Avec une salle neuve et des ventes de tickets en hausse, le cinéma associatif Le Cabieu, à Ouistreham, paraît en bonne forme. "On est presque en cessation de paiements", annonce pourtant son président. En cause, les tarifs de l'électricité, qui ont bondi depuis quelques années et plongent les comptes dans le rouge. La petite équipe du cinéma s'active pour sauver cet établissement historique, ouvert en 1983, et espère une aide de la mairie.
Difficile de penser que c'est un lieu qui connaît la crise. Un lundi après-midi d'avril, le parking du cinéma Le Cabieu, à Ouistreham (Calvados), est occupé par deux dizaines de voitures. À l'intérieur, les tickets d'entrée se vendent. Plusieurs grands-parents accompagnent leurs petits-enfants.
Deux séances s'apprêtent à débuter. Un film éducatif pour enfants dans la grande salle, celle de 352 places, et un long-métrage d'auteur dans la seconde, qui compte 101 sièges. Ce cinéma associatif, né en 1983 et labellisé "Art et essai", diffuse ainsi six films chaque jour.
Le bâtiment, qui a terminé une rénovation en février dernier, est comme neuf. Et le commerce va bien, à en croire les apparences : près de 17 000 tickets ont été vendus depuis la réouverture de février, informe Philippe Moisson, le président de l'association. C'est plus que les années précédentes à la même période.
On est presque en cessation de paiements.
Philippe Moisson, président du cinéma Le Cabieu
Rien ne laisse deviner des difficultés financières. "On est presque en cessation de paiements", annonce pourtant Philippe Moisson. "On essaie de sortir la tête de l'eau, mais on est en déficit".
Comptes dans le rouge
C'est là le paradoxe qui touche ce cinéma : la mairie d'Ouistreham, propriétaire du bâtiment, a financé pour 1,6 million d'euros, entre 2022 et 2024, la construction d'une seconde salle et la rénovation du hall. La hausse des ventes de tickets semble en faire un investissement gagnant.
Mais les finances de la structure sont plombées par le coût de l'électricité. En 2019, dernière année d'activité complète (avant les travaux et la pandémie de Covid), le cinéma avait payé près de 6 000 euros de chauffage sur un an. Ce mois d'avril, l'association a à nouveau reçu une facture de 6 000 euros, mais pour un seul mois de consommation d'électricité hivernale.
Si je reçois une autre facture (...), je mets la clé sous la porte.
Philippe Moisson, président du cinéma Le Cabieu
Depuis cinq ans, le prix de l'électricité a connu une inflation cumulée de 44%. Mais, avance Philippe Moisson, c'est aussi le nouveau système de chauffage électrique, installé par la municipalité pendant la rénovation, qui participe à mettre à mal l'équilibre des comptes. "Ce n'était pas nous les maîtres d'œuvre, on n'a pas choisi cet équipement", fait savoir le président. Le coût total de sa facture d'électricité en 2024 approche déjà des 15 000 euros, indique-t-il. Les comptes sont dans le rouge. "Et si je reçois une autre facture de ce montant, je mets la clé sous la porte", alerte Philippe Moisson.
"On ne dort pas bien la nuit", concède Olivier Ferder, le technicien du cinéma, l'un des deux salariés à temps plein de la structure. L'établissement en compte trois, dont une employée de ménage à temps partiel. Sophie Fras, directrice du cinéma, l'autre salariée, abonde : "On se dit, punaise, on ne va quand même pas fermer pour ça, pas pour du chauffage !"
Ancien cadre d'un groupe industriel, désormais en retraite, Philippe Moisson explique avoir eu à organiser plusieurs plans sociaux dans sa carrière. "C'était terrible. Je ne veux pas avoir à refaire ça ici", témoigne-t-il. "C'est dommage parce qu'il y a grand potentiel dans ce cinéma", complète le président. Avant les travaux, Le Cabieu était le cinéma à une salle le plus fréquenté de Normandie. La fréquentation en hausse en 2024 laissait espérer le meilleur jusqu'à la réception des factures récentes.
Demande de subvention
Le cinéma a fait la demande d'une subvention exceptionnelle auprès du maire d'Ouistreham. A minima, il faudrait au Cabieu "15 000 à 20 000 euros" pour surmonter cette mauvaise passe, sur un budget global qui avoisine les 190 000 euros annuels, évoque le président. Il n'a pas reçu de réponse positive de la mairie.
