette que la municipalité de Caen n’ait pas reconnu les Alcooliques anonymes comme étant d’utilité publique. Je trouve ça limite grave. Parce qu’à cause de cette décision, certains ont rechuté ou même attenté à leur vie.
Parce qu'ils ont favorisé l'isolement social et le repli sur soi, les confinements à répétition ont considérablement affecté les personnes alcooliques. Au plus fort de la crise sanitaire, Emmanuel était en télétravail à 100% : "Et là, on n’a plus besoin de se cacher pour boire. Donc c’est d’autant plus facile de rechuter", explique-t-il, "Le midi, on peut boire ce que l'on veut comme on n’est pas sur le site de son entreprise. Pour moi, c’était très compliqué pendant ce confinement."
Pour Alice, la tentation d'augmenter sa consommation d'alcool ne s'est pas fait ressentir. "J’avais une famille, j’étais entourée, je vivais dans une maison. J’avais quand même de bonnes conditions pour traverser ce confinement", raconte-t-elle. Pour autant, la crise sanitaire a beaucoup joué sur ses angoisses et sur son sentiment de solitude : "Nous, personnes alcooliques, comme plein d'autres personnes d'ailleurs, on est quand même des hypersensibles. On a un problème avec les émotions, on a des difficultés pour gérer tout ce qui est angoisse, donc de ce point de vue-là, c’était compliqué."
En visio-conférence ou au téléphone, trouver une oreille attentive
Faute de pouvoir organiser des réunions en présentiel, les Alcooliques anonymes ont planifié des rendez-vous en visio-conférence tous les jours pendant les différents confinements. Cette alternative a permis à certains malades de trouver du soutien, comme Christelle : "Ça m’a aidé à pouvoir continuer mon chemin d’abstinence à un moment où j’étais très très fragile et où les portes physiques de l'association étaient fermées. Ça m’a tenue en haleine, je courrais en sortant du travail pour ne pas louper mes vidéos, c’était très important pour moi" , confie-t-elle.
En tant que personne malade alcoolique, c’était compliqué de ne plus voir les gens. Moi le digital, le téléphone ou la vidéo, m’ont aidée à sortir de l'alcool.
Partager son histoire pour guérir
Malgré tout, pouvoir se retrouver physiquement est une source de satisfaction pour ces membres des Alcooliques anonymes. Ils participent désormais chaque semaine à des réunions en présentiel. Des temps d'échange, où chacun peut témoigner de son histoire, de ses doutes, de ses peurs invaincues ou de ses combats remportés contre l'alcool. La porte de l'association est ouverte à tous, mais faire le choix de la pousser n'est pas toujours une décision facile, comme l'explique Emmanuel, qui a été orienté par un médecin : "J’avais un peu honte d’aller dans cette association. Je ne savais pas du tout ce que c’était. J’avais cet a priori un peu à l’Américaine de voir des gens pas communs, limite clochards. J’ai dis ok parce que c’était un peu ma dernière chance. J’y suis allé, et j’ai été agréablement surpris."
Les gens sont ouverts, ils sont super gentils. Dès la première réunion, quand ils ont commencé à témoigner, j’ai compris que c’était là où je pouvais trouver une oreille et savoir vraiment comment j’allais pouvoir vivre sans alcool.
Alice, elle, a pris contact avec l'association en décrochant son téléphone. C'était la nuit. Elle était alcoolisée. En détresse. "J’ai eu une dame très bien qui m’a mise en contact avec un ami de Caen", raconte-t-elle, "On s’est eus au téléphone, on a beaucoup parlé, et cet ami m’a aidée à passer le cap de la réunion où il faut passer la porte et affronter cette vérité. On commence tout juste le chemin vers l’acceptation."
Ce chemin vers l'acceptation est un travail de longue haleine contre le sentiment de culpabilité. En tant que femme alcoolique, Alice le ressent tout particulièrement : "Pour les hommes, c’est compliqué. Mais j’ai l’impression qu’en tant que femmes, on nous pardonne encore moins, parce qu’on est des mères aussi. On a énormément de culpabilité."
L'association les Alcooliques anonymes est joignable gratuitement 7J/ 7 et 24h/ 24 au 09.69.39.40.20