En décembre, le maire (Horizons), Romain Bail, avait donné le ton dans un courrier adressé à Philippe Moisson : "Le contexte économique actuel pousse chacun d'entre nous à faire preuve de sobriété (...) Dans un souci d'économie et de cohérence, la Ville se doit d'être plus attentive encore à son budget (...) L'action portée [par le cinéma] est à vocation commerciale, ce qui ne permet pas à la Ville de vous soutenir plus avant", écrivait-il. L'édile soulignait aussi qu'une subvention municipale de 35 000 euros a déjà été accordée en 2023.
La Ville d'Ouistreham offrira aussi en 2024 une place pour une séance au Cabieu à chacun de ses 10 000 habitants, une fois l'inauguration de la nouvelle salle effectuée. Cela représente une autre subvention indirecte de plusieurs dizaines de milliers d'euros, fait valoir le maire, joint par France 3 le 24 avril. "Il faut prendre la situation avec calme et sérénité", pondère-t-il.
Au premier rang des solutions pourrait se trouver une légère hausse du prix de l'entrée, suggère Romain Bail. "De cinquante centimes, pour passer le prix d'une place de 5,50 à 6 euros".
Le Cabieu est une institution à Ouistreham. La Ville sera là pour l'accompagner s'il y avait une difficulté.
Romain Bail, maire d'Ouistreham
L'édile appelle aussi l'association à "un peu de sérieux budgétaire", pointant du doigt le maintien des rémunérations complètes des trois salariés de la structure pendant les fermetures liées aux confinements dus au Covid, en 2020 et 2021. "La municipalité n'a pas vocation à payer 100% des salaires" du Cabieu, qui est une structure commerciale, avance-t-il.
Les aménagements du hall du cinéma, financés par l'association sur ses fonds propres avant la réouverture, ont aussi mené à une importante "consommation de trésorerie", selon le maire. Philippe Moisson confirme : son association a en effet pioché dans ses économies pour construire son comptoir de vente et aménager l'entrée du bâtiment. Les importantes factures d'électricité de 2024 n'étaient alors pas attendues.
Romain Bail veut tout de même se montrer rassurant : "Le Cabieu est une institution à Ouistreham. La Ville sera là pour l'accompagner s'il y avait une difficulté", promet-il. Mais l'édile reste intransigeant sur un point : l'électricité et l'eau doivent en principe être payés par l'association.
"Ric-rac"
C'est pourtant la charge qui met l'établissement en péril, fait-on savoir au Cabieu. Et cette difficulté n'est pas spécifique au cinéma d'Ouistreham. À Douvres-la-Délivrande, à 9 kilomètres à l'ouest, le Cinénacre ressemble en plusieurs points à son voisin ouistrehamais : c'est un établissement d'art et essai historique de la commune, sous statut associatif et qui emploie un salarié. Comme au Cabieu, le Cinénacre a rouvert récemment après des travaux d'agrandissement. Il dispose aussi de deux salles, dans des locaux prêtés par sa communauté de communes.
Comme à Ouistreham, la structure propose des tarifs moins chers que dans les cinémas privés, avec un ticket sous les 6 euros. "On espère pouvoir maintenir ces tarifs bas, mais peut-être qu'à un moment donné, on devra les augmenter", commente le président du Cinénacre, Raymond Pernelle. Car, comme au Cabieu, le cinéma de Douvres souffre en 2024 de la hausse des tarifs de l'électricité, malgré une hausse des ventes des entrées.
Coup de chance, à Douvres, c'est l'intercommunalité qui prend en charge l'électricité. Sans cela, "ce serait ric-rac" pour tenir le budget, fait savoir Raymond Pernelle. "La communauté de communes paie les fluides, ce qui n'est pas négligeable", commente-t-il.
À Ouistreham, l'association du cinéma Le Cabieu tenait son assemblée générale ce 24 avril au soir. Les solutions de financement y étaient discutées. Le président, Philippe Moisson, comptait y proposer l'ouverture d'une cagnotte de solidarité. Peu avant le début de l'assemblée, la mairie informait vouloir tenir bientôt une réunion avec les responsables du cinéma. "On va regarder comment gérer la facture d'électricité", confiait à France 3, dans la matinée, le maire, Romain Bail.